Témoignages: “Mon métier m’a poussée à une tentative de suicide”
Surcharge de travail, lynchage sur les réseaux, fatigue émotionnelle: les vétérinaires sont 3 à 4 fois plus à risque de suicide que la population générale. Christel et Roxane nous livrent leur témoignage.
Triste score pour le métier de vétérinaire. D’après une étude française sur la santé psychologique de ces professionnels, initiée par l’Ordre national des vétérinaires et Vétos-Entraide, ceux-ci seraient plus à risque de mettre fin à leurs jours. Les résultats de l’étude montrent en effet que 4,7% ont déjà tenté de se suicider.
Dans mon entourage professionnel, il y a au moins 4 suicides par an
Roxane, 40 ans, est vétérinaire équin et petits animaux dans le Brabant wallon. Elle constate ce sombre bilan sur le terrain: “Dans mon entourage professionnel, il y a au moins quatre suicides par an”, nous confie-t-elle. Son amie et consœur Christel a elle-même tenté de se suicider il y a six ans: “Moi qui avais toujours été quelqu’un de jovial et d’actif, j’étais au fond du gouffre. J’étais l’ombre de moi-même, je ne me reconnaissais pas…”.
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Pourquoi ce mal-être?
La cause de ce malaise généralisé est multiple. Mais nos deux vétérinaires relèvent des points d’attention, que les études valident.
Surcharge et précarité
Première cause pointée du doigt: une surcharge de travail couplée à une rémunération globalement faible. “Quand vous tapez sur Google ‘Pourquoi les vétérinaires’, la suite proposée est ‘sont si chers’, nous dit Roxane. On a tendance à penser que les vétérinaires s’en mettent plein les poches, qu’ils sont très bien rémunérés. Or il s’agit d’une des professions libérales et de santé les plus mal payées”. Alors qu’elle a fait six ans d’étude et qu’elle exerce depuis plus de treize ans, Roxane gagne ainsi 2000 euros nets les bons mois… “Pourtant, je travaille de 8h à 20h tous les jours minimum”.
“Une note récente de l’UPV (Union Professionnel Vétérinaire) a établi qu’un vétérinaire a dans sa poche environ 22% de ce qu’il facture, donc sur 100€ TTC, il gagne 22€, en moyenne”, détaille Christel.
Vétérinaire escroc?
“Les gens ont tendance à trouver nos prix scandaleux, on passe pour des escrocs, mais on n’a pas le choix, explique Roxane. En médecine humaine, grâce aux mutuelles, les soins de santé sont bien remboursés. Mais ce n’est pas le cas dans le domaine vétérinaire. Les gens ne se rendent donc pas vraiment compte du prix réel des interventions médicales”.
La vétérinaire prend l’exemple d’une stérilisation d’un chat: “Pour cet acte chirurgical, je demande environ 150€. De ce montant, il faut retirer le coût de mon matériel, mais aussi de l’électricité et de location du cabinet, ainsi que des médicaments, qui ont augmenté. Avec les impôts, les charges… Je me retrouve avec 20€ en poche pour ce type d’intervention”.
Lynchage digital
Comme pour bon nombre d’autres métiers, Internet offre des merveilles mais aussi de bien sombres facettes. “Quand ça se passe bien avec un client, généralement, cela passe inaperçu. Mais dès qu’il y a mécontentement, on se fait lyncher sur les réseaux sociaux, j’ai même reçu des menaces de mort”, nous confie Christel. Roxane renchérit: “Les clients deviennent de plus en plus difficiles à gérer. Internet a généré beaucoup de cyberharcèlement dans le métier. Les commentaires et les étoiles Google peuvent provoquer des acharnements injustifiés”.
J’ai même reçu des menaces de mort…
Entre le client et le vétérinaire, pas simple d’établir des limites, comme si l’autorité du métier était mise à mal par la proximité qu’il implique. “Ce qui est compliqué, c’est qu’on est appelables 24h/24, 7j/7. On n’a pas du tout droit à la déconnexion. Comme je m’occupe de leur animal, je rentre un peu dans l’intimité des gens. Certaines personnes se croient alors tout permis”, poursuit Roxane.
La mort à portée de main
Si les taux de suicide sont si élevés dans la profession, c’est aussi parce que l’accès à des agents médicamenteux y est facilité. “On peut facilement prendre des médicaments pour passer à l’acte”, confirme Roxane. On le lit aussi dans l’étude publiée par Virginie Malvaso en 2015, Le suicide dans la profession vétérinaire: étude, gestion et prévention. “L’empoisonnement représente de loin la méthode de suicide la plus utilisée par les membres de la profession. (…) Or les pulsions suicidaires, comme leur nom l’indique, sont souvent très brèves. Pendant le bref laps de temps pendant lequel un individu est si désespéré qu’il en devient suicidaire, l’accès à un moyen létal augmente considérablement le risque de passage à l’acte”.
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Un métier solitaire
Enfin, si les vétérinaires commencent doucement à se rejoindre en équipes et cabinets partagés, le métier est par essence plutôt solitaire. “J’ai créé un groupe Messenger avec les femmes qui font comme moi de la pratique équine, explique Roxane. Justement pour qu’on puisse échanger. Parce qu’en discutant avec mes confrères, je constate que la majorité est très seule. Et cet isolement participe au mal-être. Quand on n’arrive pas à faire quelque chose, on encaisse en solo. On ne sait pas à qui demander de l’aide et on se met une pression de fou”.
Un isolement qui se répercute aussi sur la sphère privée. C’est ce qu’indique une récente étude française sur la santé des vétérinaires, notamment sur la question du burn-out. “Cette perte de plaisir peut s’étendre à tous les domaines de la vie, notamment les relations avec la famille, les amis. Petit à petit, les contacts sociaux seront évités, l’isolement s’installe”.
Christel: journal d’une descente aux enfers
Le passage à l’acte, Christel l’a vécu en 2018. Cette vétérinaire bruxelloise de 36 ans, spécialisée en petits animaux et en chirurgie, pratique depuis plus de dix ans. Passionnée par son métier, son parcours n’a toutefois pas été un long fleuve tranquille.
Débuts sous pression
“Quand j’ai commencé comme vétérinaire, je voulais m’occuper des chevaux. Je suis partie faire une année de formation en France, où je travaillais plus de 30 heures par semaines pour 600€ par mois. Je suis ensuite rentrée en Belgique où j’ai travaillé dans le Brabant flamand, exploitée par un patron macho et misogyne. Là, je travaillais entre 90 et 120 heures par semaine en tant qu’indépendante, et j’avais droit à seulement huit jours de congé par an”.
Après trois ans de calvaire, elle finit par claquer la porte et change de structure. “Financièrement, ce nouveau job ne tenait pas ses promesses. Mais au moins, je m’y sentais mieux, les mentalités étaient plus respectueuses”.
Le jour où tout bascule
Ce poste lui permet de reprendre du poil de la bête, jusqu’à un accident de travail… “Un chien a sauté de la table de soin, et par réflexe, j’ai voulu l’attraper par son harnais. Mon poignet s’est coincé dedans et je me suis retrouvée avec des déchirures de tous les ligaments, je n’avais plus d’articulations au niveau du poignet droit, alors que je suis droitière. Je suis allée voir un orthopédiste, qui m’a dit que je serais probablement handicapée à vie”.
J’ai fait une tentative de suicide suite à un accident. Si je ne pouvais plus être vétérinaire, je n’étais rien…
Christel a alors 30 ans, et a tout sacrifié pour son job: vie de famille, de couple, amitiés. “La descente aux enfers a commencé. Je me disais que si je ne pouvais plus être vétérinaire, je n’étais plus rien, et j’ai fait une tentative de suicide suite à cela. J’ai été hospitalisée trois semaines dans un hôpital psychiatrique. J’étais devenue agoraphobe, je ne savais plus sortir de chez moi sans faire une syncope… C’était vraiment sévère”.
Petit à petit, la jeune femme s’est reconstruite. Mon arrêt de travail a duré 18 mois au total, je devais faire énormément de kiné pour mon poignet. La reconstruction psychologique s’est couplée à la reconstruction physique. Mon poignet a fini par se remettre, j’ai pu récupérer ses fonctions à 90%”.
Nouvel élan
Pendant son arrêt, Christel ne perd pas de temps et en profite pour élaborer le business plan d’un nouveau projet: le lancement des centres d’urgence VET&GO, qui cartonnent maintenant à Bruxelles et dans le Brabant wallon: “Avec d’autres vétérinaires, nous avons constaté qu’il manquait d’effectifs de garde. Nous avons donc lancé ces centres d’urgence, qui ouvrent quand les cabinets ferment (nuits, week-ends, jours fériés). Le concept a bien pris: on a ouvert trois centres entre 2018 et 2021”.
Enfin, l’équilibre retrouvé
Aujourd’hui, Christel s’épanouit dans le centre vétérinaire Brasseur de Manage, où elle se sent comme en famille. “J’ai enfin trouvé mon équilibre. Je pense que tout ce que j’ai traversé – mon mal-être, ma dépression, ma tentative de suicide – m’ont permis d’être plus attentive à mes besoins. J’ai dû me poser les bonnes questions, me dire: ‘Ça je veux bien, ça je ne veux pas, et il faut que ça change’. Sans l’accident, je pense que j’aurais de toute façon fait un burn-out. J’allais droit dans le mur, c’est certain. L’accident de travail a juste été l’élément déclencheur, qui a tout fait péter. Je me sentais très isolée, je n’étais plus que vétérinaire. Aujourd’hui, je suis vétérinaire, mais je suis aussi redevenue la compagne de, l’amie de, la sœur de…”.
Christel conclut: “Vétérinaire est un métier génial, hyper varié, où les journées ne se ressemblent pas. Mais il a ses mauvais côtés, et il faut s’en rendre compte pour mieux s’armer sur le terrain”.
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