Disparition de Natacha de Crombrugghe: “Il y avait de moins en moins d’espoir de la retrouver vivante”
Deux ans après la disparition de Natacha de Crombrugghe au Pérou, sa maman, Sabine Verhelst, publie un livre pour raconter et ne rien oublier. Natacha aurait eu 30 ans ce 20 janvier.
Natacha, à la recherche de notre fille vient d’être publié aux Éditions Kennes. Il retrace, jour après jour, les recherches, les doutes, les incompréhensions, la tristesse, mais aussi les petits bonheurs qui ont envahi ses parents, Sabine Verhelst et Éric de Crombrugghe, ces derniers mois. Nous les avons rencontrés.
La grande aventure
Le 1er janvier 2022, Natacha s’envole pour le Pérou, sac sur le dos, elle veut vivre sa grande aventure. Trois semaines après son départ, on signale sa disparition. Pendant dix mois, Sabine et Éric remueront ciel et terre pour la retrouver… Jusqu’au jour où un corps est découvert dans le canyon où elle faisait un trek. Durant ces mois de recherches, et trois allers-retours entre la Belgique et le Pérou, tous les scénarios ont été étudiés: homicide, accident, enlèvement, prostitution… “Car au Pérou, on déclare la disparition de 1000 femmes chaque mois”, nous rappelle Éric de Crombrugghe.
Les parents de Natacha ont coordonné les recherches d’une main de maître, ils ont été le lien entre les politiques, la police et les ambassades des deux pays… Il était de leur devoir de ne laisser aucune piste de côté. Aujourd’hui, s’ils n’ont pas obtenu toutes leurs réponses, ils savent une chose: il était essentiel de perpétuer la mémoire de leur fille à travers un livre.
Rester unis, était-ce possible?
Qu’elle est l’importance de ce livre, aujourd’hui, deux ans après la disparition de Natacha?
Sabine Verhelst: “C’était nécessaire de l’écrire, d’abord pour raconter notre chemin à Natacha car on pensait bien la retrouver. C’était tellement fou et fort tout ce qu’il se passait, elle devait savoir. Et puis, petit à petit, on s’est dit qu’il fallait garder la mémoire de tout ça car s’il y avait une enquête, un procès, il faudrait retenir les noms, les lieux… On se devait aussi de partager nos avancées et notre histoire aux amis de Natacha qui nous ont soutenus moralement et financièrement. Et puis parce qu’au quotidien, on n’a pas raconté tout ce qu’il se déroulait sur place, on ne voulait pas les inquiéter. Mais ce livre, c’est surtout pour la mémoire de Nat. Tant qu’on parle d’elle, elle est vivante, elle continue à vivre à travers les gens qui pensent à elle. J’avais aussi besoin de sortir ça de ma tête, de le mettre sur papier, pour évacuer”.
Dans ce récit, vous vous racontez en tant que couple et parents qui vivent un moment tragique, comment fait-on pour rester unis?
Sabine Verhelst: “Au début, ce n’était pas évident, ça a d’ailleurs éclaté, mais on s’est dit qu’il fallait faire équipe. Comme on est assez complémentaires, chacun avait son rôle. Éric, c’était plus le côté administratif, et moi, ça partait dans tous les sens, je fonçais”.
Éric de Crombrugghe: “C’était difficile car quand on a appris sa disparition début février 2022, je ne voulais pas penser à l’homicide, à l’accident, au viol… On était à 12.000km d’un endroit qu’on ne connaissait pas; avant d’imaginer quoi que ce soit, on se devait d’aller sur place pour comprendre. Je pensais qu’on allait la retrouver, je ne voulais pas tirer de conclusions hâtives. Arrivé sur place, j’ai compris qu’il fallait envisager toutes les pistes et on est devenus complémentaires”.
Sabine Verhelst: “Éric ne voulait pas admettre qu’il lui était possiblement arrivé quelque chose. Moi, je voulais enquêter sur tous les tableaux. Je me disais que si elle était quelque part, peu importe la cause, il fallait la retrouver”.
La détermination, indispensable
Durant ces recherches, vous avez fait face à de nombreuses promesses, à de faux témoignages, aux avis de chamans même… Comment avez-vous eu la force d’enquêter sans relâche?
Éric de Crombrugghe: “On a été épatants tous les deux, on a été jusqu’au bout, sans jamais baisser les bras. On a des foutus caractères, mais c’était nécessaire. On a très peu été aiguillés, on a beaucoup décidé et agi par nous-mêmes. Chaque piste a été étudiée et tant qu’on n’avait pas obtenu ni de réponse positive ni négative, on continuait”.
Sabine Verhelst: “Toute cette histoire s’est déroulée dans un petit village, il y avait beaucoup de ragots, chacun se renvoyait la balle, ça créait de petites guerres entre habitants, et les rivalités ressortaient. C’était compliqué de démêler le vrai du faux, on a donc vraiment analysé chaque piste évoquée”.
Les parents de Natacha insistent: ils ont manqué de guidance sur place. “Quand on arrive dans un pays, il faudrait que les ambassades nous briefent sur le pays, sur sa mentalité et son fonctionnement. On aurait dû savoir qu’au Pérou, les promesses partent souvent en fumée et que tout se passe à Lima. On aurait dû nous expliquer comment fonctionne le système juridique et policier, quelles étaient les personnes et les organisations-clés à contacter. Finalement, ce sont grâce à nos rencontres qu’on a appris comment procéder”.
Jusqu’à la découverte du corps, quelle était votre intime conviction?
Sabine Verhelst: “Je pensais à un assassinat, mais j’espérais au fond de moi qu’elle ait été vendue à un baron de la drogue, qu’elle soit dans une villa de luxe enfermée et qu’à la limite, elle en tombe amoureuse, que ce soit le moins pire possible. On avait vu un film sur ce sujet avant son départ. C’était le feuilleton qu’on se repassait pour se donner de l’espoir. J’ai aussi imaginé qu’elle ait rencontré quelqu’un de malveillant qui l’aurait emmenée. Je me suis dit que durant ce trek, elle pouvait s’être fait agresser et tuer, aussi. Avant la découverte du corps dans le canyon, les policiers tablaient à 90% sur un homicide, mais ils n’avaient rien récolté de tangible. On a entendu tellement d’histoires et de faux témoignages que lors de la découverte du crâne et des os des jambes, on a fait un démenti… Et si c’était encore un scénario monté de toutes pièces?”.
On a entendu tellement de faux témoignages que lors de la découverte du corps, on a fait un démenti…
Éric de Crombrugghe: “J’imaginais un assassinat, un kidnapping, mais jusqu’au bout, je sais qu’on l’a espérée vivante. On ne pouvait pas perdre espoir”.
La dernière vérité a-t-elle été un soulagement?
Éric de Crombrugghe: “Lorsqu’on a su que c’était bien elle, après tout le stress qu’on a connu, l’adrénaline, les nuits sans sommeil, on n’avait soudainement plus l’urgence des recherches, oui. Disons ce qui est: c’est fou que Natacha soit restée accrochée entre deux rochers; si elle était tombée plus bas, elle se serait fait emporter par l’océan et on serait toujours sur place à la chercher. On aurait fouillé en Bolivie, au Guatemala, on aurait fouillé partout!”
C’est un miracle qu’on l’ait retrouvée
Sabine Verhelst: “Ça a été un soulagement pour moi, on arrivait au bout. Intuitivement, plus le temps avançait, plus je me disais qu’elle n’était plus là. La troisième fois qu’on est retournés au Pérou, j’ai eu un pincement au cœur, je me suis dit ‘Cette fois, il y a peu d’espoir de la retrouver vivante’. Quelque part, je pense qu’on cherchait plutôt un corps. Je n’aurais pas eu ce soulagement dans les premiers mois, mais ici, j’étais comme prête. C’est un miracle qu’on ait retrouvé son corps”.
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Avancer mais ne jamais oublier
Après le rapatriement du corps, après les funérailles, comment avez-vous pu redémarrer, reprendre un quotidien?
Sabine Verhelst: “Pour moi, ça a été l’écriture du livre, jusqu’au mois de juin dernier. On avait aussi cette idée de repartir en décembre 2023 au Pérou, avec les frères de Natacha (deux d’un premier mariage, un troisième plus jeune, ndlr). Je voulais rester active, transformer tout ça en positif, donner du sens aux événements. À la maison, il y a des photos de Natacha partout, on allume des bougies tous les soirs. On est en connexion avec elle tout le temps. La journée, on est occupés; le chagrin, c’est surtout la nuit”.
Retourner sur place a permis aux parents de Natacha de vivre proches d’elle, intensément, comme si celle-ci les accompagnait dans ce voyage. “Lorsqu’on a fait le trek, j’ai senti sa présence, elle nous a envoyé des signes et ça m’a réconfortée sur la cause accidentelle de sa mort. Elle est partie heureuse. Ce voyage a aussi permis de resserrer les liens de notre famille recomposée, surtout les liens entre frères, qui ont pris conscience de beaucoup de choses. Ce voyage nous a boostés. Ça faisait longtemps qu’on n’avait plus souri, fait la fête, dansé…”.
Notre cœur est aussi là-bas, au Pérou
Éric de Crombrugghe: “On a repris le travail tous les deux, mais le manque est là, tout le temps. Je l’entends dans mon oreille, ‘Papa, je suis là…’. Quand on a marché dans ses pas, c’était intense émotionnellement. On voulait montrer à nos fils ce qu’on avait vécu durant dix mois. Ils étaient loin de tout, ils ont parfois appris des choses via la presse, on n’était pas toujours disponibles. Ces deux semaines en famille, suivies de deux semaines à nous deux, nous ont fait beaucoup de bien, et nous ont permis de découvrir le Pérou, qui est aujourd’hui notre seconde maison”.
Quelle place a le pays dans votre cœur?
Éric de Crombrugghe: “Au début, le Pérou était le cimetière de ma fille, le pays qui m’avait rendu furieux et fatigué. Après le premier voyage, j’assurais que plus jamais, je n’y retournerais. Mais au fil des semaines, puis des mois, je me suis mis à l’apprécier. Aussi parce que certaines personnes nous ont tellement aidés. Notre cœur est désormais là-bas”.
Sabine Verhelst: “Peut-être qu’on ne réagirait pas de la même façon si ça n’avait pas été un accident. Le Pérou est un pays plein de contrastes: il y a les trafiquants, la traite des femmes, l’injustice sociale, tout ça est horrible, mais à la fois, ce sont des gens chaleureux, beaux, généreux et humains”.
Tout au long du livre, vous dites que vous avez du mal à dormir, est-ce qu’aujourd’hui, vous avez trouvé le sommeil?
Éric de Crombrugghe: “C’est encore compliqué. Les insomnies sont bien présentes car on n’a pas eu toutes les conclusions, j’ai beaucoup de questions qui me restent en tête. On a cherché pendant dix mois, on n’abandonne pas comme ça… Je n’ai pas envie de me dire ‘Bon, c’est un accident, c’est sûr’. Allons au bout de cette enquête car il reste des points d’interrogation”.
Sabine Verhelst: “Il y a des nuits sans, mais de manière générale, je dors mieux, et le livre m’a aidée dans ce sens. Éric est moins tranquille que moi. De mon côté, je n’ai pas envie de savoir autre chose, c’est un accident et c’est comme ça. Mais c’est certain, la sortie du livre ressasse tout, et les nuits sont pour le moment moins tranquilles…”
Un fonds de soutien local
Les bénéfices des ventes du livre iront au fonds Natacha-Colca qui a pour mission de financer des projets dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, de la culture et du développement durable, en réponse aux besoins concrets des habitants des zones rurales autour de Cabanaconde.
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