“Vieille fille”: l’essai que toutes les célibataires devraient lire
Dans “Vieille Fille”, Marie Kock, journaliste et autrice, évoque la possibilité d’une vie épanouie en dehors de la construction d’un couple et d’un foyer. Nous l’avons rencontrée.
Aigries. Frigides. Désenchantées. Voilà comment certains esprits étriqués dressent encore le portrait des “éternelles célibataires“. Marie Kock, Parisienne, 40 ans passés, en est une. À 38 ans, elle s’est retirée du jeu du dating: après des années à organiser sa vie dans l’espoir de se mettre en couple, elle a déclaré forfait. S’en est suivi une réflexion sur ce statut que l’on regarde encore de travers, là où il comporte pourtant une foule d’avantages, à commencer par celui de jouir d’une liberté infinie. Dans son essai, elle nous pose une question: la vieille fille n’aurait-elle pas finalement un destin enviable, loin des carcans, de la charge mentale et des alliances impossibles à défaire?
J’ai ressenti beaucoup de tristesse, surtout de mes 35 à mes 39 ans
Comment définir la vieille fille en 2023?
“À l’époque, la notion de virginité entrait en compte dans la définition. La vieille fille n’avait jamais eu de relations sexuelles et resterait vierge jusqu’à sa mort. Elle devait aussi ne pas être mariée, ni avoir d’enfant. Aujourd’hui, elle est considérée comme une femme qui ne vit pas en couple, et qui ne partage donc pas son espace, qui n’a pas d’enfant et qui n’en aura a priori pas. L’âge importe ici, car il faut qu’il n’y ait plus l’espoir d’enfanter, une forme de résiliation.”
Pourquoi le terme a-t-il une connotation si cruelle?
“Une vieille fille, au sens littéral, c’est une personne qui n’a pas réussi sa transformation de fille à femme. Qui n’a pas été choisie. Vieille et fille sont deux termes qui n’ont d’ailleurs rien à faire ensemble. Avec ce livre, je voulais montrer que ce qualificatif presque insultant pouvait être riche en options de vie. Si cette expression est restée une insulte pendant tout ce temps, c’est aussi parce qu’on ne voulait pas imaginer que le célibat puisse être un choix; c’était impensable qu’une femme refuse la compagnie d’un homme. Le terme inverse n’existe pas vraiment, ce qui témoigne d’une vision assez sexiste du monde. Dès que l’on périme biologiquement, on rentre dans cette catégorie de ‘vieille fille’, là où un homme n’a pas de limites aussi claires.”
Vous avez souffert d’être célibataire? Qu’est-ce qui vous a aidé à assumer votre statut?
“J’ai ressenti beaucoup de tristesse, surtout de mes 35 à mes 39 ans. Je faisais pas mal de dates, j’avais des relations, mais jamais assez stables pour fonder une famille. Je ne savais pas si j’en avais vraiment envie, mais j’avais quand même les yeux rivés sur le compteur: cette question de la maternité devenait obsédante. Et puis, je me suis lassée de cette obsession, j’ai réalisé que je m’intéressais, moi-même, et que je ne pouvais pas passer ma vie dans l’attente que l’amour me tombe dessus.”
Un jackpot qui ne tombe pas
Marie Kock arrête les applis de rencontre pendant quelques semaines (avant de repartir à l’assaut). Un sevrage qu’elle trouve agréable et qui lui permet de réaliser que la vie est plus simple quand elle ne tourne pas autour de cette recherche effrénée du couple. Elle a soudainement le temps de faire beaucoup de choses, de penser à d’autres aspects de sa vie que l’accomplissement par la maternité et le couple.
Vous comparez le couple au Lotto…
“Oui, parce que même si on y joue tous les jours, on ne peut pas organiser sa vie dans la certitude qu’on gagnera le gros lot. Je crois toujours au jackpot amoureux, mais je ne veux plus baser mon existence sur la probabilité que je le toucherai. Avant ce déclic, c’était le cas: la question des enfants représentait ma grille de lecture pour tout. Même si je m’épanouissais au boulot, je relisais cet épanouissement à travers la grille de la non-maternité: si je réussissais si bien, c’est parce que je n’avais pas d’enfant. Et ainsi de suite. Cette disposition mentale rendait tout décevant: le jour où j’allais avoir un homme dans ma vie, tout irait mieux, comme par enchantement.”
Pourquoi le modèle du couple continue-t-il de séduire?
“Ce que j’explique dans le livre, c’est que s’abandonner à quelqu’un évite de se heurter à son propre vertige existentiel. Ça veut dire quoi ‘être vivant’ quand on n’est pas au service de son compagnon ou de ses enfants? Quand on se débarrasse de cette mission imposée par la société, il est très difficile de trouver un sens à sa vie. Tout est plus mouvant et je comprends qu’on puisse ne pas avoir envie d’une vie de turbulences. On m’a souvent dit que j’étais indépendante et courageuse. Mais ça a été très difficile, et aujourd’hui, ça ne l’est plus du tout. En écrivant ‘Vieille fille’, je voulais aussi montrer qu’être seule est un apprentissage qui peut être long. Au fur et à mesure, on peut devenir plus à l’aise avec ces questions-là. Même si le célibat peut être désagréable, ce que je ne nie pas, il est peut-être sage de ne pas s’installer dans une relation peu épanouissante dans le seul but d’échapper à soi-même.”
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Seuls, même en couple?
D’autant que le sentiment de solitude peut exister au sein du couple…
“C’est exact, l’expérience humaine est intrinsèquement solitaire et c’est aussi ça qu’il faut accepter. On parle beaucoup de la solitude du célibataire mais très peu de celle qui peut exister dans un couple. Selon moi, cette solitude est encore plus dangereuse. Je pense à ces personnes qui investissent tout dans l’entreprise du couple et plus rien en dehors. Elles se retrouveraient dans des situations très précaires socialement si elles se séparaient. Le célibat permet de construire d’autres formes de relations. Des liens qui sont moins dans la codépendance et qui sont en vérité beaucoup plus stables qu’une relation de couple. Mais on n’est pas éduqués à valoriser ce type de relations. »
La famille représente le règne de la vie matérielle: on gère les repas, les activités… Ce qui laisse très peu de temps pour s’intéresser à d’autres sujets
Vous expliquez que ne pas avoir d’enfants ou de compagnon vous permet d’être davantage dans le soin de vos amis…
“Je suis un peu la maman de mes copines. Dans notre société, on considère qu’on est censés protéger ce qui est estampillé ‘à nous’ : notre compagnon, nos enfants, éventuellement nos parents. Il y a très peu de soin apporté aux adultes de manière générale, alors que beaucoup de trentenaires/quadras vivent des crises existentielles. C’est une période où l’on commence à être fatigués et abîmés par la vie. Je trouve qu’il est essentiel d’être là les uns pour les autres, en dehors des relations familiales.”
Financièrement, il y a cette idée reçue que le couple enrichit. Vous amenez une contre-proposition!
“C’est vrai qu’on s’enrichit, dans le sens où l’on a accès à un tas de choses auxquelles on n’a pas accès seul. En couple, on vit au-dessus de ses propres moyens. Se lance alors une sorte de machine qui nous crée de plus en plus de besoins. En tant que célibataire, je me suis éduquée à ne pas avoir envie de ce que je ne peux pas m’offrir. Je réalise que la gestion financière en duo peut vite s’apparenter à une prison, car si on se sépare, on a l’impression de se déclasser économiquement. On se dit ‘Ah, si je le quitte, je ne pourrai jamais me payer un aussi grand appartement’. Au final, certains couples restent ensemble pour préserver un train de vie. C’est pourquoi je me sens plus riche en étant célibataire, parce que ma vie m’apporte une sécurité financière. Même si je me remets un jour en couple, je sais que je ne voudrais plus partager mes ressources financières. Je préfère vivre de façon moyenne tout en sachant que mon train de vie n’est pas lié à ma relation.”
Vous dites que le célibat permet de jouir de son temps pour se stimuler intellectuellement. En couple, on perdrait du temps de cerveau disponible?
“Le couple et la famille demandent énormément de logistique. Quand je passe du temps avec des amis qui ont des enfants, je remarque à quel point la famille prend toute la place. Ça apporte évidemment beaucoup de joie, mais je trouve que la vie de couple et familiale représentent le règne de la vie matérielle: on gère les repas, les organisations, les activités… Ce qui laisse très peu de temps pour s’intéresser à d’autres sujets. Je le dis sans jugement de valeur. Créer une famille nécessite du temps et cela ne nous rend plus très curieux. L’horizon se resserre sur notre cocon. Le fait de construire une cellule sécurisante, une lignée, nous met dans une position plus conservatrice: on a envie de conserver ce qu’on a construit et ça opère fatalement une modification de notre façon de penser.
Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais désirer un homme déconstruit réduit le champ des possibles
À côté de ça, être célibataire permet de se délester du poids d’être la bonne amie, la bonne épouse… D’être une femme comme on nous a appris à l’être. Ça nous enlève aussi un travail quotidien: celui de parvenir à une relation égalitaire, dans le partage des tâches, par exemple. Peu d’hommes sont capables d’entrer en relation avec une femme qui ne serait pas dans une forme de service et d’attention. Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais désirer un homme déconstruit réduit le champ des possibles. Alors je préfère me retirer de jeu: l’entreprise me paraît tellement monumentale”.
50% d’échecs
Les vieilles filles seraient-elles désillusionnées?
“Je remets en question le couple et non pas l’amour. En fait, je pense que le couple n’est pas fait pour les personnes trop sensibles. Cela nécessite un pragmatisme qui n’est pas compatible avec une forme plus idéalisée de l’amour. Ce qui m’intéresse dans la vie, c’est de vivre l’amour amoureux, sous toutes ses formes. On fait comme si le couple et l’amour étaient des synonymes alors que ce n’est pas le cas. On continue à considérer que la réalisation passe par la vie de couple alors que statistiquement, on voit bien que ça ne fonctionne pas. On a une chance sur deux de perdre, mais on continue à parier et à considérer que c’est le modèle le plus efficace. Si on devait prendre l’avion avec ce genre de statistiques, on ne voyagerait plus très loin. Les vieilles filles sont d’indécrottables romantiques: ce sont des femmes qui attendent beaucoup de l’amour et qui n’ont pas envie d’être en couple par défaut. Elles voient l’amour comme un miracle, qui peut se produire, ou pas”.
Vous évoquez aussi cette quasi-obligation d’avoir des relations sexuelles…
“Si la vieille fille est une figure de décroissance matérielle, elle l’est aussi au niveau sexuel. On nous parle de la sexualité de manière industrielle: il faut faire l’amour régulièrement; sinon, c’est qu’on a un problème. Une femme qui arrête le dating peut signifier qu’elle ne couche plus, et ça fait peur. On oublie que le besoin sexuel est une construction sociale. Certes, c’est une bonne façon de créer du lien, de la dopamine, mais il en existe d’autres, aussi riches. Ça n’a aucun sens de penser que l’humain est fait pour faire l’amour tout le temps. Il m’arrive d’y penser en permanence et d’en avoir envie tout le temps. Et puis, plus du tout. Je veux montrer que cette alternance entre des phases d’asexualité et d’autres plus actives est aussi naturelle que l’hiver et l’été”.
Avez-vous eu des appréhensions à rédiger le bouquin?
“Ce fut un processus très angoissant. J’ai souvent voulu tout arrêter car je suis une personne assez pudique. Ici, j’ouvre ma maison aux quatre vents. J’avais peur de la réaction de mes proches, de ma famille. La promotion du livre a été compliquée car on me demandait d’incarner une sorte de célibat positif, alors que je ne me sens pas célibataire. Je trouve que c’est une catégorie qui n’est plus pertinente aujourd’hui. Le fait d’être en couple ou pas n’est pas déterminant dans la réalisation de soi et la construction de l’individualité, donc c’est compliqué de se faire porte-parole d’une catégorie. Par contre, j’ai eu une très bonne surprise en découvrant que ce sujet intéressait bien plus de femmes que ce que je pensais, quelle que soit leur situation conjugale et familiale, et quel que soit leur âge”.
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