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Témoignage: “Au boulot, je m’ennuyais à mourir… et ça m’a détruite”

Après un petit épisode de burn-out, Marie a été mise au placard par son chef. Elle a alors découvert les affres du bore-out, l’épuisement professionnel par l’ennui.

“C’est une expression qui m’avait toujours un peu fait rire: s’ennuyer à mourir. Comment peut-on s’ennuyer à mourir? Ce n’était vraiment pas mon genre. J’étais dynamique, rigolote… Jusqu’au jour où l’on a supprimé mon travail. J’allais tous les jours au bureau, mais je n’avais plus rien à faire. Et là, j’ai compris. Ça rend tellement dingue qu’on songe à se pendre dans la cage d’escalier du bâtiment ou à se jeter sous le train en rentrant. Les spécialistes appellent ça le ‘bore-out’, l’épuisement professionnel par l’ennui. Ça m’a complètement détruite.

Des noyaux de cerises

Je n’ai jamais fait un boulot passionnant, mais je l’ai toujours fait avec cœur et dans la bonne humeur. C’était ma nature. Je travaillais dans un service public. Mon job consistait principalement à faire du classement. Je recevais chaque jour des tonnes de papiers que je devais trier, puis faire suivre aux bureaux concernés. Quand le tri était fini, je tamponnais des documents à la queue-leu-leu… Le service s’est ensuite informatisé et les tâches se sont adaptées, mais ce n’était pas vraiment plus excitant. Je pouvais passer toute la journée debout devant une imprimante à récupérer et classer les feuilles qui en sortaient. Ce n’était pas un job de rêve mais je ne m’en suis jamais plainte. Que du contraire.

J’avais quitté l’école à 17 ans sans qualification, j’avais une place stable et un traitement qui me permettait de vivre: il n’y avait franchement pas de quoi se plaindre! D’autant que l’ambiance au bureau était bonne. Le chef et le sous-chef étaient aimables, les collègues sympas. On allait prendre un verre ou manger un bout ensemble de temps en temps… Tout se passait donc plutôt bien jusqu’à ce que le sous-chef s’en aille. On m’a proposé son poste. J’avais 40 ans, j’étais la plus ancienne du bureau et j’avais l’habitude de le remplacer lorsqu’il était en congé. Mais je faisais ça pour lui rendre service, pas pour devenir calife à la place du calife. Je n’avais pas du tout envie de devenir sous-chef. Ce n’était pas mon truc. J’ai préféré refuser.

C’est ainsi que l’autre est arrivé… Gérard. Et c’est moi que l’on a chargée de le former: ‘Tu demandes à Marie, elle sait tout!’ Pendant plusieurs semaines, j’ai donc eu deux jobs en un: je faisais le mien et je lui expliquais le sien. C’était lourd, d’autant qu’il se montrait très désagréable et peu respectueux. Quand il avait une question à me poser, je devais être disponible dans la seconde. Il m’interrompait dans un calcul sans se soucier de savoir que je devrais tout recommencer. Il n’hésitait pas à me rappeler pendant ma petite demi-heure de table. Un jour, pendant que je répondais à ses questions, il mangeait des cerises et crachait ses noyaux à distance dans la poubelle! C’était un grossier personnage.

Au bout d’un temps, j’étais tellement stressée que je dormais mal. Un soir, j’ai même fondu en larmes sur le quai de la gare parce que le train était en retard. Je n’en pouvais plus. J’étais au bord du burn-out. Je suis allée voir mon médecin, qui m’a conseillé de m’arrêter quelques jours. Je me suis dit que j’allais me reposer, puis repartir du bon pied.

Bon pour la poubelle

En réalité, cet arrêt de travail a signé mon arrêt de mort. Quand je suis rentrée au bureau une dizaine de jours plus tard, le sous-chef a décidé de me mettre au placard… ‘Ah, on a dû faire sans toi? Eh bien, on va faire sans toi!’ D’abord, il ne m’a plus posé la moindre question, il ne m’adressait plus la parole, il ne me disait même plus bonjour. Ensuite, il ne m’a plus confié que des tâches d’encodage. J’encodais à longueur de journée, parfois des choses périmées, dépassées. Je trouvais déjà mon boulot peu intéressant, mais là il devenait carrément inutile!

Si je repérais une erreur, j’étais censée faire une note. La dernière note que j’ai rédigée, mon sous-chef l’a prise du bout des doigts, comme si c’était une chose dégoûtante, puis il l’a balancée dans la corbeille à papier. Mon travail était abrutissant et ne servait plus à rien. Pour essayer de me soulager, un collègue m’a appris comment faire un tableau Excel. Ça m’évitait de ré-encoder toujours la même chose, puis de faire les calculs au bic sur papier. Quand le sous-chef l’a appris, il est venu effacer le fichier Excel… Tout ce que je faisais n’était plus bon que pour la poubelle.

Puis, peu à peu, je me suis retrouvée sans avoir plus rien à faire du tout. J’ai proposé d’aller aider les collègues d’à côté, qui étaient débordés certains jours du mois. Niet! Un autre département a demandé à me recruter, ça m’aurait bien plu mais le sous-chef a refusé, estimant que j’étais un pilier du service et qu’il ne pouvait pas se passer de moi. Ça, c’était la meilleure! J’avais peut-être été un pilier, mais avant… Avant qu’il n’arrive et ne me démolisse! Là, le pilier était bien écroulé…

J’étais de plus en plus mal. J’allais au travail avec des pieds de plomb. Je le ressentais physiquement. Mes pieds ne voulaient plus me porter. Je ne parvenais plus à me lever. Je mettais mon réveil de plus en plus tôt, mais rien n’y faisait. J’avais des crises de larmes au petit-déjeuner, puis j’attrapais des migraines à me taper la tête contre les murs. J’étais physiquement incapable d’aller au bureau. Au début, comme je n’osais plus prendre d’arrêt-maladie, je puisais dans mes jours de congé. Je me disais toujours que ça allait s’arranger. Mais ça ne s’arrangeait pas. Il suffisait que je m’absente un jour pour que mon téléphone soit débranché, mon ordinateur déconnecté et mon bureau rempli de bazar. Je n’avais plus ma place.

Droguée pour continuer

Les journées étaient longues à mourir. Comme quand vous êtes dans une salle d’attente, que vous n’avez rien à faire et que le temps ne passe pas. Je décomptais les heures et les minutes jusqu’à midi, puis jusqu’à 16h. Je n’avais rien à faire. Je surfais sans but sur Internet. Je serais venue au bureau avec mon roman ou mon tricot, c’était pareil. Tout le monde s’en fichait. Je n’existais plus. J’étais transparente. J’ai demandé à être mutée en province, pour me rapprocher de mes parents qui vieillissaient. Ça m’aurait aussi permis de redémarrer. Mais le sous-chef m’a mis des bâtons dans les roues et ça ne s’est pas fait.

Je ne me suis jamais rebellée parce que j’étais sous médicaments. Mon médecin m’avait envoyée chez un psychiatre qui m’avait prescrit des anxiolytiques, des antidépresseurs, des somnifères… J’étais droguée pour continuer à aller au boulot comme un bon petit robot. Chaque fois que j’avais un arrêt-maladie un peu long, j’étais convoquée par la médecine du travail. Quand je disais à la doctoresse que j’avais des angoisses, ça la faisait sourire. Mais elle n’a jamais songé à me demander quelles étaient les causes du problème…

Puis, un jour, lors d’une de ces visites, elle m’a annoncé: ‘On va vous pensionner, ce sera mieux pour tout le monde!’ Pensionnée? J’ai fondu en larmes. ‘C’est normal, m’a-t-elle dit. On est toujours ému quand on apprend qu’on part à la pension!’ Je n’étais pas émue, j’étais effondrée. J’avais 50 ans, je ne voulais pas être pensionnée! Je voulais juste travailler dans de bonnes conditions… Je me suis sentie comme un objet que l’on jette. Comme l’une de ces bêtes sauvages que le troupeau abandonne parce qu’elle est faible ou blessée.

N’imaginez pas que je profite de ma retraite. Je la vis comme une condamnation en appel: je suis définitivement condamnée à ne rien faire et à mourir d’ennui. Comment voulez-vous que j’aille mieux? Je songe parfois à faire du bénévolat, mais je ne sais pas si je suis encore bonne à quelque chose. Toute cette histoire m’a cassée.”

Texte: Christine Masuy/Coordination: Julie Rouffiange

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