
Laura Poggioli: “Les écrans rendent les peines plus intenses”
Son premier roman, Trois sœurs, nous plongeait au cœur d’une histoire vraie, celle de femmes ayant décidé de tuer leur père violent. Laura Poggioli revient avec Époque, un récit très éloigné et pourtant pas si différent. Rencontre.
Derrière les smartphones et les réseaux sociaux, Laura Poggioli ausculte les failles humaines, les relations toxiques et les blessures invisibles.
Des ados addicts aux écrans
Dans Époque, vous racontez le quotidien de jeunes et de leurs soignantes dans un service d’addictologie. On retrouve une écriture proche de celle du documentaire, comme dans votre précédent ouvrage…
Effectivement, ça reste de la littérature du réel. Pour Trois sœurs, j’ai rencontré plein de journalistes et d’avocats. Il y avait tout un travail d’enquête. Ici aussi, je suis allée sur le terrain, dans une unité d’addictologie qui a inspiré le roman, j’ai commencé à écrire peu de temps après. Le travail d’écriture est différent, mais je pense qu’on reconnaît ma patte, notamment parce que je travaille beaucoup sur l’enchevêtrement narratif qui mélange un sujet de société qui peut toucher tout le monde et une narration à la première personne, un regard plus intime.
On le présente d’abord comme un livre sur l’addiction aux écrans, mais il parle surtout de relations humaines et amoureuses, parfois toxiques.
Oui, complètement alors que ce n’était pas forcément l’objectif au départ. Mais comme Lara, mon héroïne, j’ai ressenti beaucoup de choses au contact des ados de cette unité et ça m’a ramenée à des émotions et des souvenirs plus personnels.
Les garçons utilisent les outils numériques pour les harceler, les soumettre et leur faire du mal
Je n’avais pas pour but que le livre parle une nouvelle fois de la violence des hommes, mais les jeunes patientes rapportaient souvent comment les garçons utilisaient les outils numériques pour les harceler, les soumettre et leur faire du mal. À ça, j’ai ajouté au personnage de Lara une histoire d’emprise et de cyberharcèlement inspirée de mon vécu que je décortique de façon presque clinique.
Vous écrivez que les écrans ne font que rendre les peines plus intenses. C’est intéressant d’analyser comment les technologies influencent notre manière de relationner.
C’était vraiment ça, mon projet avec ce roman: faire ressentir à quel point cette ultra-connexion modifie notre rapport au monde, aux autres, à nous-même et à quel point ça rend les maux plus intenses. Mais ça ne les concerne pas qu’eux, c’est toutes les générations et c’est ce qu’incarne mon héroïne, une adulte elle-même assez accro.
Justement, comment avez-vous travaillé pour ne pas tomber dans les clichés sur les jeunes et leur rapport aux écrans?
Je voulais à tout prix éviter ça et je pense que ça passe surtout par le fait que j’ai rencontré énormément de jeunes issus d’horizons différents. Je ne m’attendais pas à être touchée à ce point par leurs histoires ni à ce qu’ils/elles me renvoient aux miennes. J’ai voulu que cette proximité soit retranscrite dans Époque. Et puis, l’adolescence reste une époque pour laquelle j’ai une infinie tendresse.
2 livres sur l’addiction aux écrans
Laura Poggioli n’est pas la seule à s’emparer de ce sujet brûlant. D’autres auteurs explorent, à leur manière, les dérives de l’hyperconnexion.
À l’écoute, Thomas Gornet
À l’écoute, Thomas Gornet
Éd. Rouergue Jeunesse
Ilyes a 9 ans et, autour de lui, tous les adultes lui expliquent qu’il est accro aux écrans et que c’est ce qui l’empêche d’avoir des amis. Pour récupérer son précieux téléphone, le garçon doit faire preuve de bonne volonté, se faire aider par un psy et, surtout, se lier à un ami. Un livre rempli d’humour, raconté à hauteur d’enfant, de façon juste et subtile.
Je me libère des écrans, Caroline Depuydt
Je me libère des écrans, Caroline Depuydt
Éd. Racine
La docteure Caroline Depuydt décortique les mécanismes psychologiques et neurologiques qui font que nous ne lâchons plus nos écrans et nos réseaux. Cet ouvrage permet également de remettre l’église au milieu du village: si nous sommes accros, c’est aussi parce que les géants de la tech font tout pour que ça arrive. Concret, limpide et déculpabilisant!
À lire
Époque, Laura Poggioli, éd. L’Iconoclaste
Vous aimerez aussi:
Recettes, mode, déco, sexo, astro: suivez nos actus sur Facebook et Instagram. En exclu: nos derniers articles via mail.