Interview: Aude Mermilliod raconte son IVG dans une BD
Il fallait que je vous le dise… Dans cette bande dessinée, Aude Mermilliod nous invite dans sa vie, le temps d’un IVG et de la période qui l’a suivi. Un moment intense où elle a décidé de refuser, comme elle le dit si bien.
C’est dans les bureaux des Éditions Casterman qu’on a rencontré Aude Mermilliod, une jeune femme de 32 ans, souriante et bavarde qui nous a directement mises à l’aise. Avec elle, on a discuté de son livre Il fallait que je vous le dise qu’elle a écrit et illustré. Elle y raconte son avortement, quand elle avait 24 ans, mais aussi l’histoire du docteur Martin Winckler, un médecin qui pratique l’IVG.
Interview d’Aude Mermilliod
Qu’est-ce qui vous a donné envie, 8 ans après votre avortement, d’écrire un livre?
“À l’époque déjà, j’avais écrit des textes quotidiens. Je m’étais dit qu’un jour il fallait qu’ils deviennent quelque chose. Mais à ce moment-là, c’était de la bouille sentimentale (rires). C’était de l’ordre du journal intime et cela n’avait pas d’intérêt, à part pour moi”.
Derrière ces textes, il y avait déjà l’idée d’un livre?
“Il y avait l’idée de se dire que ce que je disais n’était pas inintéressant sur le plan émotionnel. Mais quand ma belle-sœur, enceinte, est venue nous rendre visite avec mon conjoint, c’était percutant pour moi de la voir enceinte. Même si j’ai beaucoup de neveux et nièces, là je ne sais pas pourquoi mais ça m’a fait quelque chose. Le lendemain matin je me suis mise à écrire. C’était très facile. Je me souvenais de ce que j’avais vécu et en plus j’avais le support des textes écrits à l’époque. Ce qui m’a surprise, c’est que quand je l’ai fait lire à Jean-Louis, mon compagnon, il m’a tout de suite dit que c’était très bien. Je l’ai alors envoyé à deux éditeurs qui l’ont directement voulu. Je pense que c’est parce que ça parlait d’IVG. Que c’est un sujet de société en tant que tel et que ce livre aborde le côté ‘flou’ des émotions, cela plaisait. Il n’y avait alors (il y a quatre ans), que le scénario et pas encore d’illustrations”.
Et quatre ans plus tard, l’IVG est toujours un sujet encore tabou…
“Je pense effectivement qu’on n’est pas très informés sur l’avortement, comme sur pas grand chose. Pour les fausses couches c’est pareil, on en parle vraiment très peu. La maternité, on nous la vend comme quelque chose de génial du début à la fin alors que pour beaucoup ce n’est pas le cas. Il y a énormément de choses autour de la maternité qui ne sont pas audibles. Faire une dépression après un avortement c’est bizarre, ne pas réagir du tout, c’est bizarre aussi. Il y a une espèce de main mise sur ‘comment les femmes doivent vivre leur maternité avec leur corps’.
Je ne suis pas du tout prescriptrice de ‘comment doit se vivre un IVG’, parce que c’est personnel et qu’il n’y a pas de recette. C’est important de le dire. Il y a beaucoup de femmes qui ne le vivent pas comme un deuil mais comme un soulagement. La façon dont on le vit dépend de plein de choses: l’âge, la situation amoureuse, si on a des enfants… il y a tellement de paramètres. Si c’est une angoisse pour une femme et qu’elle se dit qu’elle va souffler un bon coup après l’IVG parce que la vie reprendra, je n’ai aucun jugement de valeur là-dessus”.
Dans Il fallait que je vous le dise, il n’y a aucun jugement sur l’avortement?
“L’IVG peut toucher tout le monde, c’est environ une femme sur cinq qui avorte à un moment ou un autre au cours de sa vie. Il y aura toujours des moments où ce ne sera pas le moment. Les chiffres concernant les avortements ne baissent pas et ils ne baisseront jamais. Dans toutes les cultures les femmes avortent, de toutes les manières qu’elles soient”.
Du côté du Dr. Martin Winckler, on observe dans cette bande dessinée qu’il reçoit lui aussi, ses patientes avec bienveillance?
“Oui. Si l’on est gynécologue, il me semble qu’on ne devrait pas choisir à la carte ce qu’on fait sur le corps des femmes. Un dentiste ne choisit pas de ne s’occuper que des molaires par exemple.
C’est pour cela que ça m’a fait du bien de raconter l’histoire de Martin. Pour montrer que même un médecin qui réalise des avortements par militantisme, parce qu’il se rend compte qu’il faut le faire, pour lui aussi ce geste n’est pas anodin. Martin en fait un geste qui devient sa norme mais cela le heurte de voir qu’il fait mal aux femmes physiquement. Et il en a marre de les voir revenir. Pour déconstruire ce truc de ‘mais enfin, cela fait trois fois qu’elle revient, elle n’a toujours pas compris comment prendre sa pilule’, qui est du paternalisme bienveillant puisqu’il veut qu’elle n’ait plus mal, il a fallu que ce soit sa collègue femme qui lui dise ‘mais ça c’est plus ton problème. Toi, tu dois juste l’accueillir, lui donner les infos nécessaires si elle les demande mais après, tu n’es pas dans sa vie et tu n’as pas à avoir de regard là-dessus’. Aujourd’hui, les gens ne devraient plus pratiquer des IVG par militantisme, cela devrait faire partie de leurs tâches professionnelles”.
Finalement, ce livre ça fait aussi partie de votre reconstruction?
“Au début je ne pensais pas. Parce que raconter mon IVG ne me demandait aucun effort. Après je ne peux pas dire complètement non au fait que cela ne boucle pas la boucle. Je pense que ce livre l’a refermée mais mon deuil était déjà fait, même avant d’avoir écrit ce bouquin. Je n’avais pas besoin de le faire pour aller mieux”.
Pourquoi avoir décidé de le faire sous forme de bande dessinée?
“Parce que c’est mon mode d’expression. Quand je pense une histoire, je la pense en illustrations et pas autrement. Et puis la bande dessinée est un médium qui ne ressemble à aucun autre. Il y a beaucoup de choses qui se passent par les silences, que je n’aurais pas pu gérer par la description. Même si c’est un roman graphique, c’est vraiment pour un public adulte”.
Notre avis
On a vraiment apprécié ce livre illustré, tant pour l’épreuve qu’a vécue Aude, que pour ses dessins, ses silences, mais aussi pour le côté médical apporté grâce à l’intervention du docteur Martin Winckler, le tout finalement avec une certaine légèreté. Un livre qui fait réfléchir, qui nous fait nous interroger sur un sujet, encore aujourd’hui, controversé. Un livre à lire, à relir et à partager…
Aude Mermilliod, Il fallait que je vous le dise, Éditions Casterman, 22€, à shopper ici.
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