
Témoignage: “Ma fille a choisi l’euthanasie”
Marina était avocate. Elle aimait rire, danser et voyager. Mais elle souffrait d’une maladie dégénérative… À 36 ans, devenue prisonnière de son corps, elle a demandé l’euthanasie. Pour Anita, sa maman, ce fut une épreuve. Mais aussi un soulagement.
“Quand je suis arrivée chez Marina ce jour-là, elle m’a accueillie avec un grand sourire. Voilà un bon moment que je n’avais plus vu ma fille aussi rayonnante. Elle m’a dit: ‘Maman, j’ai décidé de lâcher prise…’ Elle avait 36 ans et souffrait depuis l’adolescence d’une maladie neurodégénérative. Elle m’annonçait donc qu’elle avait demandé l’euthanasie… Mon cœur de maman s’est arrêté un instant. Quelque chose au fond de moi hurlait :’Non!’ Mais Marina était sereine et déterminée. Je comprenais son choix. Je ne pouvais qu’être d’accord. Marina a choisi l’euthanasie parce qu’elle aimait la vie… Et être grabataire, ce n’est pas une vie!”
Une maladie orpheline et neurodégénérative
“Nous étions une famille tranquille. Marina était notre aînée. À 16 ans, lors d’une banale visite médicale, on lui repère une scoliose. Les médecins grattent un peu, pour essayer de comprendre. Le diagnostic tombe quelques mois plus tard: ataxie de Friedreich. Une maladie orpheline, neurodégénérative, d’évolution très sévère et sans aucun remède. Marina va perdre peu à peu la coordination de ses mouvements, et donc l’usage de ses membres. Elle risque aussi de perdre la vue, l’ouïe, la voix. Et d’avoir de gros problèmes cardiaques… Avec son père, nous lui proposons d’interrompre ses études si elle le souhaite. De voyager. De profiter de la vie. Elle nous répond: ‘Ce n’est pas une chaise roulante qui va m’arrêter!’ Marina est parfaitement consciente de la maladie, mais elle refuse d’être considérée comme une malade. Et encore moins comme une handicapée.”
Son énergie folle
“On avait toujours trouvé notre fille un peu maladroite. Elle trébuchait souvent, elle courait bizarrement. Nous l’ignorions, mais c’était le début de l’ataxie. À la fin de sa rhéto, Marina avait déjà du mal à se déplacer, mais elle a tenu à partir étudier un an à l’étranger. Ensuite, elle a voulu faire le Droit. Elle avait remporté un tournoi d’éloquence, elle se rêvait avocate. Ou juge d’instruction. Mais au moment d’entamer ses études, elle avait perdu la motricité fine, elle ne savait donc plus écrire. Ça ne l’a pas empêchée de réussir brillamment.
En fin de cursus, elle a voulu faire un Erasmus. Je l’ai accompagnée à Rome pour l’installer, mais le logement prévu n’était plus disponible. Nous étions donc à la rue. Je devais reprendre l’avion. Je lui ai dit: ‘Marina, tu rentres avec moi.’ Elle ne voulait pas en démordre. Elle avait une énergie folle. Dans ces années-là, elle a aussi fait un voyage humanitaire en Inde, elle voulait découvrir le pays de mes origines. Et c’était le cerveau de toutes les bêtises de la fratrie. Ses frères l’emmenaient danser, ils la portaient.
Enfin des talons hauts
“Marina a travaillé quelques années comme avocate. Elle faisait du pénal. Quand elle plaidait, il m’arrivait souvent de l’accompagner pour l’aider. Ne serait-ce que pour porter ses affaires. À l’époque, elle marchait encore, mais avec un rollator (déambulateur sur roues, ndlr). Puis il a fallu passer à la chaise roulante. Elle a pris les choses avec le sourire: ‘Chouette, je vais enfin pouvoir mettre des escarpins!’ Elle avait un équilibre tellement précaire qu’elle n’avait jamais porté de talons hauts. Mais une fois assise, cela devenait possible. Elle s’est acheté des escarpins de toutes les couleurs. Comme un pied de nez à la vie.
Elle aimait voir des gens, elle aimait sortir…
Elle a continué à faire du théâtre, le metteur en scène adaptait les rôles à son handicap. Elle a aussi continué à plaider. Jusqu’au moment où cela n’a plus été possible. La maladie évoluait. Marina vivait désormais dans un appartement adapté, à côté de chez nous. Elle était reconnue handicapée à 90%, mais elle voulait continuer à travailler. Elle a obtenu un job de juriste dans une administration. Elle aimait voir des gens, elle aimait sortir avec ses amis. Elle a eu des amis extraordinaires, qui l’ont même emmenée en voyage. Et il ne s’agissait pas juste de gérer une chaise roulante: Marina avait besoin d’aide pour manger, pour aller aux toilettes… Pour tout.”
La date était fixée
“Marina était très attachée à mon père, son Papy. Il est décédé en 2023 à 90 ans. Il a décliné en très peu de temps, mais les dernières semaines ont été horribles. Dégradantes. Humiliantes. Je ne voulais pas vivre cela. Marina non plus. Quelques jours après le décès de Papy, nous sommes allées ensemble à la commune signer une déclaration anticipée d’euthanasie. Au cas où. Je savais que ma fille risquait un jour de se retrouver inconsciente, et que je devrais alors prendre la décision pour elle. Je n’imaginais pas qu’elle la prendrait elle-même, en pleine conscience… ‘Maman, j’ai décidé de lâcher prise. Je vous libère et je me libère.’
La date était fixée. Il restait 13 jours. Je lui ai dit que je comprenais son choix. Voilà 4 ans qu’elle était dans son lit, avec toute sa tête, mais prisonnière de son corps. Qui aurait envie de cette vie? Je comprenais, mais quelque chose en moi refusait l’idée. Une fois rentrée à la maison, je me suis affalée dans le fauteuil et j’y suis restée 2 jours entiers. Sans manger, sans me laver. Puis Marina m’a emportée dans le tourbillon de sa fin de vie. Elle avait tout organisé. Il fallait trier, faire des boîtes… Puis penser aux funérailles. ‘Si on mettait La Danse des Canards, ce serait drôle, non?’ On a beaucoup ri.”
Trinquer tous ensemble
“L’avant-dernier jour, les frères de Marina l’ont emmenée faire du quad. Le dernier jour, ils l’ont conduite à la maison de Papy, pour lui montrer le tapis rouge qu’ils avaient déroulé pour son arrivée. Marina souhaitait être euthanasiée chez elle. Elle a d’abord demandé à ses amies de la maquiller. Puis j’ai servi du cola dans des flûtes à champagne et on a pris un dernier verre ensemble. Quand je vois les photos faites à ce moment-là, on est tous souriants autour de Marina, son père, ses frères et moi. Comment a-t-on fait? Comment a-t-on pu sourire? Et même rire? En fait, c’est bizarre à dire, mais je crois que j’étais contente. Marina n’a pas pu choisir sa vie, mais elle a choisi sa mort. Une mort belle et douce. Pour elle, en tout cas. Pour nous, c’est évidemment plus compliqué. Mais contrairement à une amie dont le fils s’est suicidé, je me sens apaisée. Je suis triste d’avoir perdu ma fille, mais je suis soulagée pour elle.”
La vie est belle
“Marina avait décrété que le jour de son enterrement serait la Journée mondiale du vernis à ongles, elle adorait avoir de jolis ongles. Nous avons donc tous mis du vernis. Y compris Monsieur le curé! On avait collé ses escarpins préférés sur le cercueil. C’était plein de couleurs, au milieu des fleurs. Marina avait choisi de diffuser Une sœur de Grand Corps Malade pour ses frères, et C’est dit de Calogero pour ses amis. Elle avait aussi demandé qu’une partie de ses cendres soient ensuite répandue en Corse, sur la plage où nous aimions aller en vacances.
L’été dernier, on a mélangé les cendres au sable et on a lui a souhaité un bon voyage. Quand je suis revenue là un peu plus tard, il y avait un goéland posé à l’endroit même où l’on avait mis les cendres. Je me suis approchée. Il n’a pas bougé. Je me suis assise à côté. Et pendant plus d’une heure, je lui ai parlé. C’était magique. La vie est belle, il faut en profiter.”
Le bon site
Anita a créé une association pour sensibiliser à et lutter contre l’ataxie de Friedreich: offrezmoilalune.be.
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