
Témoignage: “J’ai été diagnostiquée bipolaire à 65 ans”
Quand elle a été diagnostiquée “bipolaire atypique”, la vie de Chantal a profondément changé. Après des années de doute et des phases de souffrance atroce, elle nous a écrit pour partager son expérience et lutter contre les derniers tabous autour de la santé mentale.
Jusqu’à ses 40 ans, Chantal a eu une vie parfaitement “normale”. Elle était juriste et aimait son métier. Elle avait un mari aimant, 2 filles épanouies. Elle a eu des hauts, des bas, mais dans l”ensemble, elle a toujours été positive. “Néanmoins, quelques petits signaux auraient pu m’alerter. J’avais, par exemple, tendance à me sentir très bien face à une situation et, le jour suivant, à voir tout en noir alors que le contexte n’avait pas changé. J’ai aussi une sœur qui souffre de bipolarité… Mais je ne me sentais pas fragile ou en danger”.
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Un événement et tout bascule
“Tout s’est compliqué lorsque j’ai quitté temporairement mon mari pour un autre homme. D’un coup, je sortais de ma zone de confort. Je ne dormais plus que 3 heures par nuit. J’avais des crises d’angoisse terribles et parfois des hallucinations. Là encore, j’aurais pu en conclure que quelque chose ne tournait pas rond chez moi, mais on a toujours tendance à relativiser et à se dire que ça va passer.
Un soir, alors que j’étais avec mes filles à la maison, j’ai commencé à partir en vrille. J’étais incapable de me contrôler, je disais et faisais des choses complètement anormales, j’étais agressive. Elles ont pris peur. Comme personne n’arrivait à me calmer, le père de mes filles est venu les chercher. Dans la foulée, il a appelé une ambulance. Je ne fais que 62 kilos, mais il a fallu 5 ambulanciers pour me maîtriser. Par la suite, j’ai appris que j’étais en état de décompensation psychotique. J’étais en rupture avec le réel, complètement paniquée. Je ne me souviens pas de tout ce qui s’est passé à ce moment-là. Mais je sais que je n’arrêtais pas de répéter que je n’étais pas folle.
Première nuit en psychiatrie
On m’a transportée dans le service psychiatrique de la Clinique Saint-Pierre. J’étais complètement égarée. Pendant cette première période d’hospitalisation, je n’ai quasiment fait que dormir. Au bout de 2 jours, on m’a laissé sortir en me faisant promettre de consulter rapidement un psychiatre. Il m’a tout de même fallu quelques jours pour me décider. C’est ma sœur qui m’a convaincue de prendre rendez-vous. Le psychiatre n’a pas posé de diagnostic, mais m’a prescrit des médicaments grâce auxquels je suis redevenue moi-même. Cette période d’accalmie a duré 20 ans. J’étais non seulement sevrée de tous mes médicaments, mais je ne ressentais plus aucun signe de trouble mental. Tout allait bien en apparence.
Certaines personnes en décompensation vont jusqu’au suicide
À 60 ans, j’ai pris ma retraite; un moment que je redoutais par-dessus tout. Le fait d’arrêter de travailler, ainsi que quelques problèmes familiaux concomitants, m’ont causé un grand choc. Contrairement à la première fois, j’étais consciente que mon état d’instabilité pouvait provoquer une autre crise, j’étais donc en alerte. Le 1er janvier, j’ai senti que quelque chose n’allait pas. Je pleurais non-stop. Mon mari m’a conduite aux urgences psychiatriques, mais en l’absence de symptômes sévères, ils ne m’ont pas gardée. Je suis repartie à la maison sans médicaments. La nuit suivante, j’ai eu tellement d’hallucinations que je suis retournée aux urgences dès le réveil. J’étais paniquée à l’idée de faire une nouvelle crise. Là encore, ils m’ont renvoyée chez moi.
La crise et l’après-crise
Comme les médecins ont une nouvelle fois estimé que mon état ne nécessitait pas une hospitalisation, cette deuxième crise a eu lieu chez moi. J’ai commencé à hurler, j’ai ouvert les fenêtres et crié à mes voisins que j’avais peur de mon mari. J’ai jeté des dizaines de mètres de câbles dans le jardin. Un peu comme si je voulais me déconnecter de tout. Je suis aussi sortie faire des courses à l’épicerie en peignoir. D’un côté, je m’en sors bien: certains patients atteints de bipolarité sortent de chez eux entièrement nus.
Tout ce que j’ai fait ou dit est extrêmement flou. C’est justement dans cette absence de conscience que réside tout le danger. Certaines personnes en décompensation vont jusqu’au suicide. Pendant ces crises, notre force est décuplée. On ne dort plus, mais on se croit invincible. Les limites morales ou physiques disparaissent. J’ai eu la chance de ne pas en arriver là. Sur le moment, mon mari m’a reproché d’avoir arrêté mes médicaments 20 ans plus tôt. Sur le fond, il avait raison, mais en l’absence de diagnostic précis, comment aurais-je pu savoir que je devais poursuivre mon traitement?
Enfin, un répit
Cette seconde crise m’a laissé peu de souvenirs précis. Je me vois encore avec ma petite valise, prête à partir à l’hôpital. Ma fille aînée m’accompagnait et, preuve que j’étais déconnectée du réel, je pensais que c’était elle qui était malade. Le service dans lequel j’ai passé quelques semaines était par chance adapté à mon état. J’avais été admise sous contrainte, mais j’avais l’impression d’avoir enfin trouvé un espace de tranquillité.
De retour chez moi, mon état s’est à nouveau dégradé, j’ai sombré dans une dépression profonde. Je ne conduisais plus, j’avais perdu l’appétit, je n’avais plus goût à rien. J’étais même incapable d’ouvrir ou de fermer notre porte d’entrée. Mon monde se rétrécissait petit à petit. Cette terrible dépression (une étape classique après une décompensation psychotique) est encore plus difficile à supporter que la crise proprement dite. J’étais dans une impasse, mais j’avais peur de me retrouver à nouveau à l’hôpital. Par chance, j’ai fini par changer d’avis et une nouvelle hospitalisation m’a libérée. La journée, nous avions pas mal d’activités (yoga, gym, loisirs créatifs). On pouvait même sortir. Alors que j’en étais arrivée à 4 antidépresseurs par jour, les médecins ont adapté la posologie pour m’aider à reprendre une vie normale.
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Nouveau départ
J’ai dû attendre l’âge de 65 ans pour que ma maladie soit enfin diagnostiquée: je souffre de bipolarité atypique. Cet adjectif signifie que je n’ai eu que 2 crises, ce qui est rare. Aujourd’hui, j’ai retrouvé ma vie d’avant, je fais du sport, je chante dans une chorale et je m’investis dans de nombreux projets de bénévolat. Je vois mon psychiatre tous les 3 mois pour vérifier que mes médicaments sont toujours adaptés. Trouver la bonne posologie n’a pas été une évidence, mais aujourd’hui, après quelques moments de grand découragement, je me sens à nouveau heureuse.
Il est important d’expliquer que cette maladie peut toucher tout le monde
J’aurais évidemment préféré ne pas vivre de deuxième crise. D’autant que je l’avais sentie arriver. Je l’avais dit aux médecins qui ne m’ont pas crue. C’est aussi pour cette raison que j’ai envie de témoigner. Je trouve qu’il est important d’expliquer que cette maladie peut toucher tout le monde. Lorsqu’on ressent des symptômes bizarres ou qu’on sait qu’un membre de la famille est concerné par des troubles mentaux, il est important de consulter. Personne n’est totalement à l’abri. Une femme dont la mère a développé un cancer du sein fait régulièrement une mammographie, ça devrait être pareil avec les troubles mentaux. Le problème, c’est que beaucoup de gens ont peur de se renseigner sur les symptômes et les traitements. C’est une erreur.
L’une de mes filles a récemment ressenti le besoin de rencontrer mon psychiatre. Rien ne dit qu’elle va un jour développer la même maladie que moi, mais il est important d’en parler. En matière de santé mentale, rien de tel que la franchise. Dans la majorité des cas, elle peut vous sauver la vie”.
À votre écoute
En Wallonie et à Bruxelles, il existe des groupes de parole en présentiel, en ligne et en vidéoconférence autour de la santé mentale. L’association Le Funambule propose des rendez-vous autour de cette thématique et se fait l’écho de la Journée Mondiale du Trouble Bipolaire, qui se déroulera le 30 mars. Plus d’infos: bipolarite.org.
Texte: Marie Honnay
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