Le billet d’humeur d’Émilie: l’art d’accumuler des livres qu’on n’a pas lus
Elle s’élève quelque part chez vous à côté de votre lit, dans le couloir, près du canapé. Elle ne cesse de croître et pourtant vous ne vous y attaquez toujours pas. C’est la fameuse “pile à lire”, qui porte le doux nom de “tsundoku” au Japon. Que faut-il penser de cet art de l’accumulation?
S’il est de bon ton de fustiger la société de consommation, la surconsommation de livres semble étrangement échapper à la règle. Entasser des bouquins serait-il plus vertueux que d’accumuler de l’électroménager, du maquillage ou des vêtements? Sous prétexte qu’ils renferment du savoir, de la connaissance, des histoires?
“Il faudrait que je lise”
Tous les soirs quand vous vous affalez dans votre canapé avec votre GSM, vous ressentez une culpabilité quand votre regard se pose sur cette pile de livres. Vous vous dites: “il faudrait que je lise tout ça”. Mais vous manquez de temps… et d’énergie. Il faudrait que vous bloquiez dans votre agenda du temps pour lire. Puis finalement, vous n’avez jamais réussi à lire dans ce salon. C’est peut-être à cause du canapé, de la lumière, de la table basse toujours encombrée dont la vue vous décourage. Ou est-ce peut-être à cause du manque de place. En fait, il faudrait une plus grande bibliothèque, un plus grand salon. Pourquoi faut-il toujours plus d’espace pour caser toujours plus de choses, alors qu’on a toujours moins de temps et d’énergie?
Une présence rassurante
“Accumuler des livres qu’on n’a pas encore lus est une façon bénéfique de nous rappeler tout ce que nous ignorons”. Voilà ce que me répond un ami lorsque j’invite à limiter notre soif de posséder des livres et à hiérarchiser nos possessions. Pour beaucoup, posséder des livres, même non lus, c’est s’entourer d’une présence rassurante. Parce qu’elle évoque les doux moments de lecture blottis au fond de son lit, qu’elle nous rappelle des émotions, des histoires qui nous ont touchés. Une présence qui rassure aussi parce qu’elle symbolise le savoir, l’intellect, l’ouverture au monde. Rien qu’en regardant la pile qui s’érige fièrement vers le plafond, on se sent déjà plus intelligent. Elle nous renvoie une belle image de nous-même. Une bibliothèque bien remplie, c’est afficher qu’on fait partie de ceux qui lisent, donc de ceux qui sont cultivés, qui s’instruisent. Si on les lit effectivement!
Défendre la lecture, pas la possession des livres
Je ne condamnerais jamais le fait de lire des livres. Il faut lire. Mais sommes-nous obligés de posséder des livres pour lire? On croit détenir le savoir en faisant des piles, mais c’est simplement de l’espace qu’on occupe. Ce qui est important c’est d’assimiler cette connaissance, de s’évader à travers des récits, de découvrir de nouveaux horizons… Pas de contempler des couvertures, pétris de culpabilité, parce qu’ “il faudrait lire tous ces livres achetés”. Si certaines personnes vivent très bien parmi les piles de livres non lus, d’autres peuvent en souffrir et le vivre comme un fardeau. Elles leur rappellent tous les jours ce qu’ils devraient faire et qu’ils ne parviennent pas à faire. C’est s’infliger au quotidien un sentiment de culpabilité. D’autant qu’on n’a jamais vécu dans une société où autant d’informations, de connaissances et de savoirs étaient disponibles. De qualité variables certes, mais elles nous inondent. Et on ne cesse jamais d’en produire. C’est sans fin, contrairement à la taille de votre bibliothèque. C’est pour cette raison qu’il est urgent de hiérarchiser, de choisir, de limiter.
Je l’ai plusieurs fois constaté chez des clients chez qui j’opère en tant que home organiser: les livres, c’est sacré. On ne jette pas un livre. C’est un sacrilège, qui rappelle d’ailleurs les périodes sombres de notre histoire où les autodafés étaient un moyen de censurer et condamner un savoir, une culture, une vision du monde. Si on ne jette pas des livres, on peut alors les donner, les abandonner sur un banc, dans une boîte aux livres, ne pas les réclamer auprès de ceux qui oublient de vous les rendre… Et ensuite? C’est sa consommation qu’il faut réduire et réviser. Et si on retournait simplement à la bibliothèque?
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