Témoignages: “J’ai fui la guerre”
Ces femmes ukrainiennes nous parlent de leur pays, de leur fuite ainsi que de leur arrivée en Belgique. Un pays qu’elles ne connaissent pas mais où elles se sentent en sécurité.
Alors que les images terrifiantes d’un pays en guerre nous arrivent par le biais des médias, nous avons rencontré des Ukrainiennes qui ont subi de plein fouet les conséquences de ce conflit armé, aussi soudain que révoltant; des récits poignants remplis, malgré l’horreur de la situation, d’humilité et d’espoir.
“Si je voulais protéger mon enfant, partir était la seule solution”
Tatiana (37 ans) est arrivée en Belgique le vendredi 5 mars avec sa maman et son bébé d’1,5 an.
“Avant d’avoir mon bébé, je travaillais à la poste, à Kiev”. C’est aussi dans cette capitale qu’elle vivait avec sa famille, avant son départ fin février. “En 2022, personne ne peut s’attendre à ce qu’une guerre se déclare dans la ville où on a grandi. Lorsque les premiers bombardements ont eu lieu, une amie m’a téléphoné vers 4h du matin pour me demander si j’avais entendu les explosions. Sur le moment, je n’arrivais pas à y croire”. Les premières heures, il a fallu se rassurer, Tatiana et ses proches se disaient que les choses se calmeraient vite. Les gouvernements allaient forcément trouver une solution diplomatique.
Un départ… mais vers où?
“Nous avons passé six jours à Kiev avant de décider de fuir la guerre. Nous étions complètement perdus. Ce n’est qu’une fois en Belgique que j’ai réalisé qu’on était déjà en mars. J’avais perdu la notion du temps. Je n’ai pas choisi de venir en Belgique. C’est le hasard qui m’a amenée ici”. Après le 24 février, premier jour de la guerre, il était difficile de circuler dans Kiev, Tatiana a alors pris un train jusqu’à la frontière polonaise. “Dans le camp de réfugiés, j’ai fait la connaissance d’une Belge d’origine ukrainienne qui passait quelques jours dans sa famille quand le conflit a éclaté. Son mari était venu de Belgique en voiture pour la ramener à Liège. C’est grâce à ce couple que nous sommes arrivés ici. Jusqu’à hier, je ne savais rien de la Belgique. Je ne connais personne dans ce pays”.
Une famille disséminée
“Mon père, en âge d’être mobilisé, n’a pas pu nous accompagner. Aucun homme entre 18 et 60 ans n’a le droit de quitter le pays. Les nouvelles qui nous arrivent de Kiev sont terriblement angoissantes. Une bombe a frôlé la Cathédrale Sainte-Sophie et les écoles sont fermées. Les magasins aussi”. Entre 21h et 6h du matin, plus personne n’a le droit de sortir de chez lui. La ville est remplie d’hommes armés. Les habitants ne peuvent plus acheter de pain. Encore moins du lait ou de la nourriture pour bébé. “Si je voulais protéger mon enfant, partir était la seule solution. Nous avons tout abandonné derrière nous. Dans l’empressement, je suis partie sans mon passeport international. J’ai juste emmené ce dont j’avais besoin pour le bébé, un jeans et quatre t-shirts”.
À leur arrivée, il sont accueillis pendant deux nuits dans un hôtel près de la gare de Liège. C’est la ville qui a financé leur hébergement. “C’est la première fois depuis le début de la guerre que je ne me réveille pas en sursaut en pleine nuit. Ne me demandez pas de me projeter dans le futur: j’en suis incapable. Tout ce que je peux espérer, c’est que cette guerre se termine vite, mais pour être honnête, je n’y crois pas trop”, conclut la jeune maman.
“Personne n’est préparé à vivre un tel traumatisme”
Elena (42 ans) a quitté la ville de Khmelnytskyï en compagnie de son fils de 17 ans et de sa fille de 12 ans.
“Lorsque les premiers bombardements ont touché la ville, mon mari m’a réveillée en pleine nuit. Il a crié: ‘c’est la guerre’. Cette phrase, je ne l’oublierai jamais”. En un jour, l’armée russe avait traversé tout l’Est de l’Ukraine. Leur rapidité pour envahir le pays était sidérante. “Nous habitons près d’une usine militaire visée par les tirs russes. Notre appartement était donc en première ligne. Les 24 heures qui ont suivi, on a passé beaucoup de temps au téléphone avec nos familles”.
Vouloir rester et finalement partir pour éviter le pire
Au début, Elena et ses enfants n’envisageaient pas de quitter l’Ukraine car toute leur vie est là-bas. “Mais ce conflit armé en a décidé autrement. Quand on est réveillés, plusieurs fois par nuit, par des sirènes, on réalise l’horreur de la guerre. Mes enfants, mon mari et moi dormions habillés pour pouvoir réagir plus vite en cas de bombardements. Quand le signal retentit, on n’a que quelques minutes pour quitter l’appartement et courir se réfugier dans un bunker”. Dehors, il faisait très froid. Le soir, leur fille se couchait dans leur lit, mais, même quand elle s’endormait, Elena la sentait sursauter en permanence. “D’autres vivent des situations encore plus terrifiantes. L’amie de mon fils qui vit à Kharkiv (la deuxième plus grande ville d’Ukraine, ndlr) a vu sa maison complètement détruite par les bombardements. Il n’en reste rien”.
En Ukraine, Elena travaillait pour le Fonds des Pensions. Avant la guerre, elle n’avait jamais quitté son pays. Mais elle décide finalement de partir avec ses enfants dans un pays dont elle ignore tout, à commencer par la langue.
Se tourner vers un avenir incertain
“Avant d’arriver en Belgique, nous avons transité par la Pologne. On s’est temporairement installés dans un grand hall omnisport qui accueillait des milliers de personnes. Nous dormions sur des couchettes. Des bénévoles distribuaient des repas chauds. Nous manquions d’espace et d’intimité. Personne n’est préparé à vivre un traumatisme tel que celui-là”. En Belgique, ils se sentent en sécurité, même si leur avenir est incertain. Pour l’instant, ils sont hébergés temporairement et vont de famille en famille et ils espèrent que ça dure. “C’est mon souhait le plus cher. Je pense bien sûr à mes enfants. Je voudrais que ma fille puisse continuer à étudier, mais pour l’instant, la priorité est ailleurs. Notre pays est en guerre. Plus rien d’autre ne compte. En 2022, vivre un tel drame est totalement inacceptable”, implore Elena, mère de deux adolescents.
“Avant la guerre, Kiev était une ville européenne, libre et progressiste”
Maria, 37 ans, est arrivée en Belgique il y a 7 ans pour épouser Valéry*, son mari d’origine ukrainienne.
“J’ai rencontré Valéry à un concert de rock à Kiev. Pour lui, j’ai abandonné mon pays et j’ai fermé mon étude de notaire. Aujourd’hui, j’ai la chance, après avoir repris des études, de reconstruire peu à peu ma carrière professionnelle, mais je sais à quel point il est difficile de tout quitter”. Et encore plus lorsque c’est pour fuir la guerre. Arriver dans un pays sans en connaître la langue, c’est terriblement déracinant. “D’un autre côté, je sais que la situation à Kiev, là où j’ai vécu et travaillé, est tout simplement intenable. En parlant avec mes proches, je réalise que l’amour des Ukrainiens pour leur pays les rend souvent inconscients du danger. En temps de guerre, on finit par s’habituer aux bombes”.
Voir tout son environnement détruit, mais pas les souvenirs
“Même si les Ukrainiens croient en la force de leur armée, je sais que la situation risque encore de s’aggraver. L’appartement de ma meilleure amie a été complètement détruit par les bombardements mais elle a tenu, malgré tout, à rester là-bas”. Maria a un frère informaticien qui travaille pour une société américaine. Avant que Kiev ne soit complètement encerclée, il a réussi à quitter la ville pour se réfugier dans un petit village. “Quand je vois des images de mon magnifique pays sous les bombes, c’est toute ma jeunesse qui part en fumée. Bientôt, il ne restera plus rien des rues et des places où j’ai grandi. Un bâtiment vient d’ailleurs tout juste d’exploser juste à côté de l’endroit où j’avais mes bureaux. Avant la guerre, Kiev était une ville européenne, libre et progressiste; une ville où il faisait bon vivre. Alors, évidemment, j’ai du mal à réaliser que tout ça soit en train de disparaître”.
La solidarité se met en place à Liège
À Liège, l’aide s’organise autour de Valéry Dvoïnikov, le mari de Maria. Si son premier objectif est d’affréter des cars et des bus pour rapatrier un maximum de réfugiés vers la Belgique, il espère aussi trouver suffisamment de familles désireuses d’héberger et de nourrir des femmes ukrainiennes et leurs enfants pendant plusieurs mois. Si vous souhaitez faire des dons en nature ou soutenir le programme d’actions de Solidus-Unit orchestré par Valéry, rendez-vous sur solidus-unit.org.
*Valéry nous a servi de traducteur pour cet article.