Dysmorphophobie: quand la conviction d’avoir des défauts devient obsédante
Les personnes qui souffrent de dysmorphophobie sont convaincues d’avoir un défaut physique majeur. Une pathologie qui peut leur gâcher la vie. Quels en sont les symptômes? Et comment se soigner?
“Ça a commencé à l’université, la dernière année de mon master. J’étais triste à cause d’une rupture et anxieuse à cause de mes études. Je pensais que j’étais moche et que c’était la source de tous mes problèmes. J’ai cru qu’en arrêtant de manger, je serais moins stressée et que je reprendrais le contrôle de ma vie”, confie Marie (prénom d’emprunt), 29 ans. La jeune femme a été atteinte de dysmorphophobie – ou BDD pour Body Dysmorphic Disorder –, un mal qui touche près de 2% de la population. Irrationnelle, obsédante et handicapante, cette crainte d’avoir un défaut physique impacte tant les hommes que les femmes.
Pas un complexe
La dysmorphophobie est un trouble de l’image de soi qui entraîne une véritable angoisse, voire des idées suicidaires. Jeanne Roussaux, psychologue et responsable des paramédicaux de la clinique La Ramée à Bruxelles, nous explique: “La dysmorphophobie est de l’ordre de l’obsession, le patient se focalise sur une partie du corps qui n’est pas à ce point-là problématique. Par exemple, un homme désespéré par sa calvitie naissante au point de vouloir en mourir”.
Cette pathologie n’a rien à voir avec un complexe. Le BDD est handicapant et entrave la liberté. Il y a différentes formes et degrés, allant de s’empêcher de profiter de la plage en maillot parce qu’on n’ose pas montrer ses jambes, à ne plus être capable de sortir de chez soi. “On considère le BBD comme un symptôme d’autre chose. La dysmorphophobie est liée à un état anxieux ou dépressif. Elle permet de mettre l’accent sur une partie du corps et donc, de se décaler des autres choses plus essentielles”, éclaire la psychologue.
La phobie d’avoir des défauts
L’objet d’attention n’est en fait qu’un point de focalisation d’un mal-être beaucoup plus profond. On pourrait dire que le défaut imaginaire est la partie émergée de l’iceberg. “Ainsi, le BDD est l’un des symptômes de l’anorexie. Ce n’est pas la dysmorphophobie qui amène le trouble alimentaire, c’est le trouble alimentaire et tout ce qu’il sous-tend qui amène la dysmorphophobie”, ajoute Jeanne Roussaux.
Elle insiste sur le côté phobique de cette maladie. “Il s’agit d’une phobie d’une dysmorphie. Les personnes dysmorphophobiques sont conscientes que leur réaction est exagérée. Les patientes qui ont des troubles alimentaires et ne pèsent que 26 kilos, se rendent compte que ce n’est pas juste de se trouver énormes, mais elles ne peuvent s’en empêcher. C’est la même chose avec toutes les phobies. Prenez quelqu’un qui a peur des pigeons: cette personne sait bien que les pigeons ne sont pas dangereux.” Comme les autres phobies, la dysmorphophobie entraîne une rupture du lien social. “Toute l’énergie est tournée vers le corps, dès lors on ne risque pas de s’approcher de l’autre, on coupe le lien. Ça protège d’une intimité possible, c’est une mise à distance”.
Des actes chirurgicaux à répétition
Dans son livre Les Défauts physiques imaginaires: Comprendre et soigner la dysmorphophobie, le psychiatre Jean Tignol précise qu’il y aurait entre 6 à 15% de patients atteints de BDD parmi les consultants en chirurgie esthétique et plus de 13% dans les consultations de dermatologie… Le Dr Alexis Verpaele, chirurgien plastique et président de la Royal Belgian Society for Plastic Surgery, explique: “Le problème est subtil, le piège se trouve chez les patients qui ont effectivement un trait qui dévie un peu (ou beaucoup) de la norme. On discute longuement avec eux mais, même si l’opération est techniquement parfaite, ces personnes sont sur la défensive ou en colère. Ces gens voient une autre image dans le miroir que celle que nous voyons d’eux”.
Chaque semaine, le médecin refuse des patients, la chirurgie n’étant pas la solution pour eux. “J’ai eu quatre ou cinq patients dans ma carrière qui mentionnaient des détails qui n’étaient vraiment pas visibles. La difficulté est d’expliquer à ces gens que ce qu’ils voient ne correspond pas à quelque chose de correctible de façon chirurgicale. Il y a parfois des résistances assez violentes chez les personnes. J’essaie toujours de leur conseiller d’aller parler avec des professionnels de la perception. Mais c’est difficile de dire à quelqu’un d’aller voir un psychiatre quand la personne a l’impression d’avoir un problème physique”.
Le spécialiste est rassurant, la dysmorphophobie est une pathologie bien connue dans la profession. “C’est incorporé dans les cours de chirurgie esthétique. Le Dr Mark B. Constantian qui pratique la rhinoplastie aux USA a publié plusieurs études sur le sujet. Il y décrit comment certains patients peuvent devenir fous après la normalisation techniquement parfaite du défaut physique. Il a par ailleurs remarqué que parmi ce type de patients, beaucoup avaient été abusés dans l’enfance.”
Société de l’image
“Nous vivons dans une culture qui multiplie les diktats sur l’apparence physique, mais qui taxe de superficielle toute personne qui souffre d’insatisfaction esthétique jusqu’à l’obsession”, constate Jeanne Roussaux. En effet, il n’est pas toujours simple de faire la part des choses entre les injonctions permanentes à la beauté et les messages en mode décomplexé du mouvement Body Positive. Certaines témoignent de leur peur d’être jugées pour ne pas accepter leur corps… Le tout saupoudré de réseaux sociaux très présents et de filtres déformants.
Cependant, selon la psychologue, tout ne s’explique pas par la pression extérieure. “L’image peut être un déclencheur, un renforcement, mais ce n’est pas la question de l’image qui est à l’origine, ce n’est pas ça qui rend malade.” La pression d’Instagram ou le harcèlement peuvent toutefois renforcer des fragilités préexistantes. “Des moqueries sur nos complexes, on en a tous eu, mais dans une certaine période de la vie, avec une certaine structure psychique, on s’y engouffre et la personne se focalise dessus”. En 2018, la chanteuse Cœur de Pirate a mis en lumière ce trouble en partageant son expérience sur Instagram. “J’en parle pas souvent mais mon BDD est bad des fois (…) tellement que mes vêtements m’étouffent/ je sors pas de chez moi”, avait-elle publié en enjoignant sa communauté à se préserver des réseaux sociaux au nom de la santé mentale. Elle a aussi témoigné en participant à thewomanhoodproject.com, superbe plateforme qui explore le rapport au corps.
Se reconnecter à soi
L’objectif des professionnels de la santé est de permettre aux patients de retrouver leur liberté de mouvement, d’accepter leur corps et d’apprendre à vivre avec. Différentes sortes de thérapies sont recommandées telles que la thérapie cognitivo-comportementale qui traite les distorsions cognitives ou la psychanalyse pour travailler sur les sources d’angoisse. Pour Marie, même si tout n’est pas réglé, la thérapie est d’une grande aide: “C’est comme une catharsis. Je peux m’exprimer sans me faire de mal. Je parviens à mieux gérer mes émotions”.
D’autres approches rétablissent aussi le lien avec le corps. “À l’hôpital, nous proposons un travail pluridisciplinaire, notamment avec une kiné qui organise des exercices face au miroir, explique Jeanne Roussaux. Il y a aussi la gym douce ou le yoga. Il est important de ne pas rester seule avec une souffrance et d’essayer de trouver des solutions”.
Pour aller plus loin
Les Défauts physiques imaginaires: Comprendre et soigner la dysmorphophobie, Jean Tignol, Éd. Odile Jacob.
Texte: Jehanne Bergé
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