Témoignage: «J’ai donné les organes de mon fils»
Quand le destin lui a enlevé son fils Kévin, Céline a dû prendre une grave décision. Malgré la douleur, cette maman a vite su ce que l’adolescent aurait fait à sa place. En donnant ses organes, elle a sauvé des vies. Et permis à Kévin de poursuivre un peu la sienne…
«Ce sont les derniers mots que je lui ai entendu prononcer: ‘T’inquiète pas maman, je gère!’ Kévin prenait toujours soin de me rassurer. C’était un samedi, il y a six ans. J’avais autorisé mon fils de 15 ans à aller camper avec ses copains, près de chez nous, dans le sud-ouest de la France. J’étais un peu inquiète car il avait commencé à pleuvoir, mais Kévin m’avait prévenue que la petite bande allait finalement se mettre au sec chez un copain pour une soirée jeux vidéo. La journée aurait dû être heureuse et tranquille.
Percuté de plein fouet
Kévin a toujours été un amour de garçon. Il savait que j’étais une maman anxieuse et j’avais très longtemps hésité avant de lui acheter sa première moto. J’ai fini par lui offrir une Yamaha 50 bleue parce qu’il avait bien travaillé à l’école. De toute façon, il était prudent. C’était même devenu un sujet de plaisanterie avec ses copains. Sur la route, ils le surnommaient affectueusement ‘gros pépère’ parce qu’il roulait toujours plus lentement que les autres et fermait généralement le cortège. Mais ce jour-là, malgré sa prudence naturelle, Kévin n’est jamais arrivé à destination. Un de ses amis m’a laissé un message pour me prévenir d’un accident. J’ai vite appelé une des autres mamans qui m’a juste dit de me dépêcher parce que c’était très grave. Sur les lieux, en effet, l’épave de la moto et des traces au sol témoignaient de la violence de la collision. Kévin avait été percuté de plein fouet par un chauffard qui avait décidé de le doubler alors qu’il était déjà engagé dans un virage. Je me suis précipitée à l’hôpital où un médecin m’a prise à part et entraînée dans son bureau pour me parler au calme. Quand je lui ai demandé si mon fils était mort, elle a eu l’air un peu gênée. Elle a répondu non. Du mois, pas encore… Elle n’a pas eu besoin d’en dire beaucoup plus. En fait, les pompiers n’avaient rien pu faire. Kévin avait souffert de multiples fractures et il était déjà en état de mort cérébrale. Bien qu’il portât un casque, le choc avec la voiture, puis sur le bitume, avait été fatal. Quand je suis arrivée, son coeur battait encore mais artificiellement, grâce à une machine. Lorsque le docteur m’a dit que j’aurais bientôt une lourde décision à prendre, j’ai compris.
S’il m’arrive quelque chose, je donne tout
Dans le couloir glacial de l’hôpital, je me suis revue, un mois plus tôt, avec Kévin et mes deux autres enfants, tendrement enlacés dans le canapé de notre salon. Nous avions regardé en famille un passionnant docufiction qui retraçait l’histoire d’une jeune fille, née avec une malformation cardiaque et sauvée par une greffe du coeur. Tout ce qui touchait à la médecine fascinait mon fils. Quelques années plus tôt, j’avais pris une carte de donneur d’organes pour moi, sans imaginer, un seul instant, que je devrais un jour me prononcer pour un de mes enfants. Mais en même temps, comment ne pas repenser à la réaction de Kévin devant la télévision? Après le film, il s’était exclamé: ‘Moi, s’il m’arrive quelque chose, je donne tout!’ J’ai pleuré et j’ai souri. Cette générosité envers les autres, c’était tout lui. ‘Madame, il va falloir vous décider sur certaines choses’, ont répété les médecins avec autant de tact que possible. Ils m’ont rappelé que mon fils pouvait encore sauver des vies, mais qu’il fallait répondre vite. Et même si j’étais sonnée à cause de la douleur, j’ai tout de suite su ce qu’aurait voulu Kévin.
Une mort qui sauve des vies
J’ai voulu voir mon fils. Je lui ai longuement tenu la main et caressé les cheveux. C’était irréel. Il était allongé là, sur un lit, impassible. J’avais l’impression qu’il dormait. Les médecins ont fait preuve d’énormément de délicatesse. Ils ont procédé à trois électroencéphalogrammes pour confirmer sa mort cérébrale et ils ont trouvé les mots pour me dire qu’il n’était plus là, que c’était fini. Mon Kévin a été déclaré mort le lendemain après-midi. Ensuite, complètement hébétée, j’ai fait ce qu’il fallait. Un médecin, une infirmière et un psychologue m’ont entourée pour m’expliquer la procédure. J’ai prévenu mes deux plus jeunes enfants et aussi consulté le père de Kévin, dont j’étais séparée depuis longtemps, pour valider les prélèvements proposés. Jordan, son frère de 13 ans, aurait voulu qu’on puisse greffer un cerveau à Kévin pour le sauver de sa mort encéphalique. Je lui ai expliqué que ce n’était pas encore possible. En revanche, en donnant son coeur, son foie, ses reins, ses poumons et son pancréas, il pouvait encore sauver plusieurs vies. J’ai aussi accepté de donner une demi-hanche qui pourrait, m’a-t-on dit, soulager le quotidien d’un enfant malade. L’opération a duré dix-sept heures mais je peux témoigner que le don d’organes a été réalisé avec beaucoup de soin. On n’a pas abîmé le corps de mon fils. Les chirurgiens ont eu la délicatesse de combler la hanche manquante avec de la résine…
Abandonnée par le corps médical
Qui a reçu les organes de mon fils? Je ne le saurai sans doute jamais. J’ai juste appris, par l’hôpital, que les greffes s’étaient bien passées. Et qu’un mois plus tard, il n’y avait pas eu de rejets. Les organes de Kévin ont été attribués selon des règles strictes, établies en France par l’Agence de la biomédecine. Le don d’organes est gratuit et anonyme. Ces principes sont censés protéger les greffés et aider les familles dans leur travail de deuil. Mais la réalité est tout autre. Même si je ne regrette pas ma décision, je me sens un peu abandonnée par le corps médical. Je regrette encore de ne pas pouvoir rencontrer les receveurs, avec leur accord évidemment. J’aimerais que la loi change aussi pour permettre, comme aux Etats-Unis par exemple, de réunir des familles de donneurs et de receveurs. Loin de moi l’idée de harceler une famille. Je ne veux m’immiscer dans la vie de personne, mais je me dis que certains greffés aimeraient peut-être eux aussi en savoir davantage sur leur donneur. Pour protéger donneurs et receveurs, pourquoi ne pas créer un organisme dédié qui pourrait examiner et transmettre certaines demandes? J’aimerais trouver un moyen de dire à la personne qui a reçu le coeur de Kévin qu’elle tient ce don d’un jeune garçon merveilleux. Non seulement cela m’aiderait, mais le grand public aurait aussi davantage conscience, j’en suis sûre, du nombre de vies sauvées. En attendant, la vie a repris son cours. Sur le buffet du salon, Kévin continue de me sourire tendrement. Il est toujours parmi nous à travers quelques-unes de ses photos préférées. Le premier Noël après le drame, nous l’avons fêté avec lui, en famille, à notre façon. Nous avons préparé son dessert préféré, des bananes recouvertes de chocolat fondu. Malgré la peine, nous voulons nous rappeler de tous les moments de joie que nous avons partagés ensemble. Et nous n’oublierons jamais qu’il nous a quittés en offrant la vie à d’autres…»
Le don d’organes en Belgique
En Belgique, le don d’organes est régi depuis 1987 par une loi basée sur le principe de la «solidarité présumée». Cela signifie que toute personne n’ayant pas manifesté son opposition de principe durant son vivant est supposée être d’accord avec le prélèvement d’organes après sa mort, sauf si elle a exprimé son refus auprès de sa maison communale. Les organes peuvent donc être donnés, quel que soit l’âge du donneur, à condition qu’il soit en état de mort cérébrale, c’est-à-dire décédé des suites d’une atteinte grave et irréversible du cerveau. S’il s’agit d’un mineur, seuls ses parents sont autorisés à consentir au prélèvement de ses organes et tissus.
Texte: Céline Chaudeau
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