Peut-on (vraiment) changer?
“Les gens ne changent pas…”, entend-on souvent. Qu’en est-il vraiment? Garde-t-on la même personnalité du début à la fin de sa vie? Réponse avec 7 témoins et spécialistes.
Les avis sont partagés. Pour certains, la nature d’une personne est figée; pour d’autres, pas. Tout dépendrait du parcours de vie car réussites, chocs ou traumatismes peuvent influencer la personnalité d’un individu.
1. “Non, pas vraiment”
L’avis de Michel Hansenne, Professeur de psychologie à l’ULiège, spécialisé dans la psychologie de la personnalité.
“Notre personnalité est déterminée à 40% par des facteurs génétiques. Les 60% restants dépendent un peu de l’éducation, beaucoup des expériences de vie (surtout celles que l’on vit en dehors du noyau familial), mais également des aspects générationnels (les gens nés dans les années 80 n’ont pas la même personnalité que ceux nés dans les années 2000)”. Elle reste assez stable tout au long de la vie: un enfant curieux ou colérique à 2 ou 3 ans le sera encore à l’âge adulte. Il faut néanmoins attendre 25 à 30 ans pour que la personnalité soit vraiment construite et se stabilise.
Et de poursuivre: “Ensuite, à moins d’un trouble mental ou d’un grand trauma, elle ne changera plus tellement. Elle évolue naturellement avec l’âge: en vieillissant, on devient plus introverti, moins consciencieux, plus indulgent avec soi-même… Elle peut aussi évoluer un peu si l’on suit une thérapie, par exemple pour avoir un peu plus confiance en soi ou être moins anxieux, à condition d’être motivé et de se fixer des objectifs atteignables, mais le changement reste modéré”, précise le Professeur. “Vous pourrez apprendre à être un peu plus extravertie ou le devenir davantage avec l’âge, par exemple, mais quelqu’un de très introverti (ou impulsif, généreux…) ne deviendra jamais son opposé”.
2. “Oui, après un événement grave”
L’avis de Nelly Goutaudier, maître de conférence en psychologie clinique et psychopathologie à l’Université de Poitiers, et spécialiste de la croissance post-traumatique.
“On parle souvent de ‘résilience’ lorsqu’on se rétablit après un traumatisme. Depuis peu, on parle aussi de ‘croissance post-traumatique’: la personne redevient la même, mais dans une version améliorée. Selon les études anglo-saxonnes, 30 à 60% des gens ayant vécu un terrible drame de manière directe (accompagné d’un stress intense, d’une perte de repères et d’identité) verraient un changement dans au moins un de ces cinq domaines:
- Les forces personnelles: j’ai survécu à la mort, je vais en profiter pour devenir la meilleure version de moi-même.
- Les relations interpersonnelles: puisque j’ai été confronté(e) à tout ça, je vais me rapprocher de ma famille et apporter mon aide et mon expérience aux autres.
- De nouvelles possibilités de vie: je me sens capable de faire des choses dont je ne me sentais pas capable avant.
- L’appréciation de la vie: la vie est précieuse.
- Le développement personnel: croyance en une bonne étoile ou une force supérieure de protection.
Ces importants changements de personnalité s’expliquent par l’obligation, pour ne pas sombrer, de trouver un sens à ce vécu traumatique. Les études sur la croissance post-traumatique n’en sont encore qu’à leurs balbutiements, mais elles pourraient amener à une meilleure prise en charge des patients traumatisés, nous dit Nelly Goutaudier.
3. “Depuis mon accident, je ne suis plus le même”
L’avis de Luc, 56 ans, échevin et triathlète handisport.
“J’avais à l’époque une entreprise dans la construction qui marchait bien. Je gagnais beaucoup d’argent, et mon seul objectif était d’en gagner plus. Je sortais tous les week-ends, je multipliais les aventures, je m’affichais sur Facebook au volant de ma Porsche, je partais à Milan pour faire la fête… J’étais superficiel, pas du tout tourné vers les autres, capable de me garer sur une place pour handicapés parce que je n’avais pas de temps à perdre”, nous raconte Luc.
Je ne suis pas fier de qui j’étais, mais je suis fier de qui je suis devenu
En 2002, l’homme aujourd’hui triathlète perd le contrôle de sa Jeep, en allant sur l’un de ses chantiers. Le bilan est grave: 27 fractures et l’amputation de sa jambe droite. “J’ai été hospitalisé pendant 18 mois. À ma sortie d’hôpital, mon entreprise avait fait faillite, j’avais perdu mes amis, il n’y avait plus que ma famille pour me soutenir. Ma vie a ensuite été un marasme pendant quatre ans (dépression, alcoolisme…). Puis, il a fallu choisir: m’enfoncer ou rebondir. J’ai choisi la seconde option, aidé par une nouvelle passion: le sport”.
Luc commence par s’adonner à la natation, puis au vélo, à la course à pied, le tout avec une prothèse. “J’ai ensuite voulu retravailler – pas question d’être un assisté – et j’ai rencontré une femme avec des valeurs très humaines. Aujourd’hui, j’ai le droit de me garer sur une place pour handicapés, mais je la laisse à ceux qui en ont plus besoin que moi. J’ai beaucoup moins de moyens, mais je préfère utiliser mon argent pour faire du bien aux autres. Je ne suis pas fier de qui j’étais, mais je suis fier de qui je suis devenu”.
4. “Oui en théorie; en réalité, pas tellement”
L’avis de Laurence Ris, Docteure en neurosciences et Professeure à l’UMons.
“Il n’y a pas d’endroit dans le cerveau dédié à la personnalité. La personnalité, c’est une manière qu’a le cerveau de réagir à une sollicitation de son environnement, il répondra par un comportement particulier. Si celui-ci amène de bons résultats, ce comportement se répétera, des connexions vont s’établir dans le cerveau et à force d’être répétées, un chemin automatique va se tracer. Par exemple, face à un danger, les êtres humains réagissent spontanément en se battant, en se figeant ou en s’enfuyant”, détaille Laurence Ris.
“Tout au long de l’enfance, de l’adolescence et jusqu’à l’âge adulte, la personnalité va ainsi se forger petit à petit, sur base d’expériences individuelles, et des chemins se traceront dans le cerveau”, poursuit Laurence Ris. Grâce à la neuroplasticité du cerveau, il est possible de recréer des chemins à tout moment (comme n’importe quel apprentissage), mais certains chemins installés depuis l’enfance sont trop ancrés pour être modifiés. “Si vous êtes très introvertie, cela signifie que le chemin cérébral de l’introversion est ancré en vous très profondément depuis longtemps. Il sera donc très difficile à changer. Mais si vous êtes dans un juste milieu, vous avez une latitude pour modifier légèrement vos manières de réagir”. Un changement de personnalité total est théoriquement possible. “Il peut d’ailleurs apparaître après la prise de certains médicaments ou en cas de troubles mentaux, comme certaines addictions, la schizophrénie ou la maladie d’Alzheimer. Quand tout va bien, on pourra moduler un peu sa personnalité sans toutefois la modifier fondamentalement”, conclut la spécialiste.
5. “Rien n’est figé!”
L’avais de Charlotte, 41 ans.
“Tout a commencé lorsque j’ai décidé de changer de régime alimentaire: moins d’aliments transformés, moins de mauvais sucres, moins de gluten, plus de fruits et de légumes crus… J’en ai ressenti plus de joie et de bien-être”.
Parallèlement, Charlotte s’est mise à lire beaucoup de livres de développement personnel, à mettre en place de nouvelles attitudes, à placer des post-it partout chez elle pour déprogrammer certaines pensées négatives et en reprogrammer d’autres. “Peu à peu, mes croyances, mon regard sur la vie, ma spiritualité, mes émotions, et par conséquent ma personnalité, ont commencé à changer aussi. Mes amis disent que le changement est incroyable: je dégage beaucoup plus de lumière, de sérénité, de joie qu’avant. Mais est-ce ma personnalité qui a changé ou est-ce que je me suis révélée à moi-même? Je l’ignore. J’aime penser que rien n’est figé, qu’on peut se façonner, être maître de sa vie, au lieu de subir ce que l’on croit devoir être”.
6. “Oui, mais pas les pervers narcissiques et autres manipulateurs!”
L’avis de Julie Arcoulin*, thérapeute et auteure.
“Si je doutais qu’on puisse changer, je ne ferais pas le métier que je fais. À partir du moment où un trait de caractère nous gêne (par exemple: une difficulté à dire non), on peut travailler à le faire évoluer”. La thérapeute note trois conditions: en être conscient(e), le vouloir, être capable de se remettre en question.
Les manipulateurs se sont construits autour de cette personnalité et se nourrissent de la destruction de l’autre
“Mais rien de cela ne vaut hélas pour les pervers narcissiques et autres manipulateurs, même s’ils promettent de changer, car ils sont incapables d’admettre leurs failles, et ne voient pas pourquoi ils devraient changer. Pour eux, le responsable est de toute façon toujours l’autre”. Les manipulateurs se sont construits autour de cette personnalité et se nourrissent de la destruction de l’autre: s’ils ne peuvent plus se comporter comme tel, ils s’effondrent. “Inutile donc d’attendre qu’ils changent, inutile aussi d’espérer les faire changer. Au pire, on peut se suradapter à la situation, et accepter de se sacrifier; au mieux il faut fuir”.
7. “Non, et heureusement !”
L’avis de Sarah Galdiolo, Professeure de psychologie à l’UMons et psychologue clinicienne.
“Des études longitudinales s’intéressant aux éventuels changements de personnalité au cours de la vie ont montré que les changements les plus importants (tout en restant légers) ont lieu entre 18 et 30 ans. Est-ce en raison de la mise en couple? Les études ont montré que non. Est-ce en raison de la parentalité et de son cortège de nouvelles responsabilités (organiser, planifier, développer l’empathie)? Après avoir analysé les personnalités de parents avant la naissance et jusqu’aux 3 ans de l’enfant, j’ai constaté que le seul changement apparu a été une légère baisse de l’extraversion chez le papa (couplé à une baisse de testostérone), bien utile pour le recentrer sur sa vie de famille. Pas de changement de personnalité chez la maman. Rien de drastique, donc. De toute façon, garder une personnalité relativement stable tout au long de sa vie (on observe déjà des traits de caractère dominants chez les tout-petits) est une bonne chose: des études ont en effet montré que changer de personnalité provoque un malaise tant dans la santé mentale que dans les relations sociales, les autres ayant besoin que vous vous comportiez comme vous l’avez toujours fait. Quant aux thérapies, j’estime qu’on y va pour comprendre comment on fonctionne, pour changer ses croyances ou développer de nouvelles compétences, mais pas pour changer sa personnalité”, conclut Sarah Galgiolo.
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