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Michel Sarran: "Je ne suis pas un cuisinier passionné"

L'interview doudou de Michel Sarran!

Michel Sarran: "Je ne suis pas un cuisinier passionné" Article

Chef doublement étoilé et juré de l'émission Top Chef, Michel Sarran attire la sympathie et inspire de nombreux cuisiniers, pros ou amateurs. "Fils de paysan", il n'a pourtant pas grandi avec une folle envie de cuisiner. Aujourd'hui, il semble avoir trouvé le moyen d'expression qu'il cherchait...

Membre du jury de l'émission Top Chef depuis trois saisons, Michel Sarran est désormais une personnalité publique qui doit gérer son travail de cuisinier et ses restaurants, mais aussi les interviews et les tournages, tout en tentant de "se garder des fenêtres", pour respirer.

Le chef doublement étoilé est connu pour sa sensibilité, son humour, son coaching en mode papa mais aussi l'attachement qu'il porte à ses souvenirs d'enfance à la campagne et la cuisine de sa maman, sans qui il ne serait sans doute pas là. À 57 ans, son succès est indéniable, sa cuisine applaudie et tout le monde a envie d'être son ami. Pourtant, Michel Sarran est loin d'avoir toujours su qu'il voulait devenir cuisinier, bien au contraire! "Ce n'était pas une passion", nous dit-il.

"Au départ, je voulais être pianiste!"

"En cuisine, je n'ai pas eu de déclic. Mon histoire avec la cuisine, elle est un peu particulière, nous raconte le chef. Petit, j'aimais faire de la pâtisserie, comme j'aurais joué aux Lego… Faire un quatre-quarts, le mettre au four, voir que ça pousse, que ça dore et que c'est bon à manger, il y a plein d'enfants qui aiment faire ça. Au départ, je voulais être musicien, pianiste! Ensuite, j'ai fait un collège agricole, puis des études de médecine. Au bout de deux ans, la médecine m'a fait comprendre qu'il valait peut-être mieux que je fasse autre chose, qu'elle n'avait pas vraiment besoin de moi. Alors quoi faire? J'ai passé des concours d'assistant social, puis pour rentrer à l'école d'infirmier, bref j'ai fait plein de trucs, j'ai été recalé de partout".

"J'ai commencé à travailler en cuisine sans plaisir, sans émotion"

Au même moment, la mère de Michel Sarran ouvre son auberge dans le Gers. "Quand tu es jeune adulte, il faut trouver un métier pour gagner sa vie, pour pouvoir fonder une famille, trouver une femme, avoir des enfants, cotiser pour la retraite et puis voilà. C'est un cycle et c'est comme ça, on t'explique que la société occidentale est ainsi faite, que c'est comme ça qu'elle est construite. Pour moi, c'était mal barré parce que je ne savais pas quoi faire", se souvient Michel Sarran.

Il poursuit: "J'ai commencé à faire de la cuisine avec ma mère, mais sans passion, sans déclic. C'est elle qui m'a appris les bases de ce métier, mais je n'avais pas de plaisir, pas d'émotion. Faire des confits de canard pommes sautées, c'était bon, mais c'est tout. C'était alimentaire, disons que je savais que je pouvais gagner de l'argent avec ça".

"Pour moi, la passion, c'est négatif"

Toujours "sans passion", Michel, l'apprenti cuisinier, fait ses bagages et part à Paris pour travailler dans un restaurant italien. Un peu plus tard, il rencontre un  grand chef qui lui ouvre les yeux sur ce que la cuisine peut vraiment lui apporter. "Un jour, j'ai eu la chance, grâce au culot de ma mère, de rentrer dans la cuisine d'Alain Ducasse. J'ai beaucoup souffert, parce que je n'avais pas le niveau. J'en bavais et j'en pleurais tous les jours, mais en même temps je me suis dit 'Mais purée, on peut raconter plein de choses avec ce métier!'. C'est là,  quand j'ai compris que c'était un moyen d'expression, que finalement ça m'a bien convenu".

"J'en ai bavé, mais je me suis accroché, observe le chef. Mais à aucun moment ça n'a été une passion, et ça ne l'est toujours pas. Parce que moi, je ne peux pas associer quelque chose de positif à la passion. Pour moi la passion, c'est négatif. Quand on a un amour passionnel, c'est tout sauf positif, c'est dévastateur, on fait n'importe quoi, c'est irrationnel au possible. On est des gogoles quand on est amoureux passionnément! On pleure, on rit, on est capable de tout mais ça ne dure jamais très longtemps, c'est éphémère une passion amoureuse".

Pas de haricots verts

"J'adore mon métier, il me fait vivre une vie que je n'aurais jamais espéré vivre, moi, fils de paysan gersois. Tout ce que je vis, tous les voyages que je peux faire, ces rencontres, toutes ces histoires Top Chef, etc., c'est merveilleux, c'est un métier qui me rend  heureux".

Si le petit Michel ne trépignait pas à l'idée de cuisiner, c'est peut-être aussi parce qu'à l'époque, on ne pouvait pas lui faire avaler n'importe quoi. Et certains aliments, Michel Sarran ne veut toujours pas en entendre parler! "Je n'étais pas un enfant très facile pour manger. J'ai toujours un blocage d'enfance, nous confie-t-il. Ma marraine a été assez négative au niveau de mon alimentation. Quand j'allais en vacances chez elle l'été, elle me faisait ramasser les haricots verts, j'équeutais les haricots verts, elle les faisait cuire et elle me les faisait manger derrière! Un jour ça va, mais quand c'est tous les jours, parce qu'elle en avait certainement planté beaucoup trop… J'en ai fait une overdose". Résultat, vous ne trouverez pas ou peu de haricots verts dans les menus du chef. "Je n'en ai pas dans mes plats ou alors je les cache, je les mets sous d'autres aliments".

En mémoire de son père

Ce n'est donc pas parce qu'on est un grand chef qu'on aime tout cuisiner, et surtout tout manger! "Il y a aussi l'agneau, j'ai un peu de mal avec l'agneau, avec les goûts forts. Le goût fort de l'agneau, du mouton, j'ai du mal, oui, et les abats!", soulève le chef. "Mais à nouveau, ça ne veut pas dire que je ne les cuisine pas, je cherche toujours un prétexte, même pour les abats. Je cuisine des ris de veau parce que mon père adorait ça. Et mon père a beaucoup compté dans mon métier, tout comme ma mère. Lui, c'était un grand gourmand. Ça a un grand succès d'ailleurs, j'en vends beaucoup!".

"La fricassée de poulet de ma mère, c'était magique"

Si certains souvenirs culinaires lui font mal au ventre, Michel Sarran a-t-il un plat dont le goût le ramène directement en enfance? "Je n'ai pas 'un' plat en tête. Pour moi, l'enfance est synonyme de plein de choses, je peux parler de la croustade du Gers que faisait ma mère, du gratin de pommes que faisait ma grand-mère… Cette recette, je l'ai beaucoup utilisée. Je pense à des plats que j'ai mangés avec des copains en étant enfant, des crêpes avec une bonne confiture d'abricot que faisait la mère de l'un d'eux. Quand on est enfant, c'est vrai qu'on est assez marqué par le sucre, plus que par le salé, mais la fricassée de poulet à l'oignon de ma mère, c'était magique, j'adorais ça", se souvient-il, les yeux écarquillés comme si le plat fumant était encore posé devant lui.

Tout le monde n'a pas la chance d'avoir une maman, ou un papa, qui a du talent en cuisine. Une fois adulte, par où commencer, quand on est élevé aux plats surgelés et que personne n'a de bonnes recettes de famille à nous léguer?

La cuisine, c'est si simple?

"Un chef trois étoiles, qui s'appelait Alain Chapelle disait: 'La cuisine, c'est beaucoup plus que des recettes'. Beaucoup de personnes sont un peu paralysées à l'idée de faire de la cuisine, parce qu'elles se disent qu'elles ne connaissent pas les recettes. Mais la cuisine, c'est aussi très simple!", tient à rassurer le chef. En exemple, il cite cette verrine: "On peut prendre des œufs, faire des œufs brouillés, ajouter de la crème, mettre un coup de mixeur pour que ça soit lisse, puis dessus, on va mettre un petit guacamole avec quelques gambas sautées, des crevettes… et on a une entrée! La cuisine, c'est juste avoir envie de faire plaisir, associer des bonnes choses".

"Ne pensez pas trop recette, recommande Michel Sarran. Penser recette, c'être dans les codes. Moi, j'ouvre mon frigo, je fais avec ce que j'ai et ça fonctionne… Bien sûr, au départ, il faut savoir au moins cuire les pâtes!".

Ne pas matraquer les enfants

Et avec des enfants, comment s'y prendre pour leur donner envie de goûter à tout? "Ma mère était une excellente cuisinière, mais elle m'a quand même fait manger des nouilles au beurre. C'était dégueulasse! Les pâtes, j'adore ça et j'adore les cuisiner, mais les nouilles au beurre… Les parents doivent pouvoir séduire leurs enfants par la cuisine". Père de deux filles, Michel Sarran a lui aussi eu du mal à convaincre l'une d'elles que ses plats étaient meilleurs qu'un menu de fast-food: "J'ai fait un boulot terrible pour la convaincre! À une époque, quand elle était petite, elle rentrait dans la cuisine en criant 'Je veux un Mc Do!', mais maintenant, elle adore les truffes!", s'amuse-t-il.

Le chef conseille de sortir de ce qu'on sait faire et de se poser les bonnes questions. "Pourquoi un enfant n'aime pas tel ou tel aliment? C'est vrai qu'on parle beaucoup des hamburgers qui viennent des États-Unis, et bien il faut s'en servir, il faut utiliser ces idées pour aller chercher un côté un peu fun. Ça demande de se remettre en cause au niveau culinaire…". Mais Michel Sarran ne veut cependant pas jouer au donneur de leçon. Oui, lui aussi, est allé manger au fast-food avec ses enfants: "Je n'ai pas eu le choix, j'y suis allé et je leur ai dit 'Vous voyez? Franchement, c'est pas bon!'. Après, il ne faut pas lutter, ne pas matraquer. Ma fille en mangeait, mais c'était plus par provocation que par satisfaction. Un jour, j'ai compris qu'elle n'était plus sûre d'elle sur ce discours. Alors je lui ai fait des burgers moi aussi, à ma façon. Elle m'a dit 'C'est sûr, c'est mieux…'. Heureusement que c'était mieux!".

Son combat

Michel Sarran est conscient qu'il y a un travail énorme à faire chez nous contre la malbouffe. Mais pour le chef et le père de famille, il y a un combat encore plus important à mener, un combat qui le touche profondément. "Aujourd'hui, on a de plus en plus de bouches à nourrir et l'industrie agro-alimentaire ne fait pas que du bien. Mais si il y a un combat que j'aimerais mener, moi, c'est surtout par rapport aux enfants qui meurent de faim. Savoir qu'il y a 2 millions d'enfants qui meurent de faim chaque année, ça, ça mérite qu'on se pose la question de savoir 'pourquoi?'. Vous imaginez, une maman qui perd son enfant parce qu'elle ne peut pas lui donner à manger? C'est horrible, et pour un chef, se dire que ce problème touche encore 2 millions de personnes… C'est deux fois Bruxelles, deux fois la ville de Bruxelles qui tous les ans meurent de faim!".

Retrouvez Michel Sarran chaque lundi dans Top Chef sur RTL-TVi.

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