Témoignage: “Même si je ne suis pas coupable, j’ai tué quelqu’un”
Un soir de janvier 2017, Caroline a renversé un cycliste par accident. Le souvenir de cet événement la hante encore. Tous les jours, elle se bat contre son sentiment de culpabilité.
“C’était une sombre soirée de janvier. J’étais restée un peu plus tard au boulot pour faire quelques factures, et je voulais passer rapidement chez le comptable, pour que tout soit en ordre. Un ami était venu m’aider et m’accompagnait. Il avait proposé de conduire, mais je préférais prendre ma voiture. On avait allumé la radio et on papotait…”. Caroline roule à du 80 km/h, sur une ligne droite, lorsqu’un vélo surgit soudainement de nulle part. “Quand je l’ai aperçu, il était déjà trop tard. Je n’ai même pas eu le temps de freiner, je l’ai accroché et il a fait un vol plané sur le côté gauche de ma voiture. J’ai eu le réflexe de tourner le volant et ma voiture a embouti un poteau. Je n’osais pas sortir”.
L’arrivée des secours
La violence du choc qu’ils viennent de subir est énorme. C’est son ami qui appelle les secours et qui descend de la voiture, sans oser s’approcher pour aller voir la victime. La première voiture qui passe ne s’arrête pas. Le deuxième chauffeur se gare sur le bord de la route et commence tout de suite à régler le trafic. “Le moteur de ma voiture tournait encore lorsque la police et l’ambulance sont arrivées”. Caroline n’a aucune séquelle physique de cet accident. Pour l’homme à vélo par contre, il est trop tard, il n’a pas survécu au choc.
En état de choc
“Je n’arrivais plus à parler, je pleurais sans pouvoir m’arrêter. Pendant que les secours s’occupaient de la victime, j’ai été emmenée par la police pour un alcootest. Je n’avais rien bu, au contraire de l’homme que j’avais heurté. Il était tellement ivre qu’on pouvait sentir l’alcool à plusieurs mètres”. Le cycliste a traversé la rue en biais, sans phares. “Un ambulancier est venu me rassurer: je n’aurais pas pu le voir, je n’étais pas coupable”.
Cette nuit-là, Caroline reste au commissariat jusqu’à 4h du matin pour faire sa déclaration et signer divers papiers. “Quand je suis rentrée à la maison, j’étais cassée. Impossible de fermer l’œil: j’avais tué un homme, je n’arrivais pas à m’ôter cela de la tête. Le lendemain, je devais absolument retourner au boulot. Je suis une maman solo et j’ai ma propre affaire. C’étaient les vacances de Noël, je ne pouvais pas me permettre de fermer. J’ai donc fait ce que j’avais à faire, mais dans un état second”.
La nouvelle se répand
La rumeur s’installe et tout le village est rapidement mis au courant. Même des personnes que Caroline n’a jamais vues se mettent à entrer dans sa boutique pour avoir le fin mot de l’histoire. “Ils m’ont aussi appris qui était la victime: un homme dans la soixantaine, très connu dans les environs. Un quart d’heure avant l’accident, un tram avait dû freiner sec parce qu’il traversait sans regarder. Le chauffeur qui s’était arrêté après l’accident m’avait dit: ‘Si vous ne l’aviez pas écrasé, c’était moi…’.
Un peu de réconfort
Ce n’est que quelques semaines après l’accident que Caroline se sent plonger. “Heureusement que je pouvais me confier à la psychologue que m’avait conseillée le service d’aide aux victimes. Je n’ai pas beaucoup d’amis et je ne pouvais pas compter sur ma famille. Ma mère et mes sœurs passaient de temps en temps mais elles ne savaient pas quoi dire. Nous ne sommes pas une famille où l’on parle beaucoup. Mon père m’a alors serrée dans les bras, pour la première fois de ma vie”.
Coupable sans l’être…
Déjà malmenée par la vie – jeunesse difficile, relations sans réel avenir, maman solo de trois enfants – Caroline traverse très mal cette nouvelle épreuve. Les mois précédant l’accident avaient en effet été éprouvants, et la maman commençait seulement à remonter la pente quand c’est arrivé. “Je m’étais achetée une voiture pour la première fois de ma vie, j’adorais cette impression d’être enfin autonome. Après l’accident, je suis retombée de haut. J’ai même été admise à l’hôpital quelque temps. Je n’en pouvais plus”. Pourtant, Caroline n’est en rien responsable: elle n’avait pas bu, elle ne roulait pas trop vite… Mais une personne est morte ce soir-là. “Parfois, je me disais que j’aurais préféré que ce soit de ma faute. Au moins j’aurais pu être punie par la société, les choses auraient été plus claires. En fait, je me sentais coupable sans l’être”.
… mais aussi victime
Par le biais d’un médiateur, on propose à Caroline d’échanger avec le fils de la victime: “Heureusement, il ne m’en a jamais voulu. Son père roulait souvent à vélo, totalement ivre. Ça aurait pu arriver bien plus tôt”. Une situation qu’elle regrette pourtant, tant elle aurait pu être évitée. Selon elle, s’il n’avait pas été aussi imprudent, tout cela ne serait jamais arrivé. “J’ai longtemps été fâchée contre lui. En quelques secondes, ma vie a basculé. Pour certains, c’est difficile à comprendre mais je suis aussi une victime”.
Réapprendre à conduire
Après l’accident, les voisins de Caroline l’obligent à se remettre derrière un volant. “Nous avons roulé dix minutes seulement, mais sans ça, je ne serais peut-être plus jamais montée dans une voiture. Au début, j’évitais la route où l’accident avait eu lieu… jusqu’au jour où j’ai dû freiner à bloc pour un chat. Là, je me suis dit que ça pouvait m’arriver n’importe où. Depuis, je roule à nouveau”. Mais il lui faudra néanmoins du temps pour être à l’aise et elle le sait: la peur ne disparaîtra sans doute jamais.
Pardonner, est-ce seulement possible?
Un an après les faits, Caroline se sent prête et décide de retourner sur les lieux de l’accident pour y déposer un bouquet de roses. “Cela m’a fait du bien. À ce moment-là, j’ai pu nous pardonner: à lui, mais aussi à moi”. Depuis, elle s’y rend à chaque date anniversaire. C’est devenu un rituel dont la maman a besoin dans son processus de deuil. “C’est comme lorsqu’on pense à un ami ou un fiancé que l’on a perdu. Ce n’est pas évident à expliquer. J’ai rencontré des personnes dans le même cas que moi qui avaient l’impression que leur vie ne valait plus la peine d’être vécue. Le sentiment de culpabilité peut nous détruire”.
Aujourd’hui, Caroline a passé le cap. Une tristesse l’envahit toujours quand elle y pense, mais la boule qu’elle avait à l’estomac a disparu. “Cette épreuve m’a beaucoup appris sur moi-même. Je suis plus consciente de mes forces. La méditation m’a aussi aidée à retrouver la paix intérieure”.
Se raconter pour aider les autres
Cette épreuve a donné envie à la mère de famille d’aider les autres. “Pour la première fois, j’ai donné une conférence il y a quelques semaines à des policiers et des ambulanciers. C’était très dur, je n’oublierai jamais ce qui m’est arrivé, autant en faire quelque chose d’utile”. Par ses prises de parole, Caroline veut faire comprendre aux personnes qui sont dans son cas qu’elles ne sont pas seules. Mais aussi sensibiliser les piétons et (moto)cyclistes. “Il ne faut pas croire que cela n’arrive qu’aux autres. Une seconde suffit pour bouleverser une vie, que l’on soit victime ou responsable d’un accident”.