Sommes-nous toutes hypersensibles?
“Officiellement”, l’hypersensibilité concerne environ 20% de la population. Dans les faits, on dirait qu’elle touche… à peu près tout le monde. Comment l’expliquer?
Il y a 30 ans, le terme d’hypersensibilité n’existait pas. Depuis 2016, il a envahi l’espace médiatique, les rayons des librairies, et nos vies. Nous sommes en effet nombreuses à nous reconnaître dans la description de l’hypersensibilité: ressentis à fleur de peau, émotions exacerbées, sensation de décalage avec le monde… Pour certaines, se découvrir hypersensible a été une libération, une explication à leur sentiment de mal-être. D’autres vont jusqu’à revendiquer l’étiquette, affichant avec fierté leur différence.
Sur les réseaux sociaux, il n’est pas rare de lire que “les hypersensibles comprennent mieux le monde que les autres”. Une promesse de félicité suffisante pour donner envie à tout un tas de gens de se dire hypersensibles eux aussi. À raison? À tort? Que recouvre exactement ce terme “d’hypersensiblité”?
L’existence même de l’hypersensibilité est contestée par la majorité des psys, il n’existe pas de test officiel pour la diagnostiquer
Des personnes plus sensibles
D’abord, au niveau linguistique, sachez que ce mot est la traduction de l’expression anglaise utilisée par Elaine Aaron, dans son livre Ces gens qui ont peur d’avoir peur: “high sensitivity”, soit simplement “sensibilité élevée”, une expression bien plus neutre que sa traduction française.
Au départ, l’hypersensibilité désigne des personnes plus sensibles que la moyenne, et non pas une catégorie de personnes à part entière. Inutile par ailleurs d’espérer en obtenir un diagnostic. “L’hypersensibilité, explique Saverio Tomasella, psychanalyste et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, n’est pas une maladie, ni un désordre psychopathologique ou tout autre trouble psychique qui serait défini dans un catalogue. Il n’existe pas non plus de test officiel pour la diagnostiquer. Pour tout dire, l’existence même de l’hypersensibilité est contestée par la majorité des psys”.
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Pas de preuve génétique, ni cérébrale
D’où vient dès lors ce chiffre de 15 à 20% d’hypersensibles? Mathilde Chevalier-Pruvo, philosophe, écrit dans son livre Plaidoyer pour un monde (hyper)sensible, que ce chiffre serait tiré d’une “série d’entretiens téléphoniques effectués par Elaine Aaron auprès de 300 personnes vivant aux États-Unis”.
On lit aussi dans son livre qu’au niveau cérébral, les hypersensibles présentent une activité plus grande des neurones-miroirs (empathie) et de l’insula, le “siège de la conscience”, permettant “une vision plus subjective, plus précise et plus intime de la réalité”. “Tout cela est à mettre au conditionnel, rétorque Saverio Tomasella: dans les faits, ces conclusions proviennent d’un petit nombre d’études menées sur un échantillon très faible de personnes. Les hypersensibles ont le même cerveau que les autres”. Quant à l’hypothèse génétique, 30 ans de recherche n’ont pas réussi à identifier un quelconque gène de l’hypersensibilité.
Qu’est-ce qui se cache derrière tout ça?
Se serait-on “un peu” emballés avec l’hypersensiblité? Faut-il y voir un phénomène de mode? Ou une conséquence de l’effet Barnum (des descriptions tellement générales que tout le monde s’y reconnaît, comme dans les horoscopes)? “Je pense, affirme Saverio Tomasella, que quand on se sent mal, poser l’étiquette de l’hypersensibilité est une réponse facile, consommable rapidement: ‘Je suis hypersensible, tout s’explique’. Alors que la souffrance humaine demande un cheminement thérapeutique parfois long, une recherche à tâtons. Les solutions toutes faites n’existent pas”. D’autant que, comme il l’écrit dans son livre Lettre ouverte aux âmes sensibles qui veulent le rester, “la sensibilité joue le rôle d’une caisse de résonance ou d’un amplificateur, mais elle ne crée pas nos souffrances”.
Nous sommes des humains en période trouble, nous ne pouvons pas faire autrement que d’être affectés par ce qui nous entoure
Avant de s’autodiagnostiquer hypersensible, mieux vaut donc vérifier si le mal-être ne vient pas d’un trouble plus grave (dépression, troubles anxieux, personnalité borderline…).
Un monde hyposensible
Pourtant, les hypersensibles du monde entier ont le mérite d’avoir mis le doigt sur un problème essentiel: s’ils se sentent continuellement à fleur de peau, agressés, c’est pour une bonne raison: “Et si ce n’était pas les hypersensibles qui étaient trop sensibles, mais le monde qui ne l’était pas assez?”, s’interroge Mathilde Chevalier-Pruvo en sous-titre de son livre, comme le psychologue Christophe André l’avait fait avant elle.
“Nous vivons des temps très durs et déprimants, constate Saverio Tomasella. Nous sommes dans un monde qui, dans sa course folle à la productivité, en oublie les valeurs fondamentales et essentielles de chaque être humain. La sensibilité n’y a plus sa place. Celui qui n’arrive pas à endosser le costume de l’homme ou de la femme pressé(e), infatigable et sûr(e) de lui (d’elle), se sent complètement en décalage. Nos souffrances ne viennent pas de notre sensibilité, mais de ce que nous inflige notre environnement. Se dire hypersensible, c’est comme si ça nous donnait le droit de ressentir très fortement nos émotions. Or, nos réactions sont tout à fait normales: nous sommes juste des humains en période trouble, nous ne pouvons pas faire autrement que d’être affectés par ce qui nous entoure”.
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Doit-on renier l’hypersensibilité?
Faut-il oublier cette notion d’hypersensibilité? Saverio Tomasella préfère parler de sensibilité tout court. “Tous les êtres humains sont des êtres sensibles, même si certains étouffent plus leur sensibilité que d’autres. Les conseils pour les hypersensibles sont de bons conseils, mais en réalité, ils sont valables pour tout le monde”. Et de conclure: “Ce n’est pas à vous de vous adapter à la société, mais à nous tous, individuellement et ensemble, de déployer nos sensibilités et de transformer la société en profondeur dès maintenant”.
Les 5 signes d’une haute sensibilité
Dans son livre Lettre ouverte aux âmes sensibles qui veulent le rester, Saverio Tomasella dresse la liste des caractéristiques des personnes hautement sensibles. Selon lui, il n’y en a que cinq et il faut les posséder toutes pour se dire plus sensible que la moyenne.
- La surstimulation: la personne est surstimulée plus facilement et plus rapidement qu’une autre, et se sent souvent débordée. Elle s’épuise mentalement, physiquement et peut souffrir d’un fort niveau de stress.
- La réceptivité émotionnelle: la personne est caractérisée par une grande réactivité émotionnelle. Elle est plus affectée par les commentaires, les critiques ou les reproches à son égard.
- Une perception fine des nuances: la personne est très observatrice. Elle prête une attention soutenue aux moindres détails. Elle est extrêmement consciente, non seulement de son environnement, mais aussi de ce qui se passe en elle.
- Le traitement en profondeur des informations: la personne a tendance à vouloir peser le pour et le contre dans les moindres détails. Ce processus minutieux requiert beaucoup de temps et d’énergie.
- La sensibilité avantageuse: elle désigne la capacité à mieux profiter des situations favorables, des événements agréables et des moments heureux.
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Petit guide de survie
“Bien vivre sa sensibilité est d’abord une décision, affirme Saverio Tomasella. Il s’agit en effet de choisir d’aller mieux et de prendre soin de soi”. Pour cela, il conseille de…
- Prendre soin de son corps. “Mangez sainement, faites du sport, dormez suffisamment. Trouvez votre propre manière de décompresser”.
- Se consacrer un moment à soi chaque jour (même 5 minutes). “Ce moment que vous vous réservez n’aura pas uniquement pour conséquence de vous faire sentir mieux, vous constaterez qu’en étant plus disponible et à l’écoute de vous-même, vous le serez également pour vos enfants, vos amis, votre compagne ou compagnon, ainsi que pour toutes les personnes que vous rencontrerez”.
- Laisser tomber les fausses croyances. ” La sensibilité n’est pas une faiblesse. Et non, vous n’êtes pas trop sensible: vous êtes merveilleusement sensible. Votre sensibilité est la signe de votre humanité. Considérez-la comme un cadeau”.
- Trouver son refuge (une chambre, un jardin…). “Les personnes sensibles apprécient avoir un endroit où se sentir à l’abri, en paix et protégées”.
- Se reposer. “Être sensible est fatigant. Les grands sensibles ont besoin de plus de repos que les autres, ainsi que de moments de solitude chaque jour, pour faire une sieste, marcher dans la nature, écouter de la musique douce, rêvasser, méditer, faire du yoga… Sinon, le risque de saturation (surexcitation, épuisement, humeur maussade, dégoût, lassitude) est élevé”.
- Accueillir ses émotions. “Écoutez-les et acceptez le message qu’elles vous transmettent”.
- Se faire aider quand c’est trop difficile.
Mathilde Chevalier-Pruvo suggère également de réveiller ses sens: “Nos cinq sens ont une vocation strictement utilitaire et nous tiennent lieu de vigies. Les informations qu’ils nous transmettent sont extrêmement pauvres et superficielles”. C’est le moment de leur redonner de la place: écoutez le chant des oiseaux, concentrez-vous sur la douceur de cette matière, humez goulûment cette bonne odeur de gâteau…
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