Témoignage: “J’ai eu un cancer… mais je n’ai rien dit”
Atteinte d’un cancer de la thyroïde, Elisabeth Brousse a résolu de garder le secret sur sa maladie… pour mieux guérir. Son objectif: continuer à vivre “comme si de rien n’était”. Pour elle, cela a marché.
“À force d’imaginer la scène, je n’ai jamais pu franchir le pas. Ma mère a toujours été très émotive. Elle m’aime tellement qu’elle pleure tout le temps, pour les bonnes comme pour les mauvaises nouvelles. Elle a versé plus d’une larme quand j’ai eu mon bac. Elle a pleuré pendant des heures, avec moi, et même plus que moi, après ma première grosse rupture amoureuse. À 30 ans, je ne lui avais jamais rien annoncé de plus grave. Ce n’était pas maintenant que j’allais commencer…
Une boule dans la gorge
Tout a commencé avec une boule dans la gorge, au sens propre comme au figuré. Quand les fourmillements sont apparus, je me suis souvenue de ces nodules sur ma thyroïde, détectés cinq ans plus tôt par la médecine du travail. ‘Bénins’, m’avait-on assuré. ‘Tout le monde en a, surtout dans le Sud de la France!’, avait-on insisté. J’étais sceptique. Et avec la douleur qui revenait, carrément paniquée. Pour être fixé, mon chirurgien a décidé de les retirer et de les analyser. Je lui avais juste demandé une faveur avant l’opération: si les résultats étaient mauvais: me l’annoncer à moi seule, sans personne autour.
Quand il est revenu, il a fixé ses sabots en caoutchouc et demandé à mes autres visiteurs de quitter la chambre. J’ai tout de suite compris. Diagnostic: l’anapath (l’examen des tissus prélevés) avait bien confirmé le caractère douteux des nodules. Je n’ai pas fait des études de médecine mais j’ai compris que c’était grave. J’avais un cancer de la thyroïde. Pour le combattre, je devais être hospitalisée au plus vite afin de subir des rayons. Le traitement allait être long, mais le chirurgien voulait rester confiant. Mon sourire s’est accroché aux barreaux du lit. J’aurais bien aimé y croire. Pourtant, je voyais bien, dans le service, que le personnel me regardait différemment, avec un mélange de peur et de compassion. Parfois, j’entendais des hurlements déchirants dans les couloirs. Après avoir encaissé la nouvelle, j’ai expliqué à mon médecin que je ferais tout ce qu’il voulait à condition d’en savoir le moins possible sur la maladie. Dès que j’entendais des mots barbares comme “adénocarcinome”, je m’enfuyais mentalement de la pièce.
Continuer comme avant
J’ai décidé d’entretenir l’illusion d’une vie aussi normale que possible. Ce serait ma façon à moi de me battre. Pour les médecins, j’étais malade, peut-être. Mais à l’extérieur, si je voulais guérir, tout devait continuer ‘comme avant’. J’ai parlé de ma maladie une fois à un ami, au restaurant, juste pour voir l’effet que cela faisait. Dès qu’il a entendu le mot ‘cancer’, il a longuement ajusté sa cravate pour se donner une contenance. J’ai bien vu qu’il était secoué. Ses mains tremblaient et il a feint d’éternuer plusieurs fois dans sa serviette pour cacher ses yeux humides. J’ai soudain découvert qu’un malade était doté d’un pouvoir terrifiant: comme une arme de destruction massive qui, en une phrase, permet d’anéantir la joie de vivre de ses proches. Je lui ai juste fait promettre de garder le secret et, surtout, de ne rien dire à mes parents. À Noël, c’est vrai, je n’ai pas eu très envie de sourire sur les photos. Ma mère a trouvé que j’avais mauvaise mine et a déploré, comme d’habitude, que je n’aie pas encore trouvé de mari. Je l’ai laissée dire. Je préférais encore cela plutôt que de ruiner sa tranquillité.
Garder ses cheveux…
Dans mon malheur, j’ai eu la chance d’échapper à la chimiothérapie. Même si j’étais exténuée par les traitements, au moins, j’ai conservé mes cheveux. J’en ai donc profité pour garder mon secret pour moi. Qu’est-ce que cette nouvelle pouvait apporter à ma famille, à part une angoisse, communicative? Sans doute voudrait-elle m’aider, mais le pourrait-elle? Je savais d’avance que ma mère ne pourrait pas s’empêcher d’imaginer le pire et je n’avais pas envie de cela, ni pour moi ni pour elle. Pour savoir si je devais garder le silence, j’ai dressé un tableau et pesé le pour et le contre. D’un côté, certes, je restais seule avec mon cancer et devais trouver des excuses pour justifier mon teint blafard. Mais en même temps, personne ne me regardait avec peur ou pitié et mes proches gardaient un comportement normal à mon égard. Le calcul a été vite fait. Les rares fois où j’ai été obligée de dire la vérité, à mon travail par exemple, pour justifier mes absences, les réactions ont été décevantes. Il y a celles et ceux qui avaient besoin de me parler d’une vague connaissance qui avait aussi souffert d’un cancer et qui, la plupart du temps, en était morte. D’autres paniquaient pour leur santé et voulaient connaître tous mes symptômes juste pour se rassurer. Quant aux plus bienveillants, désarmés, ils insistaient pour que je reste positive.
C’était décidé, je préférais éviter et essayer de penser à autre chose. Même avec mes amis, j’aimais mieux jouer à l’autruche et mettre la tête et la maladie dans le sable. J’ai même réussi à continuer à sortir et à faire un peu la fête. Mon objectif: m’étourdir et oublier. Pendant ce temps, j’ai suivi mes traitements en toute discrétion… Et j’ai guéri!
L’épreuve de vérité
J’ai révélé la vérité à ma mère trois ans plus tard, quand j’ai été certaine d’être en rémission. Évidemment, elle a pleuré. Et encore plus quand un éditeur m’a proposé de publier mon histoire. Le livre l’a bouleversée car elle a découvert le film des événements qu’elle avait manqués. Elle s’est effondrée en imaginant toutes ces épreuves que j’avais traversées sans elle. Mon père, plus réservé, s’est presque étonné que les médecins aient réussi à me sauver seuls. Lui aussi aurait aimé être là. En même temps, il était mal placé pour me jeter la pierre: quelques années plus tôt, lui aussi avait eu un cancer de la vessie qu’il avait caché à sa propre mère. Jusqu’à sa mort, elle a cru qu’il avait perdu ses cheveux à cause d’un banal champignon. Qui sait, peut-être même m’a-t-il inconsciemment soufflé cette stratégie. D’autres amis et membres de ma famille ne m’ont pas caché leur colère… avant de me pardonner. Je les comprends. Globalement, tous auraient voulu être là, pour moi. Mais, au fond, je sais qu’ils me comprennent aujourd’hui. Qui a envie de savoir qu’un proche est malade? Chacun vit la maladie à sa façon.
Dans mon cas, mon mensonge n’était pas non plus purement altruiste. Si j’ai voulu les épargner, c’est aussi parce que je voulais qu’ils restent les piliers qu’ils avaient toujours été pour moi. En cela, sans le savoir, ils m’ont aidée à me battre bien plus qu’ils ne l’imaginent. Sans compter que je n’étais pas si seule que cela: si ma stratégie a marché, c’est aussi parce que j’avais un médecin qui m’a merveilleusement épaulée.
Aujourd’hui, je me garderais bien de donner le moindre conseil à qui que ce soit. Je décris une démarche purement personnelle et qui a aussi ses limites. J’ai décidé de dire la vérité à mes proches après avoir rencontré mon mari. À lui, j’ai tout avoué peu après notre premier rendez-vous. Il aurait pu partir, mais il est resté. Avec lui, j’ai compris que le cancer était vraiment derrière moi. Dès lors, je ne voulais plus rien cacher à personne. Une nouvelle page se tournait enfin. Vers un bonheur que j’étais prête à partager avec tout le monde. Parce que, enfin, je revivais.”
Texte: Céline Chaudeau
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