“Le secret est généralement plus dur à vivre que la vérité”

Des secrets de famille, Juliette Allais, psychothérapeute spécialisée dans le transgénérationnel, en entend beaucoup dans son cabinet. Elle en parle dans son livre réédité Se libérer des secrets de famille.

Toutes les familles ont leurs secrets, mais certaines en ont de plus lourds à porter. Des secrets qui, lorsqu’ils sont révélés au grand jour, font mal et/ou imposent la remise en question. C’est ce qu’ont vécu quatre de nos lectrices qui se livraient dans cet article: “Tout le monde savait… sauf moi!”

Des secrets de famille, il y en aura toujours

Lorsqu’on est la seule à ne pas être au courant, est-ce que cela alourdit davantage le secret?

“Oui, bien évidemment, nous dit Juliette Allais. Au secret se rajoute l’impression d’avoir été trahie, d’être exclue… Cela ne semble pas logique vu qu’on est le premier concerné et cela peut engendrer beaucoup de colère, de tristesse, de sentiment d’injustice, voire de violence”.

Pourquoi met-on en place un secret de famille?

“On crée rarement un secret ‘pour le plaisir’. On cherche avant tout à préserver l’image de soi ou celle de sa famille, éviter le jugement, cacher quelque chose de répréhensible, ou de tellement douloureux qu’on ne veut pas en parler. On a l’impression que si on n’en parle pas, c’est comme si ça n’avait pas existé. Or, ce n’est pas le cas: ne pas savoir ne protège pas. Au contraire: cela crée un malaise. Le secret est généralement encore plus dur à vivre que la vérité”.

Les secrets de famille sont-ils fréquents?

“C’est un phénomène récurrent. On serait étonné de leur nombre. On pourrait penser qu’il y en aura moins à l’avenir (ils sont souvent liés à des faits qui ne sont plus tabous aujourd’hui et on connaît désormais leur impact négatif), mais je ne suis pas sûre que ce soit le cas. Il n’y a qu’à voir les scandales qui éclatent à propos d’inceste, de harcèlement sexuel… Il y en a toujours autant, mais ils ont changé de nature, car ce que l’on cache est le reflet de l’époque dans laquelle on vit”.

Ne pas savoir, et pourtant le sentir

Souvent, les membres qui découvrent un secret sentaient qu’il y en avait un. Comment est-ce possible?

“Quand quelque chose est secret, les gens au courant s’organisent pour ne pas en parler. Les enfants sentent qu’il y a des sujets à ne pas évoquer. Finalement, ce secret est là, au milieu de tout le monde, on tourne autour de lui sans l’aborder. Il dénature et fige les relations. Cela crée des malaises, les conversations ne sont plus spontanées, l’atmosphère est lourde… Donc, oui, un secret peut se sentir intuitivement”.

Vous dites même, dans votre livre, qu’il peut se répercuter sur plusieurs générations?

“On sait que l’ADN transmet des infos concernant les traumatismes d’une génération à l’autre. On pense aussi que lorsque l’enfant naît, il est en contact avec l’inconscient de ses deux lignées. Le problème, c’est qu’il devient compliqué de remonter à l’origine du secret”.

Vous dites qu’un secret peut se manifester par des symptômes…

“Les effets d’un secret sur l’histoire de chacun sont impossibles à prévoir, mais oui, un enfant ou un descendant peut présenter des symptômes physiques ou psychiques, signes qu’il y a quelque chose qui ne va pas, mais sans savoir quoi: autisme, schizophrénie, migraines, troubles compulsifs, problèmes scolaires, dépression, accidents, situations qui se répètent. Il peut aussi impacter le choix d’un métier, d’une passion, d’un partenaire de vie…”

Se faire aider s’il est impossible de passer outre

Comment s’en libérer?

“Les symptômes du secret se transmettent jusqu’à ce qu’on le nomme. Il ne veut pas compliquer notre vie, il veut être su. Il faut donc faire des recherches, dresser son arbre généalogique, interroger les témoins, faire appel à des spécialistes (généalogistes, psychothérapeutes), faire parler son inconscient par le dessin, le rêve éveillé… Il faudra ensuite le digérer et arriver à l’intégrer dans sa réalité. Cela peut prendre du temps”.

Deux livres à lire pour en savoir plus:

• Se libérer des secrets de famille. Se réconcilier avec ses fantômes, Juliette Allais, Eyrolles (version poche), à shopper ici.
• Héritage, Dani Shapiro, Les Arènes, à shopper ici. Écrivaine célèbre, Dani Shapiro raconte, en même temps qu’elle le vit, la découverte de sa filiation, qui, suite à un test ADN, n’est pas du tout celle qu’elle croyait. S’ensuit une enquête qui l’amènera à revoir complètement ses origines. Quand le secret de famille est raconté par une autrice, cela donne un témoignage captivant qui va au cœur de son impact psychologique.

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