Pourquoi “Yoga” d’Emmanuel Carrère est vraiment un livre sur le yoga
Yoga. Difficile de faire un titre plus court et plus sobre que ce mot en deux syllabes. Beaucoup y verront d’ailleurs une petite supercherie, car finalement, Emmanuel Carrère n’y consacre que la première partie de son livre. Pourtant, ce récit est le yoga même, et avec 392 pages, l’auteur en livre une belle démonstration.
Grâce à l’exercice de l’écriture, Emmanuel Carrère réunit différents chapitres de sa vie: un stage de méditation, son internement à l’hôpital psychiatrique et un séjour sur l’île de Léros aux côtés de jeunes migrants afghans. Le yoga est le point de départ et le fil conducteur de ce récit d’autofiction. S’il n’aura pas réussi à protéger l’écrivain d’un terrible épisode de dépression, il lui aura livré un modèle thérapeutique: observer sans juger (ou en tout cas en jugeant moins) et chercher l’harmonie pour unifier les forces contraires qui agitent l’existence.
Un livre souriant et subtil sur le yoga
Alors que le magazine Le Point consacre en janvier 2018 un dossier spécial sur le yoga, Emmanuel Carrère, fervent pratiquant depuis vingt ans, est interviewé par un journaliste qui semble bien ignorant sur la question. Beaucoup réduisent cette pratique en vogue à une gymnastique bienfaisante et ignorent toute sa dimension spirituelle et philosophique. Les asanas, les postures, ne sont que la partie visible du yoga, dont le but est d’unifier la conscience au travers de l’exercice ultime: la méditation. C’est à ce moment qu’Emmanuel Carrère a l’idée d’y consacrer son prochain livre et ressort de ses archives les notes prises à la suite d’un stage intensif de méditation (Vipassana).
Lorsqu’il consigne cette expérience en 2015, jamais il ne se doute que la vie lui infligerait une expérience bien plus éprouvante que 10 heures de méditation par jour pendant 10 jours. Sans qu’il en explique la raison (mais on devine qu’il s’agit d’une rupture), il plonge dans une terrible dépression qui va remettre en question son projet de “petit livre souriant et subtil sur le yoga”, comme il le répète plusieurs fois dans son dernier livre.
Le yoga de l’écriture
Force est de constater que méditer régulièrement sur son zafu n’aura pas protégé l’écrivain de l’orage de la dépression (qui aura tout de même duré trois ans). Faut-il dire pour autant que le yoga a échoué dans sa vocation à calmer les fluctuations mentales? Pas tout à fait. Dans les deux autres récits qui suivront, l’écrivain raconte son long cheminement pour sortir de sa “folie” et se faisant, s’adonne à un exercice de yoga grandeur nature. Comme un yogi qui observe son inspiration et son expiration et qui tend à unifier son corps et son esprit, Emmanuel Carrère observe les mouvements contraires qui ont agité cette période de sa vie et, en les transposant dans un livre, leur donne finalement une unité. Il parvient à démontrer comment le yoga peut revêtir d’autres formes comme l’écriture, et que cette forme-là, d’une certaine manière, l’aura sauvé. “Tout ce à quoi on s’applique avec sérieux et avec amour, du kung-fu à l’entretien des motocyclettes, peut être qualifié de yoga”, écrit-il dans Yoga.
Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir
Inspirer et expirer. Étirer et relâcher. La rapidité et la lenteur. La lumière et l’ombre. L’extérieur et l’intérieur. Le verre à moitié plein ou celui à moitié vide. Le beau temps après la pluie. La joie et la tristesse. Dans Yoga, Emmanuel Carrère retranscrit le flux binaire qui infuse le quotidien et qui nous qui fait osciller entre la crainte et l’espoir du mouvement suivant. Mais il montre surtout que tant qu’ils se succèdent, c’est qu’il y a de la vie et l’inverse est vrai également. Il y a donc toujours une chance d’aller mieux.
“Il est vital, dans les ténèbres, de se rappeler qu’on a aussi vécu dans la lumière et que la lumière n’est pas moins vraie que les ténèbres. Et je suis certain que cela peut être un bon livre, un livre nécessaire, celui qui ferait tenir ensemble ces deux pôles: une longue aspiration à l’unité, à la lumière, à l’empathie, et la puissante attraction opposée de la division, de l’enfermement en soi, du désespoir. Ce tiraillement est plus ou moins l’histoire de tous les hommes, il se trouve que chez moi, il prend ce tour extrême, pathologique, mais puisque je suis écrivain, je peux en faire quelque chose. Je dois en faire quelque chose. Ma triste histoire particulière peut atteindre à l’universel”. (Yoga, Emmanuel Carrère, éd. P.O.L, 2020)
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