accoucheuse de rue
Durant deux ans et demi, Anne a vécu clandestinement dans la rue avec son fils, jusqu’au jour où elle a réalisé qu’elle était à nouveau enceinte. © Getty Images/iStockphoto

Témoignage: Anne, de SFD à accoucheuse de rue

Anne Lorient, 55 ans, a vécu 17 ans dans la rue. Aujourd’hui, elle aide les femmes sans-abri à donner naissance à leurs enfants, souvent à même le bitume.

Anne Lorient vient d’une famille bourgeoise du nord de la France. Dès ses 6 ans et durant toute son enfance et adolescence, elle a été victime d’inceste de la part d’un proche. “Je ne savais pas comment m’en sortir. Le jour de mes 18 ans, j’ai fait ma valise et je me suis sauvée de chez moi, direction Paris.” Le premier soir, n’ayant nulle part où aller, elle s’est retrouvée dans la rue où elle s’est fait agressée sexuellement par une bande d’hommes. La descente aux enfers a commencé. “Choquée par ce viol collectif terrorisant, j’ai perdu la parole pendant presque trois ans.”

Anne Lorient, accoucheuse de rue.

Une naissance inattendue

Sans argent, seule, la jeune femme mangeait dans les poubelles, dormait dans les sous-sols d’un centre commercial parisien. “Je pensais y trouver refuge mais cet endroit est vite devenu ma cage. Je me faisais régulièrement violer par des hommes, drogués ou non, sans parvenir à me défendre. Au total, j’ai subi une centaine d’agressions sexuelles. Un jour, un bébé est sorti de mon corps, à ma plus grande surprise. Il est tombé par terre, sur le goudron. J’avais fait un déni de grossesse.” Anne était seule, en sang, avec un nouveau-né dans les bras alors qu’elle ignorait qu’elle était enceinte. “Les services d’urgence m’ont emmenée à l’hôpital. Là-bas, j’ai entendu une conversation entre les infirmières. Elles voulaient me retirer la garde de mon enfant. Ni une, ni deux, je me suis enfuie avec mon petit garçon”. Il était hors de question qu’elle l’abandonne!

Le pouvoir des réseaux

Durant deux ans et demi, elle a vécu clandestinement dans la rue avec son fils, jusqu’au jour où elle a réalisé qu’elle était à nouveau enceinte. “Ça a été l’élément déclencheur. Je voulais trouver un lieu chaud où élever mes enfants. Cette seconde grossesse m’a poussée à contacter une association qui m’a fourni un logement.”

En vivant dehors, j’avais été confrontée à tellement de violences que j’étais étonnée de recevoir un tel soutien de la part d’inconnus.

Au début, son installation était sommaire. “Nous dormions par terre et je n’avais pas de quoi payer l’électricité. Je continuais à faire la manche. J’ai posté des annonces sur Facebook dans des groupes de mamans pour me meubler, recevoir des vêtements et des produits d’hygiène pour ma famille. La solidarité entre femmes m’a beaucoup émue. En vivant dehors, en mode survie, j’avais été confrontée à tellement de violences que j’étais étonnée de recevoir un tel soutien de la part de personnes que je ne connaissais pas”, se rappelle Anne.

Les aides et l’amitié pour se relever

“Je me suis aussi renseignée sur les aides administratives et les distributions alimentaires qui existaient.” Toutes ces démarches lui ont permis de se relever, petit à petit. Son deuxième garçon est né à la maternité. Ensuite, ils sont rentrés tous les trois dans leur appartement. “J’ai enfin soigné mon corps qui était très abîmé, et j’ai pris soin de mes fils le mieux que j’ai pu. Je n’étais pas la seule à vouloir m’en sortir. On s’est rassemblées entre mamans qui avaient vécu dans la rue ou vivaient une situation précaire. Il y avait beaucoup d’entraide entre nous. Par exemple, on gardait l’enfant de l’une, le temps qu’elle aille chercher du boulot ou faire les courses, nous cuisinions des pâtes pour tout le monde…” Une amitié solide s’est construite entre elles, mais aussi entre les enfants, à force de se rassembler et rester ensemble.

Devenir accoucheuse de rue

“Il y a dix ans, j’ai passé mon diplôme de professeure de français pour les étrangers afin de pouvoir travailler. Un jour, alors que je partais enseigner dans un squat, je suis tombée nez à nez sur une femme et son bébé, tous les deux morts sur le sol. On m’a expliqué que cette SDF n’avait pas voulu se rendre à la maternité pour accoucher, de peur qu’on lui enlève son bébé.” Vu son passé et son histoire, Anne la comprenait. Elle ne pouvait rester les bras croisés face à un tel drame. Elle a alors profité du confinement pour suivre une formation de sage-femme urgentiste et passer un diplôme de psychologue. “C’est ainsi que je suis devenue accoucheuse de rue.”

Être présente sans s’imposer

L’ancienne SDF encadre les femmes enceintes pendant, avant et après leur grossesse. Il s’agit la plupart du temps de sans-abri, de migrantes ou encore de victimes de violences conjugales ayant fui leur foyer. Elles ne veulent pas accoucher à l’hôpital car leur mari serait automatiquement prévenu.

“J’accompagne celles qui désirent accoucher dans des centres maternels avec lesquels je collabore. D’autres m’appellent alors qu’elles sont en train de mettre leur enfant au monde, dans la rue. Parfois, ce sont les pompiers ou les policiers qui me préviennent. Il arrive qu’ils me demandent de venir débloquer une situation parce que la future maman panique lorsqu’ils s’approchent. Le fait d’être originaire d’une famille bourgeoise me permet de me sentir à l’aise aussi bien dans un milieu de riches qu’un milieu de pauvres. Je connais les codes de la rue et de la vie ‘normale’. Ça me permet d’être le trait d’union entre ces deux mondes.”

Certaines m’appellent alors qu’elles sont en train de mettre leur enfant au monde, dans la rue.

Pendant l’accouchement, le principal est de rassurer la maman qui donne la vie et d’instaurer un climat de confiance. “Je lui répète qu’elle a le droit d’accoucher dans les conditions de son choix et de décider de garder, ou non, son bébé. Personne ne la juge. Je l’aide à sortir le bébé de son ventre si elle en ressent le besoin. Sinon, je n’interviens qu’en cas d’urgence: hémorragie, cordon ombilical autour du cou… Mes services commencent à être connus dans le milieu du sans-abrisme à Paris. Je prends part à environ dix accouchements de rue par mois.”

Donner du sens

Aujourd’hui, ses fils ont 23 ans et 19 ans. Le plus jeune vit encore avec Anne, dans l’appartement loué grâce à l’association. Sa naissance les a sauvés. “Quand j’étais SDF, j’ai côtoyé des femmes, décédées entre-temps, à qui j’avais promis d’aider les autres si j’en avais la possibilité. Promesse tenue: il y a six ans, j’ai fondé l’association Anne Lorient pour porter assistance aux SDF et aux personnes en situation de grande précarité, à Paris. Nous sommes une trentaine de femmes bénévoles impliquées dans le projet. Notre mission va au-delà des accouchements. On effectue des mises à l’abri, on apporte du soutien administratif, on organise des collectes d’aides alimentaires, de produits d’hygiène ou encore de fournitures scolaires.”

En tant que victime d’inceste et de viols, il lui tient également à cœur de lutter contre les agressions sexuelles. À travers son témoignage, elle espère sensibiliser la population par rapport à ce fléau qui sévit dans toutes les classes sociales. “Je suis sortie de la rue, je suis une survivante, mais je n’oublie pas d’où je viens, et il y a encore un long chemin à parcourir!” 

Vous souhaitez faire un don à l’association Anne Lorient? Une collecte est ouverte via helloasso.com/associations/association-anne-lorient
Aller plus loin:
Mes années barbares, Anne Lorient, Éd. de La Martinière.

Texte: Gwendoline Cuvelier, coordination: Julie Braun, adaptation Web: Justine Leupe.

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