“J’ai sombré dans la cocaïne suite à une rupture”
Mathilde, 37 ans, est accro à la cocaïne. Une dépendance qui s’est installée après une rupture douloureuse et dont elle tente encore de se libérer. On l’a rencontrée.
Selon les dernières estimations de l’Institut national de santé publique, les Belges n’ont jamais consommé autant de drogue qu’aujourd’hui. Et derrière l’image faussement rock’n’roll du “rail de coke” pris en soirée entre deux bouteilles, se cache une toute autre réalité. L’envers du décor? Des hommes et des femmes qui trouvent dans la cocaïne une forme d’échappatoire à leurs tracas quotidiens, et qui finissent par développer une dépendance.
C’est ce qui est arrivé à Mathilde*, une maman pétillante issue d’une famille aisée, qui a sombré peu à peu dans l’addiction suite à sa rupture avec son grand amour. Elle est sur le chemin de la guérison même si elle se bat chaque jour contre certains démons.
Premières expériences à l’adolescence
Mathilde goûte aux substances illicites assez jeune: “J’avais 15 ou 16 ans quand j’ai fumé mon premier joint, je dirais un peu comme tout le monde, lors de sorties avec les potes de l’école. Mes parents venaient de divorcer, mon père était totalement absent et ma mère faisait vraiment ce qu’elle pouvait pour gérer le quotidien en solo avec trois enfants. Du coup, elle me laissait pas mal de liberté”.
Je n’avais pas encore 18 ans quand j’ai touché à l’ecsta pour la première fois
Très vite, après le premier joint, viennent les premières pilules d’ecstasy. “Je n’avais pas encore 18 ans quand j’ai touché à l’ecsta, lors d’une grosse soirée techno. J’ai adoré l’expérience: je me sentais libérée de tout, légère, comme en dehors de mon corps, mais avec les sens aiguisés”. Une drogue que Mathilde consomme alors de manière régulière, mais toujours dans un cadre festif. “Les pilules, c’était uniquement en soirée”, nous dit-elle.
Parallèlement, la jeune femme est assez sérieuse: elle suit des études, qu’elle réussit bien, sans exceller. “Je viens d’une famille bien comme il faut: mon père est médecin, ma mère est prof en secondaire. Les études étaient donc une priorité pour eux. J’ai joué le jeu: je me suis inscrite à l’université et je suivais plus ou moins les cours. Suffisamment pour réussir et ne pas faire de vague, mais je dois avouer que j’ai vraiment fait beaucoup la fête… C’est bien simple, je participais à toutes les soirées estudiantines de ma faculté ou presque”.
Son secret
“Pour tenir le coup, un ami de médecine m’a donné son secret, poursuit Mathilde: la cocaïne”. L’étudiante y prend goût assez rapidement, sans pour autant être dans la perte de contrôle: “J’en consommais pour l’énergie que ça me procurait, pour le boost de confiance en moi, mais aussi parce que c’était assez fun d’en prendre en soirée. Pour le reste, je pouvais m’en passer des semaines entières si je le voulais”. À ce moment-là, du moins…
Coup de foudre et fêtes à répétition
C’est dans son groupe d’amis d’université que Mathilde rencontre François*, “un mec sympa et tout aussi fêtard”: “On avait les mêmes délires et le même attrait pour les substances illicites dans un cadre festif, alors on était souvent ensemble. Petit à petit, on s’est rapprochés. Au début, ce n’était pas vraiment de l’amour, plus deux potes qui s’éclatent ensemble, même au lit. Puis, des sentiments sont nés, et on a commencé à se projeter à deux”.
On avait parfois un petit sentiment de manque le lundi, mais rien d’insurmontable physiquement
À la fin de leurs études, Mathilde et François décident de vivre ensemble. Un amour placé sous le signe de la fête pour les désormais partenaires: “Notre vie, c’était le boulot, les potes et des sorties tous les week-ends, en boîtes, à des concerts… Tout était prétexte à la fête”. Des soirées lors desquelles le couple consomme: “Je pense qu’on était accros au côté festif de la coke, mais en dehors de ça, on ne prenait jamais de drogues. On avait parfois un petit sentiment de manque le lundi après un week-end bien arrosé, mais rien d’insurmontable physiquement”.
Se calmer pour faire un bébé
Un jour, après cinq années de vie de couple rythmées par la fête, Mathilde et François envisagent d’avoir un bébé. “On avait 30 ans et on ressentait l’envie de se poser, on s’est dit que devenir parents était une bonne idée, surtout qu’on désirait tous les deux avoir un bébé”. Le couple accueille une petite fille, qui vient apporter à la maman et à son partenaire une certaine stabilité. Du moins pour un temps…
Du mal à fonctionner
Car deux ans plus tard, le couple bat de l’aile: “On a construit notre relation autour de notre goût pour la fête, ce n’était pas vraiment une base solide… On a fini par comprendre qu’en dehors de ça, on avait du mal à fonctionner: on n’avait ni la même vision du couple, ni de notre futur, et pas du tout les mêmes besoins”.
Je ne me sentais pas assez forte pour gérer tout ça. Alors j’ai repris un rail ou deux, pour oublier un peu
De disputes en incompréhensions, le duo finit par se séparer. Un choc pour la jeune femme: “Notre couple n’avait pas de racines stables, mais j’étais follement amoureuse de François. Alors mon monde s’est écroulé quand il m’a annoncé qu’il me quittait. Toutes ces années de fêtes me sont revenues en pleine poire, toutes mes erreurs, tout ce qu’on aurait pu faire ensemble si on n’avait pas été aussi cons”. Mathilde est en proie à des émotions très négatives: “Je me sentais submergée, comme débordée par mes émotions. Le truc, c’est que je ne me sentais pas assez forte pour gérer tout ça… Alors j’ai repris de la cocaïne, un rail ou deux, juste pour oublier un peu”.
L’effet escompté se produit: après seulement une ligne de cocaïne, Mathilde se sent plus légère: “C’était comme si ma peine s’envolait, comme si j’oubliais ma situation. Et ne plus avoir à combattre mes émotions pendant un moment était si libérateur que j’en ai repris rapidement. C’est clairement là que j’ai perdu le contrôle”.
Des soucis au boulot
Pendant un temps, la jeune femme pense utiliser la cocaïne comme bouclier: pour se donner le courage de se lever le matin, oublier sa rupture et surtout pour ne pas avoir à affronter ses émotions. Mais petit à petit, le bouclier se transforme en prison. “Quand je n’en prenais plus, je me sentais encore plus triste, encore plus nulle… C’est simple, j’avais l’impression de toucher un fond encore plus profond, et que la seule manière de remonter était par la prise de drogue”.
Mathilde sombre dans l’engrenage de la dépendance et mobilise presque toute son énergie à trouver et à consommer de la cocaïne. Elle commence à avoir des soucis dans sa vie professionnelle et personnelle: “Quand on consomme, on fréquente surtout des gens qui ont la même addiction que nous. Il m’est arrivé, quand ma fille était chez son papa, de ne pas rentrer chez moi pendant trois jours et de perdre la notion du temps… Ce qui m’a valu de sérieux problèmes avec mon employeur”.
Une sœur pour bouée de sauvetage
Mathilde est à “ça” de perdre le sens de la réalité quand sa sœur aînée s’en rend compte et lui vient en aide: “Ma sœur a à peine 13 mois de plus que moi. Et comme elle avait doublé sa première primaire, on a toujours été dans la même classe, ça nous a rendues très proches. Elle était partie vivre à l’étranger pour le boulot et par amour, ce qui nous avait un peu éloignées, mais elle est rentrée en Belgique pile au moment où j’ai commencé à perdre le contrôle de tout ça, et elle a compris ce qu’il se passait”.
Elle m’a prise dans ses bras et m’a dit qu’on allait se battre pour que j’aille mieux
“Elle donc a débarqué chez moi et m’a confrontée à ma réalité. J’ai passé un moment horrible, parce que j’ai dû tout lui dire alors que j’avais terriblement honte de moi… Et alors que j’étais persuadée qu’elle allait me rejeter, elle m’a prise dans ses bras et m’a dit qu’on allait se battre pour que j’aille mieux. Elle a pris rendez-vous avec mon médecin traitant, qui m’a orientée vers un addictologue spécialisé dans les drogues dures, mais aussi vers un thérapeute. Elle m’a accompagnée à mes premiers rendez-vous, s’est occupée de ma fille quand je n’y arrivais pas et m’a mis des coups de pieds au cul. Si elle n’avait pas pris la décision de revenir vivre ici, j’aurais complètement sombré”.
11 mois d’abstinence
Si Mathilde n’est pas totalement sortie de la dépendance, elle a fait beaucoup de chemin. “Je suis suivie régulièrement par un addictologue, je vois ma thérapeute tous les quinze jours et j’ai intégré un service d’aide de jour pendant un temps pour m’aider à vivre sans cette fausse béquille qu’est la drogue. J’en ai vu de toutes les couleurs, et ce n’est pas fini, mais j’ai l’impression d’avoir la tête hors de l’eau désormais, et c’est déjà pas mal. Certains jours, lorsque mes émotions m’envahissent, l’envie d’en reprendre est très forte. Ma thérapeute m’a appris à affronter mes états d’âme et à ne plus chercher d’échappatoire. Mais il y a des moments très compliqués”.
Après un licenciement, Mathilde a retrouvé un travail dans lequel elle s’épanouit tout autant. Elle se raccroche à sa vie mais surtout à sa fille, avec l’aide de sa sœur, devenue son ange gardien. D’après son addictologue, si elle n’est pas totalement sortie d’affaire, elle est en bonne voie.
L’avis de Véronique Godding, addictologue
Selon Véronique Godding, Docteure et addictologue au CentrEmergences, le récit de Mathilde explique parfaitement ce qu’est l’addiction: “Littéralement une perte de contrôle face à la consommation d’une substance telle que l’alcool, la drogue, le tabac (ou même à ce qui paraît sain de prime abord, comme le sport). Il y a l’utilisation compulsive, d’une part, et la sensation de manque lorsqu’on ne prend pas, d’autre part, provoquant un grand mal-être physique et mental”.
Très vite, on va consommer pour ne pas ressentir le manque et la noirceur émotionnelle qui l’accompagne
La spécialiste poursuit: “Au départ, on va consommer pour se sentir bien, pour évacuer son stress ou ses angoisses. Le souci, c’est que très vite, on va consommer pour ne pas ressentir le manque et ne pas ressentir la noirceur émotionnelle qui accompagne le manque: les angoisses, les peurs… Petit à petit, toutes nos ressources, qu’elles soient physiques ou financières, vont être dédiées à trouver et consommer”.
Un profil plus à risque?
Si on ne peut pas parler de “profil addict” selon la médecin, certaines vulnérabilités peuvent nous mener à une consommation non contrôlée. “On le remarque dans le témoignage: ayant déjà consommé de la cocaïne avant sa rupture, mais de manière ‘festive’, Mathilde y est retournée pendant une période où elle était en difficulté émotionnelle, et donc vulnérable. C’est parce que son cerveau avait créé ce qu’on appelle ‘le circuit de la dépendance’. Si elle n’avait pas consommé avant, elle n’aurait certainement pas perçu la drogue comme un échappatoire”.
“Je pense être accro, je fais quoi?”
La première étape est de prendre conscience du problème. Vous vous dites “Je consomme trop, trop souvent, j’y pense plus que de raison, j’ai des comportements inadéquats…”? C’est un bon début! Une fois la prise de conscience, la médecin conseille de:
- Se faire aider. Consulter un addictologue et suivre une thérapie est primordial, afin de traiter le problème de fond. Il existe plusieurs centres d’aide de première ligne où se rendre pour avoir contact avec des médecins et des thérapeutes spécialisés dans les addictions.
- En parler. C’est, pour l’addictologue, une étape essentielle. L’objectif est de sortir de la honte et de la culpabilité, mais aussi de ne plus cacher nos problèmes afin de ne pas se mentir, et d’obtenir l’aide de nos proches et leur soutien.
- Apprendre à gérer son stress. Selon l’addictologue, il est nécessaire d’adopter des techniques de relaxation lorsque nous sommes face à des émotions négatives, telles que la cohérence cardiaque ou la méditation. En venant apaiser les angoisses, ces rituels viennent diminuer l’envie de recourir à des substances illicites comme échappatoires au stress vécu.
*Prénoms d’emprunt
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