euthanasie
L'euthanasie ne fait pas l'unanimité en Belgique. © Getty Images

Ma mort, mon choix: que dit la loi belge?

En 2002, la Belgique a été le deuxième pays au monde, après les Pays-Bas, à dépénaliser l’euthanasie. Pourtant, ce “dernier soin” ne fait pas encore l’unanimité. Où en sommes-nous aujourd’hui?

Pour vous, c’est quoi, l’euthanasie? Les résultats d’un micro-trottoir, publiés par la photographe Catherine Rombouts au dos d’un album en hommage à sa mère, sont révélateurs. Selon les personnes interrogées, l’euthanasie, ce serait…

  • “Tuer quelqu’un”
  • “Donner la mort”
  • “Mal”/”Bien”
  • “Quand tu n’es plus toi-même”
  • “Quand tu es désespéré”
  • “Plus doux que le suicide
  • “Choisir de partir, simplement”
  • “Quelqu’un qui ira directement en enfer”

Pourtant, la tendance est à la hausse: 2966 déclarations ont été enregistrées en 2022 en Belgique, avec une augmentation de 14 à 15% en 2023. L’euthanasie est plus fréquente en Flandre que dans la partie francophone du pays: un peu plus de 70% contre près de 30%. Elle se pratique de plus en plus à domicile ou en maison de repos. L’hôpital, soins palliatifs inclus, n’intervenant plus que pour un tiers des cas.

Euthanasie: 10 questions à une avocate

L’avocate Jacqueline Herremans, membre de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie et présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, a répondu à nos questions.

Qui peut obtenir l’euthanasie?

Les conditions fixées par la loi à l’euthanasie, qui consiste à mettre intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci, sont au nombre de trois:

  1. La demande, volontaire, réitérée et réfléchie, doit être exprimée par un patient majeur ou mineur émancipé, capable, qui ne subit pas de pressions extérieures.
  2. Ce patient doit faire état de souffrances physiques et/ou psychiques constantes, insupportables et inapaisables.
  3. Ces souffrances doivent résulter d’une affection médicale grave et incurable.

La loi autorise aussi l’euthanasie des mineurs non émancipés?

Depuis 2014, oui, mais les conditions sont plus restrictives: seuls les cas de maladies physiques où le décès est prévisible dans l’année peuvent être pris en compte. Comme pour les adultes, la demande doit émaner de l’enfant lui-même, mais un psychologue ou un pédopsychiatre doit confirmer sa capacité de discernement et il faut l’accord écrit de ses parents.

Les euthanasies de mineurs sont très rares

En 2022, l’euthanasie d’une jeune fille de 16 ans atteinte d’une tumeur au cerveau a fait du bruit, parce qu’elle avait elle-même souhaité, pour que sa mort ait un sens, de coupler son euthanasie avec un don d’organes. Les euthanasies de mineurs restent néanmoins très rares.

La combinaison de l’euthanasie avec un don d’organes est-elle possible pour toute personne qui demande l’euthanasie?

Pour les patients qui peuvent être considérés comme des donneurs potentiels, bien sûr, mais le don d’organes a un impact sur le déroulement de l’euthanasie: elle devra avoir lieu à l’hôpital, afin que le prélèvement des organes puisse être effectué le plus vite possible.

Le grand âge peut-il à lui seul justifier une euthanasie?

Non, même s’il arrive à certaines personnes très âgées de le souhaiter. La loi exige une affection médicale, et un lien causal entre cette affection et les souffrances endurées. Or, la vieillesse, en tant que telle, n’est pas une maladie.

La vieillesse, en tant que telle, n’est pas une maladie

Ces dernières années, cependant, nous avons vu se multiplier les demandes émanant de patients, souvent âgés, parfois centenaires, qui présentent ce qu’on appelle une polypathologie, c’est-à-dire plusieurs maladies chroniques réfractaires à tout traitement. Prises séparément, elles ne constituent pas nécessairement une affection médicale grave et incurable, mais leur combinaison dégrade à tel point la qualité de vie que ces personnes se retrouvent dans les conditions de la loi et peuvent obtenir l’euthanasie.

Une personne peut-elle faire connaître à l’avance sa volonté d’être euthanasiée, au cas où elle serait un jour dans le coma ou à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer?

La loi prévoit, en effet, la possibilité de rédiger une déclaration anticipée, à faire éventuellement enregistrer auprès de l’administration communale, en prévision du jour où, présentant une affection grave et incurable, la personne serait inconsciente et sa situation jugée irréversible. Cette définition ne s’applique pas à la maladie d’Alzheimer, sauf à la toute fin du processus. Mais il faut retenir que, même avec la maladie d’Alzheimer, une personne peut demander l’euthanasie, à condition qu’un spécialiste de sa pathologie ou un psychiatre confirme qu’elle possède encore la capacité de discernement.

Quelle est la marche à suivre?

La première chose à faire est de contacter son médecin traitant ou, par exemple, son oncologue, son neurologue… Celui-ci doit:

  • S’assurer par plusieurs entretiens en tête-à-tête que les conditions de fond sont réunies.
  • Consulter un autre médecin, indépendant du patient et de lui-même.
  • Si le décès n’est pas prévisible à brève échéance, consulter un troisième médecin, spécialiste de l’affection en cause ou psychiatre.
  • S’entretenir avec les proches du patient si c’est la volonté de celui-ci. Attention! Sauf pour un patient mineur non émancipé, la famille ne peut pas s’opposer à une décision d’euthanasie.

Un médecin est-il obligé de pratiquer l’euthanasie?

Le médecin peut refuser sur la base de sa liberté de conscience. L’euthanasie n’est donc pas un droit au sens classique du terme: vous avez le droit de la demander, mais pas la certitude de l’obtenir.

Sauf pour un patient mineur non émancipé, la famille ne peut pas s’opposer à une décision d’euthanasie

Comment se pratique l’euthanasie?

La loi n’aborde pas la question des moyens. Mais dans les faits, ça se passe soit par intraveineuse, soit avec des barbituriques administrés par voie orale. C’est en quelque sorte une anesthésie, sauf qu’on ne s’en réveille pas. Ensuite, le médecin transmet la déclaration d’euthanasie, dans les quatre jours ouvrables, à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, qui est chargée de s’assurer que l’euthanasie a été effectuée selon les conditions prévues par la loi.

Jusqu’à quand une personne qui a choisi l’euthanasie peut revenir sur sa décision?

Jusqu’au tout dernier moment. Ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas d’émettre ultérieurement une nouvelle demande: la décision n’appartient qu’à elle et elle peut en changer en toute liberté! De même, une déclaration anticipée d’euthanasie peut être retirée n’importe quand.

Dans d’autres pays, l’euthanasie n’est toujours pas dépénalisée. Les étrangers sont-ils nombreux à se faire euthanasier en Belgique?

Quelques extra-Européens ont obtenu l’euthanasie en Belgique. Mais dans la majorité des cas, il s’agit de ressortissants de l’Union européenne, et en particulier de Français, dont le nombre ne cesse d’augmenter, compte tenu de l’enlisement du débat dans leur pays!


Le Grand Jour: “Avant de mourir, elle a passé un instant avec chacun de nous”

Atteinte de la maladie de Charcot, Christiane a décidé de se faire euthanasier quelques jours après son 80e anniversaire. Dans le livre qu’elle a consacré à cette mort choisie, sa fille, la photographe Catherine Rombouts, reconnaît qu’elle a longtemps hésité à aborder avec elle le sujet de l’euthanasie, “parce qu’il n’y a pas de bon moment pour parler de la mort à ses parents. Mais, lorsque je l’ai quittée ce jour-là, elle m’a dit: ‘Téléphone au docteur'”. Christiane, qui a de plus en plus de mal à déglutir, et donc à boire et à manger, reçoit chaque semaine la visite de son médecin.

Christiane photographiée par sa fille le “Grand Jour”

Ultime rendez-vous

“Ma mère était une femme énergique. Elle supportait son état avec le courage qui l’avait toujours caractérisée. Mais elle maigrissait de plus en plus et, lorsque le médecin lui a avoué qu’il n’y avait plus d’autre solution que le gavage, elle a dit ‘Ah non, pas ça! On fixe une date!”.

Maman s’était habillée en orange et avait sorti le champagne. Avant de mourir, elle a passé un instant avec chacun de nous…

Dans son agenda, le 13 février, la veille de la fête des amoureux, elle a noté son ultime rendez-vous avec les siens: le Grand Jour. “Toute la famille était là!, raconte Catherine. Maman s’était habillée en orange et avait sorti le champagne. Avant de mourir, elle a passé un instant avec chacun de nous, distribué ses bijoux, répété combien elle nous aimait et dit à sa petite-fille ‘Tu te souviendras comme on aura ri!'”.

Comme elle voulait

Ensuite, elle s’est installée dans son fauteuil, sereine, détendue, joyeuse. “À la première injection, elle s’est endormie, elle ronflait même légèrement; et, à la deuxième injection, je lui tenais la main, mais je ne me suis rendu compte de rien, c’est le médecin qui m’a dit qu’elle était morte. Son décès, je l’ai vécu comme un véritable accompagnement: nous étions présents pour elle et, malgré notre tristesse, nous savions qu’elle était morte comme elle le voulait et qu’elle n’avait pas souffert”.

Un problème avec la mort

De cette expérience qu’elle qualifie elle-même de “ lumineuse ”, Catherine a eu envie de faire un livre. “Parce que, dans notre société, nous avons vraiment un problème avec la mort. Elle reste taboue, et la polémique sur l’euthanasie en France en est une preuve supplémentaire… Ce serait formidable si ce livre pouvait être un outil de discussion!”.

Le Grand Jour, Catherine Rombouts et Sophie Richelle, Éd. Loco.

Pour aller plus loin
– Visiter le site de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD): admd.be.
– Lire les brochures disponibles sur site de l’asbl Liages: liages.be.
– Lire un témoignage: Le passage, Choisir de mourir dignement, Didier Drouven, Éd. Kiwi.
– Lire un livre contre l’euthanasie: Peut-on programmer la mort ?, Pierre Jova, Éd. Seuil.
– Lire un livre pour l’euthanasie: Docteur, rendez-moi ma liberté, Dr Yves de Locht, Éd. Michel Lafon.
– Raconter l’euthanasie aux enfants avec l’adorable album Paulette, illustré par Annick Masson, Éd. Mijade, 2019.

Texte: Marie-Françoise Dispa

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