Témoignage: “Le futur m’angoissait au point de me déprimer”
Imaginer les pires scénarios, ne plus en dormir de la nuit: l’anxiété d’anticipation peut faire des ravages sur la santé mentale. Mais pourquoi demain nous fait peur, et comment s’apaiser?
Anticiper tout ce qu’il peut se passer en se rongeant les sangs: pour certaines personnes, l’angoisse de “demain” prend des proportions démesurées. Ça a été le cas de Camille, 39 ans, qui nous livre son témoignage. Mais d’abord, une psychologue décrypte ce phénomène.
Pourquoi on anticipe?
“L’être humain a besoin d’anticiper”, nous explique Cynthia Suarez, psychologue clinicienne. “À la base, ces projections futures ne sont pas mauvaises, elles sont même naturelles. Elles proviennent de notre cerveau reptilien, de notre besoin vital de prévoir et d’anticiper les menaces. Ces anticipations deviennent néfastes quand elles nous font souffrir, nous bloquent, nous causent des angoisses ou même des états de burn-out”. Elle poursuit: “Imaginer les pires scénarios peut aussi nous donner l’impression de nous protéger, on se dit ‘Si ça arrive, je serai moins en état de choc et je saurai comment réagir'”.
Mais attention: tout anticiper négativement est risqué, car on peut provoquer le négatif. “Par exemple: si on se dit qu’on va passer une mauvaise soirée parce que telle ou telle personne sera là, on risque de dégager une énergie négative qui influencera le déroulé”.
Entraîner son cerveau
Cette peur du lendemain peut-elle être travaillée? Oui, affirme Cynthia Suarez. “Contrôler nos pensées n’est certes pas simple. On traite des milliers de pensées par jour, la plupart négatives, car l’être humain est ainsi fait. Mais notre cerveau est comme un muscle, on peut l’entraîner pour arriver à lâcher prise ou à voir le positif. C’est ce qu’on appelle la plasticité neuronale: on peut moduler nos pensées. Bien sûr, ça ne se fait pas du jour au lendemain, et on ne peut pas voir tout en rose tout le temps.”
Il faut pouvoir faire le tri entre ce qu’on peut contrôler, et ce sur quoi on n’a pas d’emprise
Le nœud du problème de cette anxiété, c’est le besoin de contrôle. “Il faut pouvoir faire le tri entre ce qu’on peut contrôler, et ce sur quoi on n’a pas d’emprise. C’est l’acceptation active: pouvoir lâcher prise sur ce sur quoi nous n’avons pas de mainmise, et avancer là où on le peut.”
Camille, vivre avec l’éco-anxiété
Camille, 39 ans, est employée administrative. Séparée du père de ses deux enfants, de 8 et 11 ans, elle vit dans le Brabant wallon. Éco-anxieuse, mais aussi inquiète pour l’avenir de manière générale, Camille a appris à gérer ses angoisses pour réussir à vivre mieux.
“Quand j’avais 15 ans, j’ai commencé à me dire que quelque chose n’allait pas côté climat, et que c’était dangereux. Jusqu’à mes 23 ans, j’étais très angoissée par l’avenir, il était hors de question pour moi de faire des enfants dans ce contexte. Je me disais qu’on n’allait pas vers un mieux, qu’on fonçait droit dans le mur.”
Pensées suicidaires
Pour traiter ces angoisses, Camille va alors voir un psy. “J’angoissais très fort, ces projections m’empêchaient de dormir la nuit et d’être heureuse. Je pensais au suicide, sans être vraiment suicidaire pour autant. Je n’avais pas envie de me donner la mort, mais je n’avais pas envie de vivre pour autant. J’étais dans une impasse existentielle, une déprime profonde liée à mes angoisses sur le futur. Je ne voyais pas le sens de la vie dans ce contexte de métro, boulot, dodo, d’un monde régi par l’argent où on niait à ce point l’enjeu climatique.”
La fameuse question: ‘Où tu te vois dans cinq ans?’ me tuait. Trouver un toit, un job, avoir des sous sur mon compte… Tout ça me générait beaucoup d’anxiété
Outre l’aspect climatique, se projeter dans le futur fait broyer du noir à Camille. “Je ne savais pas où je me voyais plus tard. La fameuse question: ‘Où tu te vois dans cinq ans?’ me tuait. Je me disais toujours que je ne pourrais pas avoir mieux que ce que j’avais déjà vécu. Trouver un toit, un job, avoir des sous sur mon compte… Tout ça me générait beaucoup d’anxiété.”
À l’aide d’un accompagnement, elle parvient petit à petit à s’accrocher aux belles choses de la vie. “Je n’ai pas changé d’avis sur la question de la crise climatique, mais j’ai travaillé sur mes angoisses pour éviter qu’elles me pourrissent la vie. Je me pose moins de questions, je fais de mon mieux à mon échelle. J’apprécie les petites choses de la vie, j’essaye davantage de vivre dans le présent plutôt que d’anticiper les pires scénarios.”
“Cela peut paraître bête, mais observer la nature et le ciel, voir des plantes pousser, ça me fait du bien. Ça me rassure de me dire que la nature reprend ses droits quoi qu’il arrive, qu’elle sera là après nous. J’ai aussi quitté la ville pour vivre à la campagne.”
Maman louve
“Quand je suis devenue maman, ces peurs sont revenues en force. J’étais comme une louve, la ride du lion est apparue sur mon visage le lendemain de la naissance de ma fille (Rires). Je redoutais tout ce qui pouvait leur arriver, j’angoissais pour eux. Je culpabilisais aussi, je me disais que les mettre au monde restait un acte égoïste, vu la situation de la planète et la surpopulation. C’est bien sûr une idée de laquelle je les protège, sans leur mentir pour autant.”
Mais là aussi, elle apprend à vivre avec ces questionnements. “Je me suis dit que je voulais profiter de voir grandir mes enfants, de les préparer au mieux à leur avenir en restant positive. Aujourd’hui, je vois davantage les choses du bon côté, je vis des bonheurs que je n’aurais jamais connus si je n’avais pas eu d’enfants.”
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Anticiper sans angoisser
“Et puis, il y a sept ans, je me suis séparée du père de mes enfants et j’ai tout à coup été confrontée à mes plus grandes peurs. Je n’ai temporairement plus eu d’argent, mon compte épargne s’est retrouvé à zéro…” Pour Camille, cette situation fait office de déclic. “Je me suis rendu compte que j’étais en bonne santé, que j’avais de l’aide de mon entourage, et mon stress s’est vraiment apaisé. Le fait d’être confrontée à mes plus grandes angoisses m’a montré que j’allais bien, et que je pouvais y faire face.”
“Être mère célibataire peut générer une sérieuse angoisse de la fin du mois. Mais je me sens bien entourée, on a notamment instauré un réseau d’entraide dans le village. Alors bien sûr, toujours imaginer le pire permet d’anticiper, de s’y préparer. Mais aujourd’hui, j’ai appris à gérer ces projections différemment. Je reste prévoyante, pour être prête au cas où il se passerait ceci ou cela, mais tout en prenant du recul.”
L’éco-anxiété sous la loupe
L’éco-anxiété est considérée comme une peur chronique face à la dégradation de la planète et la crise environnementale. “Il s’agit d’un phénomène relativement nouveau, mais qui prend beaucoup d’ampleur”, explique la psychologue Cynthia Suarez. “La crise climatique fait écho différemment chez les uns et chez les autres selon la sensibilité de chacun.”
“Mais depuis la crise Covid, je constate que les angoisses d’anticipation ont augmenté. Que ce soit sur le sujet du climat, mais aussi de la santé, de l’instabilité politique ou de l’économie… Les gens ont besoin de se raccrocher à quelque chose, de se rassurer.”
7 clés pour calmer l’anticipation négative
Que ce soit pour des situations banales du quotidien ou face à de réels traumatismes, l’anxiété n’est pas facile à éviter. Alors pour calmer ces angoisses, la psy nous donne sept conseils concrets.
- Travailler son lâcher-prise. Comment? “Cela peut passer par la méditation, la pleine conscience, le yoga, le sport… À chacun de trouver son exutoire”.
- Créer des rituels rassurants. “Certaines personnes ont besoin de planifier, ça les rassure. Faire des listes peut alors aider: écrire, énumérer, instaurer des rituels de gratitude au quotidien… Autant de petits gestes inscrits dans le temps”.
- Positiver. “Simple exemple: les prévisions météo sont pourries? Essayez de voir le bon côté des choses: concentrez-vous sur les rayons de soleil existants, dites-vous que ça pourrait être pire”.
- S’ancrer dans le présent: “Essayez de rester dans le ‘ici, maintenant’. Se concentrer sur sa respiration permet notamment de chasser les pensées parasites”.
- S’inspirer de la pensine de Dumbledore: “J’aime bien cette image. À l’aide de sa baguette magique, Dumbledore peut sortir des souvenirs de sa tête et les stocker dans sa mystérieuse pensine. Dans la vie réelle, vous pouvez noter vos pensées encombrantes dans un bloc-notes, et puis le mettre de côté”.
- S’aider du corps. “Parfois, face à des situations lourdes à supporter, comme avant un rendez-vous médical stressant, on ne peut pas s’empêcher d’anticiper négativement. Dans ces cas-là, aidez-vous de votre corps: respirez calmement et en pleine conscience, tapotez vos pieds sur le sol, touchez-vous les bras… Ces petits gestes permettent aux pensées de redescendre”. Comme si elles quittaient la tête…
- Parler! “La communication reste une clé pour s’apaiser. Parler avec quelqu’un de confiance permet d’extérioriser une peur, et ainsi de la réduire”.
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