Témoignage: “J’étais dealer, je serai médecin”
Roman termine ses études de médecine. Pourtant, personne n’aurait parié sur lui. Toxicomane et dealer, il se destinait à une carrière de voyou. Pour passer de la poudre à la blouse blanche, il lui a fallu une bonne dose de ténacité et le soutien sans faille de ses parents. Aujourd’hui, à 31 ans, il regarde la vie en face.
“Mon destin était d’être un voyou. Je dealais depuis que j’étais gamin et je gagnais un max de fric. Je ne voyais pas l’intérêt d’aller à l’école. À 18 ans, je me suis retrouvé devant la Justice. Quand la juge a prononcé ma condamnation à trois mois de prison, mon cœur s’est arrêté net: ‘Pas la taule! Pas ça!’. Puis elle a ajouté: ‘Avec sursis’. Elle me donnait une seconde chance, mais il fallait que je la saisisse. Qu’allais-je faire de ma vie? Du banditisme et de la prison? Non. Je voulais être médecin. Les gens ont rigolé: ‘Médecin, c’est trop compliqué! Tu ne vas jamais y arriver!’. Ça a été compliqué, c’est vrai, mais je me suis accroché. Moi qui dealais de la mort, je sauve désormais des vies”.
Appelez-moi Bond
“Comment bascule-t-on dans la drogue? Je n’en sais trop rien. Moi, j’ai eu une enfance parfaite. Je regardais le Club Dorothée, je jouais à Dragon Ball, je faisais du motocross et je rêvais de devenir champion du monde. J’étais plutôt bon élève… jusqu’à 12 ans, quand j’ai fumé mon premier joint dans la cour de l’école. Au départ, j’avais juste envie d’essayer. Pour faire comme les autres. Mais je suis très vite tombé dans l’addiction”.
Roman est passé de consommateur à dealer. “J’achetais 25 grammes de shit, je découpais la marchandise en parts de 5 euros et je vendais à mes potes. Puis, je réinvestissais la somme gagnée pour acheter de plus grosses quantités. C’était simple, mais c’était un engrenage. Quand j’essaie de comprendre pourquoi j’ai mis le doigt là-dedans, je me dis que je m’ennuyais et que j’avais envie de sensations fortes. Envie de vivre dangereusement comme dans un James Bond”.
À 16 ans, le jeune homme engrange déjà des bénéfices de 1500 euros par mois. “Puis, mon trafic s’est développé. J’achetais le shit par kilos entiers et des gars vendaient pour moi. Je ne foutais plus rien mais l’argent tombait. Du coup, pourquoi s’embêter à encore aller au lycée?”.
Des années d’enfer pour toute la famille
“Mes parents savaient que je dealais, mais ils étaient totalement paumés. Moi, j’ai grandi avec Internet, les réseaux sociaux, le téléphone portable… Eux avaient toujours une longueur de retard sur ces trucs-là. Je les doublais comme je voulais. Ils ne savaient plus comment s’y prendre. À un moment, ils ont retiré la porte de ma chambre pour me tenir à l’œil. Ça ne m’empêchait pas de me casser à la nuit tombée. Un été, ils ont tout organisé pour m’envoyer au Canada afin que je rompe avec mon environnement qu’ils jugeaient malsain”. Roman fait alors exprès de rater son avion. “Aujourd’hui, je me rends compte que mes parents auraient eu mille fois raison de me foutre à la porte. Heureusement, ils ne l’ont jamais fait. Ils ne m’ont jamais lâché. S’ils m’avaient mis dehors, si j’avais dû me débrouiller seul, c’est sûr que j’aurais fait des conneries encore plus bien graves. Ils ont pris leur mal en patience et je les en remercie infiniment. D’autant qu’ils ont vécu des trucs pas drôles… Quand les flics m’ont coincé pour trafic de stupéfiants, il y a eu une perquisition à la maison. J’ai franchi le seuil menotté. Ma mère pleurait. Puis ils sont allés sonner chez ma mamy. Et là, franchement, j’ai eu honte”.
Les drogues étaient mon seul refuge
La prison ou la mort comme seul avenir
“Lorsque la condamnation à trois mois de prison avec sursis est tombée, ça m’a fait un déclic. J’ai réfléchi. Il fallait que j’arrête les conneries et que je reprenne une vie normale. Mais quand on a gagné 5000 euros par mois et parfois plus, ce n’est pas si simple de retourner sur les bancs de l’école. Ni d’envisager un métier qui paiera nettement moins bien”.
Roman a enchaîné les petits boulots et formations. “J’ai passé quelques mois dans une école hôtelière, mais je détestais être un commis qui pue l’oignon. Ensuite, j’ai été livreur. J’ai essayé de m’engager dans l’armée, mais ils n’ont pas voulu de moi. J’avais l’impression que tout ce que j’entreprenais pour m’en sortir échouait. Alors, j’ai replongé. Les drogues étaient mon seul refuge. Je ne dealais plus, mais mon addiction était pire que jamais. Après le cannabis, l’alcool et la coke, j’ai essayé le LSD. C’était horrible. Je voulais m’en sortir, mais je n’y arrivais pas. Jusqu’au jour où j’ai failli tuer un copain en voiture”.
Deuxième déclic pour Roman, et le bon cette fois. “Ce jour-là, je me suis dit que si je continuais comme ça, tout ce qui m’attendait, c’était la prison ou la mort. Voire les deux. Il était temps que j’arrête mes conneries une bonne fois pour toutes”.
Le départ vers une nouvelle vie
“L’école hôtelière, l’armée, c’étaient des idées de mes parents. Mais moi, qu’est-ce que je voulais vraiment? Être médecin. Pour un mec au fond du trou, c’était un sacré challenge. Autour de moi, personne n’y croyait vraiment. Mais moi, je savais que j’allais le faire. Il y avait 312 places et je suis arrivé 306e à l’examen. Ma mère en a eu des larmes de joie. Mon père m’a félicité. Ils étaient très fiers de moi et de mes efforts, ça m’a beaucoup touché. Ma nouvelle vie pouvait commencer. Cette vie d’étudiant en médecine, c’est tout l’opposé du gars que j’étais jusque-là. Je me lève tôt, je me couche tôt, je bosse dix heures par jour. Et surtout, j’apporte de la vie et de l’espoir aux gens, alors que je ne vendais que du malheur avec les stupéfiants”.
Évidemment, ces années d’études sont loin d’être un long fleuve tranquille. “Il y a eu des hauts et des bas. J’ai fait des rechutes, mais voilà trois ans que je suis complètement ‘clean’. Je ne fume même plus une cigarette. Mes années de consommation ont cependant laissé des séquelles. J’ai des difficultés de concentration et de mémorisation, par exemple. J’ai donc beaucoup travaillé pour réussir. Mais je n’ai jamais lâché parce que ce métier me semble vraiment passionnant. Difficile, exigeant mais passionnant”.
“En devenant médecin, j’espère soigner bien plus de gens que j’en ai abimé”
Une inspiration pour d’autres jeunes
“Pour l’instant, mon objectif est de m’installer comme médecin généraliste. Médecin de famille. J’aime le côté plus social que scientifique du job. On développe de vraies relations avec les gens. Je trouve ça sympa et enrichissant. Ça me permettra aussi d’être mon propre patron. J’ai absolument besoin de cette liberté. Après, je pense reprendre une formation pour me spécialiser en addictologie. Je pourrais ainsi venir en aide aux jeunes (et moins jeunes) victimes de la drogue”.
Le futur médecin prend son parcours comme un atout. “Je sais ce qu’est l’addiction et comment il est difficile de résister à la spirale. Je le sais non parce que je l’ai lu dans les livres, mais parce que je l’ai vécu à en crever. Je peux comprendre un gamin qui est en plein dedans. Et s’il apprend que je suis passé par là, il aura peut-être davantage tendance à me faire confiance. Mon histoire pourrait l’inspirer et lui donner envie de s’en sortir comme je m’en suis sorti. Et profiter des joies de la liberté retrouvée. Je regrette d’avoir vendu du cannabis et d’avoir rendu des gens accros à cette saleté. En devenant médecin, j’espère soigner bien plus de gens que j’en ai abimé. Ce sera ma façon de me racheter”.
À lire: Roman Sanchez, Un parcours stupéfiant, éd. Michel Lafon. À retrouver ici.
Texte: Christine Masuy, coordination: Stéphanie Ciardiello.