Témoignage: “Je fais l’école à la maison”
Si tous les enfants de moins de 18 ans sont soumis à l’obligation scolaire, rien ne les contraint à aller à l’école. Une scolarité peut sans problème se faire à la maison, un choix fait par un peu plus de 1000 familles belges. Nous avons rencontré l’une d’entre elle, dans leur maison située à Enghien. Sylvie, qui est aujourd’hui coach et artiste, nous a expliqué pourquoi et comment ils avaient fait le choix de l’école à domicile.
L’école à la maison: une maman nous parle de son expérience
“Cette idée d’école à la maison est autant le fruit de nos expériences qu’un déclic. Je suis enseignante primaire de formation, et après quelques années à enseigner, j’ai décidé de me réorienter professionnellement. En vérité, je ne trouvais pas ma place dans cette structure. Durant les années où je donnais cours, si cela se passait très bien avec les élèves, j’étais souvent rappelée à l’ordre. On disait que j’allais trop loin dans la réflexion avec mes élèves, que mes projets étaient trop ambitieux, ou encore que les enfants de ma classe verbalisaient trop. Je sortais du cadre, et on me demandait constamment de rentrer dedans.
Après quelques années compliquées et deux burn-out, j’ai mis fin à ma carrière dans l’enseignement. C’était en 2016. J’ai entamé beaucoup de formations pour devenir coach et aider les autres à devenir ce qu’ils souhaitent être, hors du cadre justement. Parallèlement, mes deux enfants étaient scolarisés. Cela se passait sans trop d’embûches, mais ils avaient le même souci que moi: à l’école, ils devaient jouer un rôle. Mon fils est un garçon très émotionnel, mais à l’école on ne lui permettait pas de l’être. Du coup, quand il rentrait à la maison, il pétait les plombs pour évacuer la pression, car à l’école on lui demandait de dire ceci et de penser cela Quant à ma fille, on lui disait (à elle aussi) qu’elle voulait toujours aller trop loin dans la matière, qu’elle réfléchissait trop, et que l’on devait suivre la matière au programme, point barre. C’était très frustrant pour elle. Je crois qu’on est des anti-hiérarchie dans la famille (rires).
Et puis un jour, dans le cadre des cours d’improvisation que je suis, j’ai rencontré deux sœurs, des jumelles, absolument géniales. Je leur ai demandé où elles allaient à l’école, pour savoir si elles étaient dans la même que ma fille. Et là, elle m’ont répondu qu’elles étaient scolarisées à la maison. Cette phrase a été comme un déclic, une révélation. Je suis rentrée chez moi et j’ai dit à mon mari (qui travaille lui aussi dans l’enseignement): ‘tu savais toi que l’on pouvait faire l’école à la maison? C’est une info géniale!’. C’est comme ça qu’on a pensé à déscolariser nos enfants.
Une année de réflexion et de préparation
Si mon expérience dans l’enseignement et ma formation de coach m’ont permis d’avoir une sorte d’aptitude pour cette expérience, je suis passée par de grands moments de réflexion et de peur face à cette envie de déscolariser mes enfants. J’avais peur de ne pas être assez compétente dans ce rôle et d’échouer, de me tromper. Ce sont des peurs légitimes car s’apprêter à faire l’école à la maison, ce n’est pas rien. Cela dit, j’ai toujours eu l’impression que cette décision résonnait en moi comme quelque chose de juste. Alors mon mari, mes enfants et moi avons pris une année complète pour nous préparer à cette aventure. Je me suis tout d’abord inscrite dans des groupes sur Facebook qui réunissent la majorité des familles qui font l’école à la maison, pour en savoir plus. Ces groupes organisent régulièrement des événements où tous peuvent participer et, surtout, beaucoup de parents sont prêts à répondre aux questions et épauler les ‘nouveaux’ arrivés, ou tous les autres parents.
On a donc participé à plusieurs événements, et rencontré des familles, des enfants qui vivent en étant déscolarisés. Parallèlement, je me suis replongée dans mes cours d’enseignante, j’ai acheté des livres et le programme scolaire pour me préparer un peu à enseigner à mes enfants. Et je peux vous dire que c’est très différent que de donner cours à une classe!
Ensuite, j’ai inscrit mes enfants à “IEF” (instruction en famille) auprès de la communauté française pour l’année scolaire suivante. Suite à cela, la communauté française a directement pris contact avec nous pour donner les informations ainsi que les dates d’examen et les procédures à suivre. Cette année, en juin 2019, nous venons de terminer notre première année d’instruction en famille.
Le quotidien des enfants en instruction à domicile
Forcément, le quotidien d’une famille dont les enfants sont déscolarisés est assez différent des familles où les enfants vont à l’école. La première différence est le rythme de travail: ici, on ne travaille pas plus que 3h par jour. Pendant l’année, on établit des projets ainsi que des objectifs vers lesquels on veut aller. Ensuite, cela dépend vraiment de chaque enfant.
Par exemple, ma fille a une personnalité très créative. Alors on apprend surtout par cette voie. Elle sculpte, elle dessine, elle écrit, et elle apprend via ce qu’elle aime. L’un de ses objectifs de l’année était de passer son CEB. On a donc travaillé dans ce sens, et elle a obtenu son diplôme de fin de primaire une année à l’avance. Cela n’aurait pas été possible si elle avait suivi un cursus scolaire traditionnel. L’année prochaine, elle aimerait écrire un roman.
Pour mon fils, c’est assez différent. Il a besoin de rituels, d’une structure claire pour se sentir en confiance. On travaille donc plus traditionnellement, avec des cahiers, des feuilles, des exercices… Bref, un peu comme à l’école. En fait, en IEF, on découvre comment l’enfant apprend, on cherche son canal d’apprentissage et une fois qu’on l’a trouvé, les choses peuvent aller très vite! Par contre, ça peut vraiment prendre du temps de le découvrir. Et pour cela il n’y a pas de secret: il faut essayer, et se planter! On travaille par essai-erreur, et on voit où ça a coincé. On se trompe et on apprend des échecs.
L’instruction à domicile, c’est une école où l’on apprend énormément à se connaître soi et ses enfants, mais c’est aussi une école du lâcher-prise. Il faut y croire, faire confiance et laisser faire les choses. Accepter que parfois, ça ne fonctionne pas, et trouver où ça n’a pas marché. Mais sans prendre cela comme un échec, bien au contraire! Et puis, on prend conscience que les choses mettent du temps, même (et surtout) les apprentissages .
Ce qui est aussi fort différent, c’est que l’enfant ‘choisit’ la matière qu’il souhaite voir. Par exemple, si aujourd’hui, il n’a pas du tout envie de faire des maths, je ne vais pas l’obliger. On va partir sur d’autres apprentissages, qui l’intéressent plus à ce moment-là, soit pour compléter un projet, soit parce qu’il est plus dans l’envie d’évoluer dans telle ou telle matière. C’est une chose impossible lorsqu’il est en classe avec plus de 20 autres enfants.
L’école à la maison, des avantages… et des inconvénients
Après une année d’IEF, le constat est pour nous super positif: déjà, en ce qui concerne les enfants, ils n’ont plus peur d’être eux-même. Chez nous, contrairement à l’école traditionnelle, on ne leur demande pas de rentrer dans une case, mais d’être eux-mêmes. Ils ne sont donc ni muselés ni brimés. Ils sont plus vrais, et ne sont plus effrayés d’être qui ils sont en société.
Les enfants sont également plus ouverts à apprendre et à découvrir. Ils sont plus curieux, sûrement parce qu’ils sont de véritables acteurs de leur apprentissage. La motivation vient d’eux, pas d’une matière qu’on leur impose. Ça fait une grande différence! Clairement, un enfant en IEF va aller à la recherche des apprentissages. Lorsque l’on est à l’école, l’enfant s’assied et le prof donne ses cours. Il déballe le savoir et l’enfant doit le digérer. Ici, la manière dont on fonctionne est totalement différente. On part d’un projet, d’un objectif ou d’un problème, et l’enfant part recherche les informations nécessaires. On les forme donc à être actifs dans leurs apprentissages. Ils ont aussi plus de temps pour les loisirs: ils vont à la piscine, créent énormément, font des activités… Principalement parce qu’ils ont plus d’énergie pour le faire!
Après, on ne va pas se mentir, l’école à domicile a aussi des inconvénients. Le premier point de difficulté est la sociabilisation. Si, au début, mes enfants étaient ravis de ne plus ‘aller à l’école’, le manque des copains et d’une vie sociale s’est rapidement fait ressentir. On est toute la journée ensemble, et cela peut créer des tensions. Au début de l’aventure, ces points ont été assez compliqués pour nous, mais on a trouvé des solutions: tout d’abord, on essaie de faire des activités que d’autres familles en IEF organisent. Cela nous permet de créer un lien avec les parents et les enfants qui vivent de la même manière que nous. Les enfants jouent ensemble, participent à des activités et créent un lien. Et ce, peu importe l’âge: les enfants en IEF ont cette particularité de jouer les uns avec les autres et de créer des amitiés, entre petits et grands.
Ensuite, on a créé des petits “rituels” pour garder un lien social. Par exemple, une fois par semaine, deux copines de l’ancienne école de ma fille passent la voir après leur journée de cours. Et on fait beaucoup plus de sorties! Bref, on fait en sorte que le lien social ne soit pas rompu, car c’est primordial pour l’équilibre des enfants.
Le suivi des enfants déscolarisés
Avoir des enfants déscolarisés ne veut pas dire que l’on fait totalement ce que l’on veut! L’obligation scolaire reste là, et la communauté française tient toujours un rôle dans l’évaluation des enfants (et des parents) en IEF. Déjà, tous les enfants sont soumis à l’obligation de passer leurs diplômes: CEB, CESI et CESS. De ce fait, les enfants sont évalués tous les deux ans. Pendant cet examen, les parents sont aussi vus par l’inspection, et doivent donner les fardes avec les cours qui ont été donnés pendant cette période. L’inspecteur évalue donc la qualité du travail fourni. Si l’enfant rate son examen, il doit le repasser dans les quatre mois. S’il le rate à nouveau, le parent et l’enfant sont suivis de près par l’inspecteur, tous les 15 jours environ. Et si après tout cela il échoue de nouveau, il doit retourner sur les bancs de l’école.
D’où l’importance de suivre un minimum le programme scolaire, même si on voit la matière quand et comme on le souhaite.
L’instruction à domicile, à la portée de tous ou pas?
En tant qu’indépendante, j’ai choisi d’organiser ma vie professionnelle autour de l’instruction en famille. Mon mari bosse en journée, je bosse plutôt l’après-midi et le soir. On arrive donc à tout gérer de front. Mais je pense que tous les parents ne pourraient pas organiser leur vie professionnelle de cette manière. Pour faire l’IEF, beaucoup de familles ont un parent qui a mis entre parenthèses sa vie professionnelle pour gérer l’instruction des enfants et la vie de famille. Cela demande beaucoup d’investissement, en temps et en énergie.
Je ne crois donc pas que ce système alternatif soit fait pour toutes les familles. Si les parents travaillent tous les deux à temps plein en journée, cela va être compliqué par exemple. Après, il y a des tas de familles en IEF qui s’organisent entre eux. Je connais des familles qui font l’école à domicile dans une famille un jour, puis chez l’autre un autre jour de la semaine, etc. Ce type d’organisation peut permettre d’aider les familles quand on doit se déplacer, ou travailler deux ou trois jours par semaine à l’extérieur par exemple. Il est aussi possible d’inscrire ses enfants dans des écoles dites alternatives. Non loin de chez moi, une école axée sur la nature a ouvert il y a peu. Elle propose aux enfants un apprentissage autour de la faune et de la flore, de la terre et de la biodiversité. Mon fils, qui rêve de travailler au contact des animaux et de la nature, va y aller un jour par semaine dès septembre.
Cela peut donc être une solution pour allier vie professionnelle et instruction à domicile, mais ce type d’école n’est pas gratuite, car non subventionnée par la communauté française.
Quelques conseils
Si je devais donner des conseils aux familles qui souhaitent se lancer dans cette aventure, ce serait tout d’abord de ne pas trop écouter l’entourage. Cette décision sort des sentiers battus, des habitudes. Cela fait donc très souvent peur aux personnes qui n’ont jamais eu l’envie de changer de système pour la scolarité de leurs enfants. Cette décision est celle d’une famille, et si cela résonne en vous, n’écoutez pas les autres et leurs propres peurs.
Ensuite, je les inviterais à aller à la rencontre de familles qui ont déjà de l’expérience dans l’instruction à domicile, et de ne pas hésiter à poser des questions. Je dirais également qu’il ne faut pas trop se presser. Laisser le temps que le projet mûrisse et se mette en place est primordial. Il nous a fallu une année scolaire complète pour se décider et se préparer, et ce temps a été précieux.
Le dernier conseil que je pourrais donner est de comprendre qui si l’adulte transmet le savoir à l’enfant, il faut que l’enfant fasse aussi sa part de travail pour sa propre réussite. Comme je le disais tout à l’heure, les enfants en instruction à domicile sont actifs dans leurs apprentissages, dans leurs recherches. De la même manière, ils doivent avoir envie de réussir pour y arriver”.
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