En un coup de téléphone, la vie de Zakia a complètement changé. © Getty Images

Témoignage: “Mon frère a été assassiné”

Zakia n’a jamais eu affaire ni à la police ni à la justice… jusqu’au jour où son frère est assassiné. Derrière les toges et les palais, elle découvre un monde qui a failli la broyer.

“C’est un samedi ensoleillé. Je fais quelques courses dans un centre commercial. Le téléphone sonne. Numéro inconnu. ‘Allô ? – Madame Uriadde Zakia? – Oui. – Vous êtes bien la sœur de Uriadde Ismaïl? – Oui, mais qui êtes-vous? – C’est la police, Madame. Il y a eu une altercation. Votre frère est mort.’ Je tremble, j’ai des vertiges, je perds l’équilibre. Je n’ai jamais eu affaire à la police et à la justice. J’ai 48 ans, je suis cadre dans une boîte de télécommunication, je paie mes factures… Je ne connais pas ce monde-là. Mais est-ce ainsi que l’on annonce le décès brutal d’un frère, d’un fils, d’un époux? J’ai pris un poignard dans le cœur.

Un boucher et ses princesses

Mon petit frère était un être solaire. Je sais que l’on a toujours tendance à angéliser les personnes parties trop tôt, mais Ismaïl était vraiment un amour. Il était drôle, toujours positif et soucieux de faire le bien autour de lui. Il était boucher. Durant une quinzaine d’années, il avait eu sa propre boucherie. Puis il a eu 3 filles – ses princesses, comme il disait. Elles étaient la prunelle de ses yeux. La 2e était une grande prématurée, elle n’avait que peu de chances de survie. Quand elle est née, Ismaïl a décidé de remettre son commerce. Il voulait avoir davantage de temps pour ses enfants. C’était sa priorité. Il voulait les voir grandir. Il travaillait toujours comme boucher, mais pour un patron. Qui l’appréciait beaucoup. Son collègue était jaloux. Il lui a donné un coup de couteau. L’aorte sectionnée, ça ne pardonne pas. Ismaïl n’avait aucune chance de survie.

Ismaïl était un papa, un fils, un époux, un frère. Ce n’est pas juste un numéro de dossier

Et maintenant, on fait quoi?

Je quitte le centre commercial. Impossible de mettre le ticket de parking dans la borne. Ma main tremble trop. Une dame vient m’aider. Je file chez mon frère. Les voisins me présentent leurs condoléances. Il y a 2 flics dans l’appartement. Mais je n’ai d’yeux que pour mes nièces qui jouent dans le salon. Elles ont 6 ans, 4 ans et 6 mois. Je pense à la vie qu’elles vont devoir affronter sans leur papa. Quand je verrai Ismaïl à la morgue, je lui glisserai à l’oreille : “Pars en paix, mon frère. Je m’occupe de tes filles.” Pour l’heure, on est là, dans le salon, avec ma mère et ma belle-sœur. Complètement désemparées. On fait quoi? Aucune idée. Je suis sûre que l’accusé, lui, a déjà un avocat commis d’office. Mais nous, on est laissées à nous-mêmes. Heureusement, je connais un avocat: Max est le fils d’une amie de longue date. Je l’appelle.

Juste quelques photos

Le lundi, Max se rend au palais de justice pour voir le juge d’instruction. Je veux l’accompagner. “D’accord. Mais si tu parles, m’explique Max, ça doit être rapide et sans émotion.” J’ai glissé dans mon sac quelques photos d’Ismaïl avec ses filles. “Monsieur le juge, je vous laisse ces photos. J’aimerais que vous les regardiez de temps en temps. Mon frère était un papa, un fils, un époux. Ce n’est pas juste un numéro de dossier. “Pour moi, les choses sont claires: il s’agit d’un meurtre de sang-froid. Tout a d’ailleurs été filmé par la caméra de la boucherie. Mais Max m’explique que ce n’est pas si simple, que la vidéo n’a pas de son, que la partie adverse va peut-être plaider la provocation, il s’agirait alors de coups et blessures, nous irions en correctionnelle et il prendrait 5 ans maximum… Je suis scandalisée Hein? Quoi? C’est possible, ça? Le mois suivant, je pète carrément un plomb quand j’apprends que l’accusé a été libéré sous bracelet électronique. J’ai du mal à y croire! Il est chez lui? On a tous été confinés, on sait ce que c’est. OK, on ne peut pas sortir, mais on est avec sa famille, on dort dans son lit… Le type a quand même tué mon frère 3 semaines plus tôt! Ismaïl est mort sur le carrelage d’une boucherie, parmi les carcasses de moutons. Et le type rentre chez lui… C’est quoi cette justice?

Tout au long du procès, l’accusé n’émet pas le moindre regret

Faites entrer l’accusé

Tous les matins, je me réveille avec une boule au ventre. Avec les mots du policier au téléphone. Ça me bouffe de l’intérieur. Il n’existe sans doute pas de bonne manière d’annoncer un décès, mais là, c’était brut de décoffrage! On me propose de voir un psy, un assistant social… Je suis sur liste d’attente. Comme si ma douleur pouvait attendre! Malgré la présence de quelques amis fidèles, je me sens très seule. Pour me réconforter, je regarde les 280 numéros de Faites entrer l’accusé. C’est le témoignage des proches de victimes qui m’intéresse. Elles ont vécu ce que je vis. Elles parlent du vide abyssal, de la douleur qu’il faut apprivoiser… Et de la justice, bien sûr. Le dossier suit son cours. L’accusé est renvoyé devant les assises pour homicide volontaire.

Tout au long du procès, il n’émet pas le moindre regret. À l’entendre, Ismaïl se serait empalé sur son couteau. Comme l’avait prévu Max, ses avocats plaident la provocation. Un épicier voisin explique que c’est un malheureux concours de circonstances. Si ça c’était passé dans une boutique de peluches, Ismaïl aurait été frappé avec un nounours… Il faut encaisser tout cela sans broncher. Vient ensuite mon tour de m’exprimer. Je parle des petites. Leur papa n’est jamais revenu du travail parce qu’un collègue était de mauvaise humeur et l’a tué froidement. En grandissant, elles auront besoin de savoir que la justice a fait son travail en le condamnant à une lourde peine. Puis Max fait entendre un vocal retrouvé sur le smartphone de mon frère. La voix de mes nièces résonne dans le tribunal: “Papa, je t’aime.” Et Ismaïl, un grand sourire dans la voix, qui leur répond: “Mes filles, je vous aime.” Quelle émotion!

Des mots qui réparent

L’avocate générale plaide dans la foulée. Elle représente la société. À un moment, elle dit: “Je voudrais présenter mes excuses à Zakia. Parce que la manière dont elle a été prévenue du décès d’Ismaïl, en plein centre commercial, je trouve cela inadmissible. Ça ne devrait pas se passer ainsi. Et vraiment, au nom de la société, je tiens à vous présenter mes excuses.” Merci, Madame, merci! J’ai traîné ce trauma H24 depuis la mort de mon frère. Vous ne pouvez imaginer ce que vos mots ont réparé en moi. J’avais la sensation d’être écrabouillée par tout ce système et vous y avez remis de l’humain. Merci du fond de mon cœur ! Le lendemain, je me suis réveillée sans la boule au ventre qui me tenaillait depuis le drame. L’accusé a été condamné à 16 ans de prison. C’est sans doute le chapitre le plus douloureux de ma vie. En peu de temps, j’ai perdu mon papa de vieillesse, une amie d’un cancer du sein, une autre d’un accident domestique, puis Ismaïl. Chacun de ces départs m’a affectée. Mais la sauvagerie d’un meurtre, c’est une douleur incomparable. Puis on est confronté à la justice avec son manque de temps, son manque de moyens… Et toute la communication inhumaine qui en résulte. C’est l’amour de mes nièces qui m’a permis de garder la tête hors de l’eau. Leurs câlins, leurs bisous magiques. Et puis, elles ressemblent tellement à leur papa!”

À lire Zakia Uriadde, Respire !, éd. Lamiroy

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