Psycho

“On fait chambre à part”: témoignages et décryptage psy

Par Justine Leupe

aujourd'hui

Vivre ensemble, mais dormir chacun de son côté est la solution miracle pour certains couples. 3 femmes témoignent de ce changement d’habitude qui a amélioré leur vie, ainsi que leur relation.

Dormir chacun de son côté peut être une bonne solution pour avoir un meilleur sommeil. À condition que les partenaires aient suffisamment communiqué sur le sujet, soient d’accord sur la décision et le fassent pour les bonnes raisons.

La cause: des ronflements

Marguerite, 65 ans, se réveille en pleine forme depuis qu’elle ne dort plus à côté de son mari ronfleur.

“Mon mari ronfle. Pourtant, il a fait tout ce qu’il pouvait pour solutionner le problème, mais rien n’y a fait… Les soirs où nous sortions et buvions quelques verres, les décibels résonnaient dans la chambre. À tel point que ses ronflements me réveillaient. Impossible de me rendormir. Petit à petit, je sentais que ce manque de sommeil affectait mon humeur, cela se répercutait sur mon travail à l’hôpital, mais aussi sur notre couple. J’ai fini par prendre des somnifères. Mon mari voyait bien que je luttais. ‘On ne peut pas continuer comme ça’, m’a-t-il dit. C’est ainsi qu’il y a une trentaine d’années, nous avons décidé de dormir séparément. Dans un premier temps, il dormait dans la chambre d’amis, mais quand nos enfants ont quitté la maison, on s’est chacun installés dans une chambre. Et on se réveille reposés!

Code intimité activé

Beaucoup pensent que vous n’avez plus de vie intime si vous ne dormez plus dans le même lit, mais c’est faux. Nous avons mis en place un code: quand il est activé, mon mari sait qu’il est le bienvenu dans ma chambre, c’est encore plus excitant. Par contre, je reconnais qu’il faut y consacrer du temps, sinon, la vie intime peut passer au second plan vu le rythme effréné des journées. Mais c’est le cas dans bien des relations. Mon seul regret est qu’on ne se réveille pas ensemble.

Lorsqu’on s’installe avec quelqu’un, on doit soudainement partager son lit. C’est presque contre-nature…

Le soir, je peux lire avec la lumière allumée. La nuit, j’aime que la pièce soit plongée dans le noir et je mets des bouchons pour ne pas entendre le chant des oiseaux le matin. À l’inverse, mon mari adore dormir avec les rideaux ouverts. Et puis, il y a quelques années, j’ai eu un cancer du sein et je dormais très mal, je me tournais et me retournais dans mon lit. Si nous avions dormi ensemble, mon mari n’aurait pas eu un instant de répit. Le matin, il arrivait dans la chambre, s’allongeait à côté de moi et me réconfortait.

Lorsqu’on s’installe avec quelqu’un, on doit soudainement partager son lit, alors qu’on a peut-être des habitudes différentes. C’est presque contre-nature… Je trouve que le fait de dormir chacun de son côté ne devrait pas être un tabou, on en parle avec nos amis et on s’est rendu compte que d’autres le faisaient aussi. Chacun garde ses habitudes, mais surtout, chacun a son endroit à lui pour se détendre à tout moment de la journée. Même si j’aime mon mari, j’ai besoin de cela, surtout depuis que je suis à la retraite”.

La cause: des douleurs chroniques

Des douleurs chroniques ont poussé Maryline, 55 ans, à quitter la chambre conjugale pour quelques nuits… qui durent depuis 10 ans.

“Depuis qu’un dentiste a touché un de mes nerfs, je souffre de douleurs chroniques. Cela fait maintenant plus de 10 ans. J’ai du mal à m’endormir, je m’agite la nuit, je ne suis jamais reposée. J’en avais assez que mon mari en pâtisse, alors j’ai migré vers une autre chambre pour quelques nuits. Et ça a été la révélation. Nous avons apprécié cette tranquillité. Aujourd’hui, cela fait 10 ans que nous passons chaque nuit, chacun de notre côté.

Sur le ton de l’humour, on se dit souvent ‘Ta chambre ou la mienne?’

Notre vie sexuelle ne s’est pas du tout détériorée, au contraire. Sur le ton de l’humour, on se dit souvent: ‘Ta chambre ou la mienne?’. On veut que ces moments restent spontanés et excitants.

Une preuve d’amour

J’aime raconter notre histoire, car notre entourage peut trouver notre mode de sommeil étrange. Ils pensent que notre couple va mal alors que pour nous, c’est l’inverse. On y voit un signe d’amour et de respect l’un pour l’autre. Nous sommes ensemble depuis 37 ans, nous nous aimons et dormons ensemble uniquement durant nos vacances. Mes douleurs chroniques se sont atténuées grâce à un nouveau traitement, mais mes nuits restent agitées. Peut-être qu’un jour on passera davantage de nuits ensemble, mais pour l’instant, dormir séparément est la meilleure solution”.

La cause: des rythmes différents

Rose, 38 ans, et son petit ami n’ont pas le même rythme de vie.

“J’adore mon compagnon, mais c’est un homme d’action. Il a d’ailleurs des habitudes de sommeil très différentes des miennes. Il saute du lit plein d’énergie à 5h30. Quand nous nous sommes installés, nous avons emménagé dans un appartement une chambre où nous dormions ensemble. Quand j’allais dormir plus tard que lui, je le réveillais. Et lorsqu’il se levait, il me réveillait. Et chaque fois qu’il se retournait dans son sommeil, je me réveillais aussi! On dormait ensemble par amour et parce que je pensais que c’était la chose à faire en étant en couple. Mais au bout d’un moment, j’ai senti que ce n’était pas bon pour moi. J’étais tout le temps fatiguée.

J’aime avoir mon propre espace, avec mon dressing, et que ma chambre soit rangée

Je n’osais pas lui proposer la solution de dormir séparément. J’avais peur qu’il réagisse négativement ou qu’il ne comprenne pas, mais il est vite devenu évident que ce serait mieux pour nous. En parler a été un grand soulagement. Bien sûr, sur papier, dormir ensemble et se lever ensemble, ça paraît romantique, mais pour nous, la réalité était bien différente. On a senti que notre fatigue respective pesait sur notre relation et notre intimité. Lorsqu’on est fatigué, on se sent moins bien dans sa peau et on a aussi moins envie de faire l’amour.

Un espace à soi

Il y a environ 8 mois, nous avons emménagé dans une maison, nous y dormons séparément. Avant de nous endormir, nous nous allongeons souvent ensemble un moment, puis nous allons chacun dans notre lit. Si nous voulons être ensemble ou faire l’amour, nous le choisissons consciemment. J’aime aussi avoir mon propre espace, avec mon dressing. Et avoir une chambre bien rangée, ce qui est moins important pour mon partenaire. Et s’il veut faire du yoga le matin alors que je dors encore, ce n’est plus un problème. Si des choses me manquent? Parfois, le fait de s’endormir ensemble, l’un contre l’autre. Il m’arrive aussi de me demander si nous ne risquons pas de nous éloigner, mais depuis qu’on a décidé de faire chambre à part, nous communiquons mieux sur nos propres besoins.

Lorsque je présente notre nouvelle maison à mes amis et à ma famille, je leur dis: ‘Voilà ma chambre et voici celle de mon petit ami’. S’ils posent des questions, j’explique que nous avons des rythmes différents et qu’il est préférable pour nous de dormir séparément. Cela n’a jamais été bizarre. Je me fiche de ce que pensent les gens, nous faisons ce qui nous convient le mieux. Pour moi, tout faire ensemble et dormir toujours dans le même lit est dépassé. Aujourd’hui, les gens sont davantage conscients de leurs propres besoins et exigences, ils en parlent ouvertement avec leur partenaire. Et c’est tout à fait sain. Il est temps de porter un nouveau regard sur le couple”.

3 questions à une psychologue

Laura Regaglia, sexologue et thérapeute de couple, répond à nos interrogations.

Quels peuvent être les besoins qui poussent un couple à dormir séparément?

“Les besoins sont multiples, mais souvent c’est lorsque les partenaires n’atteignent pas le sommeil réparateur, car rappelons-le, dormir est un besoin fondamental. On a tout ce qui est de l’ordre des ronflements qui empêchent de dormir, quelqu’un qui bouge beaucoup, qui grince des dents, s’il y a des différences de température, l’un dort la fenêtre ouverte, l’autre non, avec de la lumière ou pas… Mais aussi si les partenaires ont des rythmes différents, que ce soit à cause d’un travail à horaires décalés ou parce que les habitudes sont différentes. Certaines personnes vont dormir plus tard que d’autres et ont besoin de ce ‘moment ressource’ où elles profitent pour lire un livre, regarder une série… D’autres aiment par exemple avoir leur propre espace pour organiser leurs affaires. Et puis, il y a aussi le besoin de casser une routine installée. Le couple se créera alors des espaces dédiés, que ce soit pour des moments intimes ou juste des moments de partage relationnel”.

Y a-t-il des mauvaises raisons de dormir séparément?

“Quand on décide de ne plus dormir ensemble, il faut identifier les besoins de chacun, assimiler ces derniers et ensuite arriver à les communiquer clairement. Le risque est de se cacher derrière un faux besoin. Par exemple, l’un des partenaires ronfle, donc la solution facile est de dormir chacun dans sa chambre pour avoir un meilleur sommeil. Mais si on gratte un peu, on se rend compte que c’est parce qu’il y a une pression au niveau des rapports sexuels. Donc, décider de prendre ses distances la nuit doit être expliqué pour les bonnes et vraies raisons, sinon le problème ne fera qu’augmenter”.

Que mettre en place pour que le couple n’en souffre pas?

“Pour conserver une relation saine, il est important d’installer des rituels. Par exemple, avant de regagner chacun son lit, le couple peut regarder un épisode ou un film ensemble. C’est rassurant: on dort séparé, mais on partage des instants de qualité. Les partenaires peuvent aussi réinjecter des moments à deux en journée. Il y a le temps passé seul, mais aussi des petites bulles de tendresse ensemble, c’est-à-dire des câlins, des bisous ou même des massages. Cela peut sembler superficiel au début, mais les inscrire dans un planning permet de ne pas sauter ces moments et de vivre ce partage de tendresse. Et pourquoi pas réinventer sa sexualité autre part que dans un lit, le soir ou le matin? Le couple repensera sa relation. Ce sera peut-être un tremplin pour arriver à un nouvel équilibre et casser une routine”.

Texte: Herte De Cleyn et Justine Leupe