Témoignage: “Je mène le même combat que Delphine Boël”
Cécile connaît son père depuis toujours, mais il ne l’a jamais reconnue. À 40 ans, elle a décidé de porter l’affaire devant les tribunaux. Elle a besoin de sortir du secret pour avoir enfin le droit d’être elle-même.
Après 7 ans de procédure de reconnaissance de paternité, Delphine Boël a officiellement été reconnue princesse de Belgique et fille d’Albert II devant la Cour d’appel de Bruxelles, en octobre 2020. Si cette affaire est sans aucun doute celle qui a fait le plus bruit en la matière, Delphine Boël est pourtant loin d’être la seule à mener ce genre de combat…
Delphine Boël n’est pas la seule…
“Je mène le même combat que Delphine Boël. Je sais depuis toujours qui est mon père, mais il ne m’a pas reconnue et je ne porte pas son nom. Pendant des années, toute cette histoire a fait l’objet d’un grand secret… Aujourd’hui, ça suffit! J’ai besoin qu’il me reconnaisse comme sa fille. Nous sommes devant les tribunaux. Ma démarche étonne pas mal de gens. Ils se disent: ‘Qu’est-ce que ça peut lui faire au bout de toutes ces années? Elle a 42 ans maintenant! À son âge, il serait temps de tourner la page.’ Eh bien, non. Ces démarches que j’ai entreprises à 40 ans, je n’aurais pas pu les mener à 20 ans. Il faut du temps pour en arriver là. Il faut d’abord comprendre et accepter ce qu’on a vécu, ce qu’on a subi. Moi, je suis un secret. C’est comme si je n’avais jamais vraiment eu le droit d’exister”.
Marié à une autre
“Maman avait 20 ans. C’était au milieu des années 70. Elle travaillait à l’usine et vivait toujours chez ses parents, dans une grande famille italienne. Mon père était son premier amour. Il avait 26 ans, il était charmant… Au bout de quelques mois, elle est tombée enceinte. Par accident. Il a évoqué l’idée d’avorter, elle a refusé. Ils ont finalement décidé de chercher un logement où ils pourraient s’installer ensemble pour préparer l’arrivée du bébé. Ces préparatifs étaient en cours, mais voilà… Un jour qu’ils étaient en ville, maman est à peine sortie de la voiture que mon père l’y repousse violemment. Elle est enceinte de six mois, elle ne comprend pas. ‘Qu’est-ce qui te prend?’ Et là, il lui avoue tout. Il vient de voir sa femme sur le trottoir d’en face. Eh oui, il est marié à une autre… ‘Tu devais bien t’en douter’, lui dit-il. Mais comment aurait-elle pu se douter? Ils étaient ensemble depuis des mois, elle avait été reçue chez lui, elle avait rencontré sa maman, ses amis… En fait, il jouait les célibataires et tous ses proches étaient dans la combine. Non seulement il était marié, mais il avait une petite fille, née six mois avant moi”.
Peur qu’il me tue
“J’ai grandi chez mes grands-parents. Mon père n’était pas totalement absent pour autant. Il allait et il venait. Il n’était pas à la maternité le jour de l’accouchement, mais il est arrivé le lendemain. Je crois qu’il venait davantage pour ma mère que pour moi, il était toujours dans la séduction. Mais ma mère acceptait ses visites pour moi, pour tenter de maintenir le lien père-fille. Elle avait compris qu’elle ne pouvait rien espérer d’autre. Elle n’avait été que l’une de ses conquêtes, il avait d’autres femmes. Il lui arrivait d’ailleurs de venir chez nous avec une de ses Françoise – je les ai toujours toutes appelées Françoise parce que je ne m’y retrouvais pas. Il est même venu avec son autre bébé un jour qu’il devait le garder… Je me souviens qu’il m’apportait plein de bonbons et qu’il m’emmenait au Quick, mais je n’étais jamais très à l’aise. Dans ma tête de petite fille, j’avais toujours l’impression qu’il voulait m’empoisonner. Il n’était pas méchant, et pourtant j’avais peur qu’il me tue. Toute mon enfance s’est passée ainsi. Il apparaissait, il disparaissait. J’ai dit stop à l’adolescence. Maman avait refait sa vie, je n’avais pas envie qu’il vienne mettre la zizanie dans notre nouvelle famille”.
La piscine, les anniversaires…
“À partir de là, je n’ai vu mon père que de moins en moins. J’ai grandi et j’ai fait ma vie. J’avais un chouette job, j’ai vécu quinze ans avec le même homme, on avait une maison, on voyageait beaucoup… Tout allait bien. Et pourtant, à 35 ans, je me sentais tellement malheureuse que j’ai tout envoyé promener. Après ma séparation, j’ai enchaîné les relations malsaines. Ça ne me ressemblait pas du tout. Qu’est-ce qui m’arrivait? J’ai alors entamé une thérapie. Puisqu’il était question des hommes, il allait falloir rouvrir le dossier du père. Pour moi, c’était de l’histoire ancienne. Je pensais avoir tourné la page depuis longtemps. Ma psy m’a rappelé que c’était le premier homme de ma vie… Lorsqu’elle a utilisé le mot ‘maltraitance’ à propos de mon histoire, j’ai d’abord été choquée. Je n’avais pas pris de coups, je n’avais pas subi d’inceste. Puis j’ai réfléchi, l’idée a fait son chemin. Et j’ai compris que oui, j’ai souffert de maltraitance. Oui, j’ai vécu des choses violentes. Mon père m’a abandonnée. Pas tellement au moment de ma naissance: il était jeune, il a commis une erreur, ça peut arriver. Mais ensuite, il n’a jamais réparé. Et c’est là qu’il m’a vraiment abandonnée. Il n’était pas là pour m’emmener à la piscine, pour m’apprendre à faire du vélo, pour fêter mes anniversaires, pour me soutenir pendant mes études, pour m’aider à passer le permis de conduire. Quand j’étais petite, je me disais qu’il faisait tout cela avec son autre fille et c’était d’autant plus douloureux pour moi”.
En plein vaudeville
“À l’époque de cette thérapie, mon père est réapparu dans ma vie. Il m’invite au restaurant de temps en temps, mais jamais en tête à tête, toujours avec une Françoise. J’ai 40 ans, je me dis que c’est bien gentil, mais ce n’est pas ce que j’attends de lui. Un jour qu’on est à table, je lui annonce que j’aimerais qu’il fasse les démarches pour me reconnaître. Là, je le vois se décomposer. Comme un enfant de 6 ans pris en faute, le doigt dans le pot de choco. Il est muet. Terrorisé. Françoise me dit: ‘M’enfin, ce n’est pas possible! Pense à sa femme!’ Dans la bouche de sa maîtresse, c’est quand même assez cocasse. J’ai l’impression de nager en plein vaudeville. Arrêtons l’hypocrisie: sa femme sait, sa fille sait, tout le monde sait. Alors, je voudrais qu’il me reconnaisse. Il est pétrifié. Je me dis qu’il a été un peu sympa avec moi pendant toutes ces années pour que cet instant n’arrive jamais. Mais cette fois, il a compris qu’il est au pied du mur. Comme il est incapable d’articuler quoi que ce soit, je lui propose de réfléchir. Résultat? Je n’ai plus la moindre nouvelle de lui pendant toute l’année qui suit”.
Une seconde naissance
“Si mon père avait accepté de me reconnaître, je crois que les choses auraient été assez simples. On aurait acté le lien qui existe entre nous. Mais il persistait à me nier. C’était encore plus douloureux. Soudain, j’ai compris pourquoi j’avais tellement peur qu’il me tue lorsque j’étais enfant. Inconsciemment, je comprenais déjà qu’il me niait, que je n’avais pas le droit d’exister. C’est à ce moment-là que j’ai décidé d’aller voir un avocat. Je ne demande pas d’argent, de pension, de compensation… Je veux que mon père me reconnaisse et qu’il me donne son nom. Mon nom! Au début, cette démarche a un peu choqué ma maman, dont je porte le nom, et qui s’est toujours débrouillée pour m’élever seule. Mais depuis, elle a bien compris le sens de ma requête. J’ai l’impression de vivre sous un faux nom depuis que je suis née. Je veux que l’on me donne ma véritable identité. Le tribunal a ordonné un test ADN. Mon père a accepté de s’y soumettre à condition que ce soit moi qui prenne les frais en charge. Peu importe. Le résultat est sans équivoque: la probabilité qu’il soit mon père est de 99,99?%. Même si je n’en ai jamais douté, ça fait quand même un sacré effet de voir ça sur papier! L’affaire suit son cours en justice mais il est désormais établi que mon père est mon père. Plus qu’une reconnaissance, c’est pour moi comme une seconde naissance. J’ai désormais le droit d’exister”.
Texte: Christine Masuy, coordination: Stéphanie Ciardiello adaptation Web: Justine Leupe
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