Perversion narcissique chez l’enfant: ces signes qui doivent alerter
Avant d’endosser le rôle de l’amant ou du collègue, le pervers narcissique est avant tout le fils ou la fille de. Peut-on repérer des signes précurseurs chez l’enfant? Et surtout, peut-on le soigner?
“Il a tout du pervers narcissique, tu ferais mieux de couper les ponts”, pourrait nous dire un ami à qui l’on dépeint ce profil de partenaire qui ne pense qu’à lui, nous déprécie, souffle le chaud et le froid… L’écouter impliquerait de se dégager de la relation, de tirer un trait sur cet amour toxique. La tâche n’est pas aisée. Alors imaginez avec un enfant. C’est bien simple: comment pourrait-on rompre le contact avec la chair de sa chair?
Origine, signaux alarmants et comportements à adopter, nous avons posé nos questions à Tim Stroobandt, psychologue clinicien spécialisé en perversion narcissique, relations toxiques et emprise pathologique. “Il faut savoir qu’il est très difficile de vulgariser le sujet sans tomber dans le simplisme. Il y a également beaucoup de grilles de lecture différentes”, prévient le psychologue, qui invite à la prudence, donc.
Une histoire de gènes?
La perversion narcissique serait-elle une histoire de gènes? “Il y a deux écoles, nous dit Tim Stroobandt. Certains experts affirment qu’il y a des facteurs génétiques, d’autres estiment que l’environnement dans lequel l’enfant vit va, petit à petit, le modeler vers un trait de personnalité plutôt qu’un autre. Je dirai que c’est un mélange des deux, on verra si la science évolue suffisamment pour le démontrer. Une chose est sûre: l’enfant s’inscrit dans un système préexistant. Il n’a pas pris la décision de naître, il va hériter d’une place et d’une fonction prédestinées par l’univers familial. La construction de sa structure de personnalité va donc dépendre de celle de ses parents. On projette sur l’enfant de nombreuses choses, même avant sa naissance. Il ne faut pas diaboliser ce phénomène, il est tout à fait normal”.
La perversion narcissique est un mécanisme de défense. Elle peut être la conséquence de facteurs variés comme un trauma ou une carence affective
La perversion narcissique est un mécanisme de défense. Elle peut être la conséquence de facteurs variés comme un trauma ou une carence affective, nous dit l’expert. L’enfant revêt alors une carapace pour affronter ce monde qui lui semble hostile. Il se coupe des autres pour se concentrer sur ses besoins. Autre explication souvent avancée par les experts: le comportement par imitation. Un enfant de parent(s) pervers narcissique(s) a plus de risques de le devenir à son tour. Prenant ce parent comme exemple, il reproduit les mêmes schémas de manipulation.
Il y a des mensonges sains
On associe souvent la perversion narcissique aux mensonges, à la manipulation, à la culpabilisation. Des comportements fréquemment rencontrés chez les enfants. Très jeunes, on les surprend à accuser leurs frères et sœurs après une bêtise, à cacher leur bulletin ou à nous manipuler pour obtenir ce qu’ils désirent: “Papa, lui, m’achèterait ce jeu”, “Je suis le seul de la classe à ne pas l’avoir…”. Or, tous les petits menteurs ne sont pas des pervers narcissiques en devenir. “Dans une certaine mesure, ces comportements sont tout à fait normaux, rassure Tim Stroobandt. Les enfants sont effectivement des maîtres en manipulation, cela fait partie de leur développement”.
Des traits observables tôt?
L’expert pointe des signes pouvant mettre sur la voie de la perversion narcissique: “Parmi les premiers traits observables, on retrouve une forme de trahison du système familial ou de l’éducation donnée, à des fins qui leur sont uniquement propres. Il y a aussi une absence de culpabilité, de honte et de doutes. Déceler ces comportements au fur et à mesure du développement peut mettre la puce à l’oreille”.
Alertés par certains signaux, vous aurez probablement envie de vous ruer sur ces check-lists en X points qui circulent et prétendent pouvoir déceler une perversion narcissique en quelques clics. Le psychologue appelle à la prudence: “Tout le monde peut avoir des traits pervers. Certaines psychoses peuvent ressembler à des perversions, tout dépend de l’intention qu’il y a derrière. Le psychotique est lui aussi capable de mentir. À vos yeux, ce qu’il dit est un mensonge, mais aux siens, c’est une vérité. Il est convaincu de ce qu’il dit. Le pervers, lui, détourne la réalité pour assouvir ses besoins. Il a conscience qu’il vous manipule. Il sait simuler l’affection pour parvenir à ses fins. Son but est de fuir, autant que possible, les conflits intrapsychiques (qui opposent les principes de plaisir et de réalité, ndlr). Parce qu’il n’a pas les outils pour les gérer”.
Toxicité répétée
Notre expert insiste: contrairement à ce que l’on croit, les pervers narcissiques sont bel et bien capables d’empathie. Ils comprennent ce que vous ressentez – sinon, comment pourraient-ils vous manipuler? – mais ils manquent par contre cruellement de compassion: “Ils ne ressentent pas vos hontes, votre culpabilité et les autres émotions qui vous bouleversent”.
Plutôt que de tout passer au peigne fin, analysez la succession des événements
Plutôt que de tout passer au peigne fin, l’expert suggère d’analyser la succession des événements: “Il est tout à fait possible d’observer la sincérité du propos d’un enfant, à partir du moment où l’on prend suffisamment de recul. Mais rien ne sert d’isoler chaque élément, il faut voir leur succession, l’image globale”, conseille Tim Stroobandt.
Gare à l’enfant-roi!
“Je caricature un peu, mais la philosophie de l’enfant-roi est une fabrique à perversion, explique le psychologue. Parce qu’on idolâtre l’enfant, on ne lui apprend pas à se confronter à l’autre. Il n’assimile donc pas l’idée qu’il doit culpabiliser, gérer cette culpabilité et réparer ses erreurs. S’il n’apprend pas la honte, il n’assimile pas le fait qu’il doit faire des efforts pour récupérer sa place au sein de la communauté”. Dans le cas de bagarres, par exemple, certains parents protègent l’enfant à outrance, ils ne sollicitent pas de remise en question de sa part. “Il faut vraiment être prudent sur ce point. On peut bien évidemment le soutenir, mais il faut souligner l’importance de ne pas recourir à la violence et le punir pour ce geste”.
Et de poursuivre: “Le pervers narcissique a énormément de mal à s’excuser, cela s’apparente à ses yeux à un acte de soumission. Demander pardon, c’est en effet dépendre de l’autre, puisque ce pardon peut nous être accordé… ou non. C’est un point sur lequel j’insiste particulièrement: il ne suffit pas d’un ‘Je suis désolé’ de l’enfant, il faut l’amener à comprendre ce qu’impliquent des excuses”.
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La perversion narcissique peut-elle se soigner?
Vous l’aurez compris, on peut être d’une grande aide quand l’enfant se construit, en lui offrant des bases saines! Si sa personnalité est déjà bien définie, par contre, ce sera plus complexe. “La perversion narcissique n’est pas une maladie, mais une structure de personnalité, détaille l’expert en relations toxiques. Et on ne peut pas soigner qui est l’autre ni sa manière de fonctionner. Mon expérience me pousse à dire que les gens ne changent pas. Ils évoluent sur leurs bases”.
Certains comportements peuvent cependant vous en protéger. “Le praticien n’a pas le droit d’établir le diagnostic d’une personne qu’il n’a pas vue. L’intérêt n’est pas de coller une étiquette à l’entourage du patient, mais de l’aider, lui, à trouver un équilibre, parce qu’il faut énormément de bienveillance pour accompagner ces profils! Il faut amener le patient à se rendre compte qu’il y a une absence de réciprocité, en mettant en exergue les comportements fréquents. Le pervers narcissique ne supporte pas l’indifférence, c’est la raison pour laquelle je conseille à mes patients d’adopter cette posture dans un premier temps. Même si chaque situation est différente”.
Des chiffres sous-estimés
Entre 2 et 3%, c’est la statistique qui circule concernant le pourcentage de la population atteinte de perversion narcissique. Mais puisque le pervers narcissique est le roi de l’illusion, il y a fort à parier que cette proportion soit en réalité bien plus élevée. “Le pervers est capable de jouer avec le langage, il sait ce qui plaît à l’autre. Lorsque vous lui faites passer un test, il sait exactement ce qu’il doit répondre et peut simuler les réactions que vous attendez de sa part”. Ou le fameux biais de désirabilité sociale.
Le témoignage de Camille, 37 ans
Si le pervers narcissique est incapable de se remettre en question, pourquoi pousserait-il les portes d’un cabinet psy? Ainsi, ce sont souvent les victimes qui décident de suivre une thérapie. La sœur de Camille* n’a jamais été officiellement diagnostiquée perverse narcissique. Pendant des années, sa cadette pensait “simplement” qu’elle avait une personnalité envahissante. Elle regarde aujourd’hui son enfance avec un tout autre prisme.
J’ai essayé de parler à mes parents, mais ils refusent de voir ce que je vois
“Je n’avais pas le droit de capter la lumière, même un instant. Ma sœur absorbait tout. Je me disais que c’était une question de personnalité, elle était expressive et moi plus en retrait. Mais avec le recul, je sais que ce retrait n’était pas naturel. J’avais toujours le sentiment de prendre trop de place, en amour, au boulot comme dans ma famille. J’ai suivi une thérapie il y a six ans. Au fil des rendez-vous, j’ai eu des flashbacks de mon enfance et j’ai commencé à mettre tous les événements vécus en parallèle. J’ai lu de nombreux livres sur le sujet et je suis aujourd’hui convaincue que ma sœur souffre de perversion narcissique. Elle ment à tout le monde, à tous les sujets. L’objectif de ses mensonges? Se mettre en avant. Elle passe son temps à rabaisser et à manipuler les autres pour obtenir ce qu’elle veut et je pense avoir été sa première victime.
Sa poupée
Ma sœur me disait comment me comporter, avec qui je pouvais jouer. Lorsque j’outrepassais ses recommandations et m’amusais sans elle, elle utilisait un système de récompense. “Si tu restes près de moi, je t’achèterai ça”. Bien sûr, elle ne respectait jamais ses promesses. Une complicité forcée qui passait pour une parfaite entente aux yeux de mes parents. Quand j’osais contredire ses mensonges, elle se mettait en colère et arrivait, par je ne sais par quel moyen, à retourner la situation. C’était toujours elle la victime et moi le bourreau. Si je lui disais qu’elle m’avait blessée, elle rejetait la faute sur son environnement. Elle se mettait alors à me raconter ses problèmes, mettant définitivement les miens au second plan. Pleine de culpabilité, je finissais par m’excuser. Avec le recul, je ne me rends compte que je ne l’ai jamais entendue se remettre en question.
Le deuil d’une relation
Aujourd’hui encore, le monde tourne autour d’elle. Pour se mettre en avant, elle me rabaisse constamment. À l’entendre, c’est comme si elle m’avait façonnée, je n’ai pas le moindre mérite. J’étais brillante à l’école? Elle disait à nos parents qu’elle m’aidait pour mes devoirs et que ma réussite dépendait d’elle. Alors que j’approche la quarantaine, j’enchaîne les relations amoureuses instables. Un sujet qu’elle adore mettre sur le tapis lors des réunions de famille. “Heureusement qu’on a pu compter sur moi pour la descendance”.
Quand j’ai réalisé que le ‘problème’ ne venait peut-être pas de moi, qu’il y avait une explication à mon mal-être, je me suis sentie soulagée. J’ai essayé d’en parler à mes parents, mais ils refusent de voir ce que je vois. Parce que je ne pouvais pas la changer, j’ai fait le deuil d’une vraie relation entre sœurs. Lorsqu’elle me blesse, je me dis que ce n’est pas de sa faute, qu’elle n’a juste pas les outils pour comprendre le mal qu’elle fait. Cela prend du temps et demande beaucoup de lâcher-prise, mais le quotidien me paraît plus léger depuis que je mets ces barrières”.
*Prénom d’emprunt
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