“J’ai tout fait pour lui, parce que je ne lui donnais pas assez sexuellement”

Par Justine Leupe

Construire, fonder une famille, mais sentir au fond de soi que quelque chose ne nous comble pas totalement. C’est l’histoire de Fabienne, mère de 2 enfants, et asexuelle.

Durant de nombreuses années, Fabienne, la quarantaine, s’est persuadée qu’elle était heureuse. Son couple fonctionnait, mais ça coinçait sur un plan: la sexualité. Alors que son mari prend du plaisir au lit, ce n’est pas son cas. Pas bien grave, pense-t-elle, puisque le reste est parfait. Jusqu’au jour où…

Suis-je asexuel(le)?

Les définitions varient pour chacun et chacune, mais pour Fabienne, être asexuelle s’apparente à “ne pas avoir besoin d’actes sexuels, ne pas jouir et ne pas connaître d’orgasme“. Elle ajoute: “Pourtant, cette personne aimerait avoir une connexion avec son partenaire, surtout que le besoin affectif et tactile est bien présent. L’asexuel(le) aime les câlins, les contacts et les baisers, mais pas les rapports”.

L’asexualité, un concept auquel Fabienne s’est intéressée tardivement. C’est qu’elle a longtemps refoulé ses pensées, elle qui ne voulait pas perdre ce qu’elle avait construit, qui aimait foncièrement son mari, ses enfants, son quotidien…

Compenser cette non-sexualité

Aujourd’hui divorcée, la mère de famille a une belle et longue relation derrière elle, comme elle aime le préciser: “J’étais mariée, nous vivions dans une jolie maison, j’avais un travail intéressant, deux super enfants, nous partions en vacances… Pourtant, je sentais que je n’étais pas pleinement heureuse. Je n’arrivais pas à comprendre ce qui me manquait”.

Lors de ses diverses expériences sexuelles avec son mari, Fabienne comprend que quelque chose ne va pas. Lui prend du plaisir, ce n’est pas son cas. “Tout allait très bien dans une foule de domaines, mais je n’arrivais pas à lui apporter ce qu’il attendait sexuellement”, poursuit-elle.

Je n’arrivais pas à lui apporter ce qu’il attendait sexuellement

Quand Fabienne prend conscience de son asexualité, sa relation fléchit petit à petit. Elle se sent perdue et adopte alors un comportement compensatoire. “Disons que je sentais que je devais un peu plus l’aimer dans d’autres domaines que celui de la sexualité. En fait, j’ai tout fait pour lui, parce que je ne lui donnais pas ce qu’il attendait sexuellement. J’étais coincée dans une relation de co-dépendance”. Fabienne tait progressivement ses propres besoins pour satisfaire ceux de son partenaire.

Vivre dans le déni

Bien que la mère de famille mette de nombreuses années avant de se définir comme asexuelle, elle dit y avoir songé une fois, juste après son mariage. Mais à l’époque, elle avait mis ce sentiment de côté. “J’ai toujours pensé que je n’appréciais pas les rapports parce que j’étais fatiguée. Je trouvais toujours une bonne raison pour justifier le fait que je n’aimais pas le sexe”, poursuit-elle.

“Ce handicap”, comme elle le dit, Fabienne ne veut tout bonnement pas y faire face: “Mon ex-mari est un père incroyable et il a toujours été adorable avec moi. Il a énormément fait pour notre famille, j’ai toujours senti qu’il souhaitait le meilleur pour moi”. Alors quand il la quitte, aussi parce qu’il comprend qu’il ne la rendra pas heureuse, le monde de Fabienne s’écroule. “C’est finalement lors d’un cours de pleine conscience, alors que mes enfants avaient grandi, que j’ai accepté que j’étais malheureuse”.

Mettre des mots même si c’est difficile

Peu de temps après son divorce, Fabienne se renseigne sur ce trouble de l’asexualité. Elle lit beaucoup sur le sujet, se documente, puis pose des mots sur son mal-être. Si cette quadragénaire se définit aujourd’hui comme asexuelle, elle n’est pas encore totalement à l’aise avec cette idée. “On entend souvent que le sexe est l’une des choses les plus ultimes que l’on peut vivre, alors pourquoi ne puis-je pas accéder à ce plaisir?”. Et de poursuivre: “Aujourd’hui, ce qui me fait le plus mal, c’est que je ne suis jamais arrivée à en parler à mon ex-mari. Par honte, je pense, et parce que j’ai le sentiment de ne pas avoir été 100% honnête avec lui”.

On entend souvent que le sexe est l’une des choses les plus ultimes que l’on peut vivre, alors pourquoi ne puis-je pas accéder à ce plaisir?

La mère de famille est claire: elle a envie de reconstruire sa vie, mais le fait d’être asexuelle la freine. Souvent, elle se demande d’ailleurs si elle ne vieillira pas seule. “Le plus difficile est de parvenir à en parler. Je pense pourtant qu’il est essentiel d’être honnête sur ses sentiments dès le début, et en particulier en matière de sexualité. Il faut mettre son ego de côté. Même si c’est dur, car on a constamment l’idée qu’on sera rejetée.” Elle se renseigne un peu sur le sujet, et découvre plusieurs ASBL, dont une en particulier: Asexual.

Beaucoup d’asexuels s’ignorent

“Les études indiquent que 1% de la population est asexuelle, nous explique Fabienne. Je pense qu’il y en a beaucoup plus. Mais, tout comme moi, beaucoup ont du mal à l’accepter”. Et puis surtout, les informations n’abondent pas en la matière. “Heureusement que des ASBL comme Asexual existent. Ils font de leur mieux, car c’est un sujet très compliqué”. L’association propose des groupes de parole, des discussions en ligne, des dépliants, des activités pour les personnes concernées.

Certains asexuels, malgré ces avancées, ont du mal à trouver leur place, et c’est le cas de notre témoin. “Dans les groupes Facebook ou de parole, il y a de tout. Celles et ceux qui partagent de nombreux messages, qui ont une personnalité affirmée, qui aiment se démarquer, qui ont de l’audace… Et puis, il y a les plus réservés, plus modestes, qui se sentent dépassés par les personnes qui ont un avis très tranché”, nous confie Fabienne qui essaye jour après jour d’apprivoiser ce terme qui la caractérise mais ne la définit pas.

Le bon site
Vous trouverez ici une mine d’infos: www.asexual.be.

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