Témoignage: “Ma sœur a disparu depuis 12 ans”
Françoise, la sœur de Rachel, a disparu un jour d’été. Elle était infirmière, avait deux enfants et la vie semblait lui sourire. Pourquoi ne l’a-t-on jamais retrouvée? Rachel vit avec cet insupportable mystère.
“À chaque fois qu’elle quittait la maison, je lui faisais de grands signes jusqu’à ce que sa voiture tourne au bout du chemin. Je lui disais: ‘Sois prudente’. Elle répondait: ‘T’inquiète pas. Je t’appelle dès que je suis rentrée’. Je la vois encore, ce jour de juillet 2009, elle semblait heureuse, elle partait en vacances quelques jours plus tard. La voiture a tourné au bout du chemin et je ne l’ai plus jamais revue. Ma petite sœur a disparu il y a bientôt douze ans maintenant. Et personne ne sait ce qui lui est arrivé”.
Ma sœur, mon amie
“Françoise était ma sœur, mais aussi mon amie. Elle était ma cadette de deux ans. On a grandi en Gaume, du côté de Florenville. On a partagé la même chambre, les mêmes jeux, les mêmes rires, et cette complicité a perduré au fil des années. Elle a été la marraine de mon aîné, ses enfants adoraient dormir à la maison. On se voyait souvent et quand on ne se voyait pas, on s’appelait. Deux à trois fois par semaine. Cet été-là, j’ai donc trouvé bizarre qu’elle me laisse plusieurs jours sans nouvelles, mais elle était en vacances, je ne voulais pas la déranger. Avec son compagnon et leurs deux enfants, ils avaient décidé de partir en montagne, dans le nord de l’Espagne. Ils étaient arrivés le samedi”.
Le dimanche après-midi, la famille part en balade. “Ils ne connaissaient pas le coin, mais ils avaient repéré un panneau avec différents tracés. Ils ont choisi un itinéraire et sont partis. Au bout d’un moment, ils se sont retrouvés à un petit carrefour, en pleine nature. Soit ils poursuivaient leur itinéraire sur la droite, soit ils prenaient un sentier à gauche vers un panorama. Les enfants et leur père ont voulu voir le panorama. Il faisait très chaud, ma sœur était fatiguée, déjà un peu à la traîne. Elle a proposé de les attendre là jusqu’à ce qu’ils reviennent. Mais quand ils sont revenus, elle n’y était plus. Ils ne se sont pas trop inquiétés. Ils ont pensé qu’elle était redescendue seule au gîte. Mais elle n’y était pas”.
Elle a proposé de les attendre là jusqu’à ce qu’ils reviennent. Mais quand ils sont revenus, elle n’y était plus.
“Fanette a disparu”
Les secours interviennent le soir même, avec chiens pisteurs et hélicos. “Ils l’ont cherchée jusqu’à la tombée de la nuit. Ils ont recommencé le lendemain, le surlendemain… À ce moment-là, je ne suis encore au courant de rien. Le jeudi, comme Françoise ne m’appelle pas, je me décide à le faire. Mais à l’instant où je prends le téléphone, il sonne. C’est son compagnon: ‘Fanette a disparu!’ – ‘Disparu?’ – ‘Oui, depuis dimanche’. Le ciel me tombe sur la tête: ma sœur avait disparu depuis cinq jours! Je veux aller sur place, mais lui ne veut pas. Il me dit que ça ne servira à rien. C’est sans doute vrai, mais je me sens tellement impuissante! Pendant plusieurs semaines, je ne lâche plus mon téléphone, je l’ai en main en permanence. J’attends que ma sœur m’appelle. Elle n’appellera jamais…”.
“On se faisait des films…”
La police évoque d’abord la disparition volontaire. “Je n’y ai pas cru une seconde”, nous dit Rachel. “Ma sœur n’aurait jamais fait ça, ni à ses enfants qu’elle adorait, ni à notre papa qui venait d’avoir 80 ans, ni à moi bien sûr”. Mais alors, que s’était-il passé? Avait-elle repris la route seule? S’était-elle perdue? Était-elle tombée? S’était-elle blessée? Avait-elle fait une mauvaise rencontre? “Ma sœur n’était pas méfiante. Elle était très ouverte, elle parlait à tout le monde. Elle aurait pu suivre un inconnu. Au début, je me suis accrochée à l’idée qu’elle était tombée, qu’elle s’était blessée, qu’on allait la retrouver. Mais les jours passaient…”.
“En août, il était prévu que l’on parte quelques jours en vacances, elle et moi, avec les enfants”, poursuit Rachel. “Je n’ai pas eu le cœur à partir, mais j’ai proposé aux enfants de passer la semaine à la maison auprès de leurs cousins. J’ai d’abord essayé de leur changer les idées, mais j’avais aussi envie de parler de leur maman. Ma nièce a 14 ans, mon neveu 12. Nous avions toujours eu d’excellents contacts mais là, ils se braquaient. Je ne comprenais pas. Leur avait-on demandé de se taire?”.
Après ces quelques jours passés chez leur tante, les enfants coupent définitivement les ponts, et ne revoient jamais leur grand-père qu’ils adoraient. “En plus de perdre ma sœur, on perdait ses enfants dont on avait toujours été très proches. Papa ne disait plus rien, il souffrait en silence. Moi aussi. Chacun se taisait pour ne pas faire de mal à l’autre. Mais pendant ce temps-là, on avait sans cesse les mêmes questions qui nous tournaient dans la tête. Avec des espoirs un peu fous. J’ai pensé que Françoise pourrait revenir pour la rentrée, puis qu’elle réapparaîtrait à Noël. On se faisait des films, c’était complètement irrationnel, mais on se raccrochait à ce qu’on pouvait”.
La piste criminelle
“En 2012, trois ans après la disparition de Françoise, j’ai décidé d’aller sur place. J’ai trouvé un guide et je lui ai expliqué que je voulais faire la promenade sur laquelle ma sœur avait disparu. Il a été charmant, il a parfaitement compris mes émotions, mais cela a été très difficile. D’abord, la région était encore bien plus sauvage que je l’imaginais. Avec beaucoup de ravins, beaucoup de végétation et des sentiers caillouteux pas toujours bien dessinés. Mon guide avait une carte et une boussole qu’il a dû utiliser à plusieurs reprises. Ce n’était pas franchement une balade familiale, il fallait être un peu inconscient pour entamer un tel itinéraire dans la chaleur d’un après-midi d’été. Lorsque nous sommes arrivés au petit carrefour où ma sœur avait été vue pour la dernière fois, je me suis sentie mal. C’était vraiment au milieu de nulle part. Un endroit sauvage, isolé. Je n’aurais pas aimé y laisser mon chien. Et ma sœur était restée là…”
Rachel ne vient pas pour faire des recherches, mais pour se rendre compte. “Les enquêteurs ont tout fouillé pendant des semaines. Si elle s’était perdue, si elle s’était blessée, ils l’auraient retrouvée. Ils ont même balancé des sacs de sable de son poids pour voir jusqu’où son corps aurait pu dévaler, et jusqu’où il fallait la chercher. Depuis que j’ai vu les lieux, je suis assez d’accord avec les enquêteurs pour privilégier la piste criminelle”.
L’album aux souvenirs
“Si ma sœur avait eu un accident en montagne, on l’aurait retrouvée. Si on ne la retrouve pas, c’est qu’elle n’est pas là. C’est donc qu’elle a été emmenée ailleurs. Mais par qui? Et dans quelles circonstances? Comme il n’y a pas de réponses à ces questions, j’imagine le pire. Je ne peux pas m’en empêcher. Quelques années avant la disparition de Françoise, notre jeune frère est décédé dans des conditions tragiques. C’était horrible, mais nous savions ce qui lui était arrivé. Pour Françoise, le plus terrible est de ne pas savoir. Je regarde les albums de notre enfance, les photos des anniversaires, des fêtes de famille, des vacances à Rimini… Et je me dis: où est-elle? Qu’a-t-on fait d’elle?”.
Faute d’éléments, l’enquête est clôturée depuis longtemps. En décembre 2020, la justice belge a décidé de déclarer Françoise décédée. “On me dit qu’il faut accepter. Tourner la page. Comment voulez-vous tourner la page d’une histoire pareille? Je ne lâcherai pas l’affaire. Je me dis qu’il y a nécessairement quelqu’un, quelque part, qui sait. Un jour, cette personne pourrait parler. Jusqu’au dernier instant de ma vie, je garderai l’espoir de savoir ce qui est arrivé à ma petite sœur”.
Texte: Christine Masuy, coordination: Stéphanie Ciardiello
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