“Comment j’ai appris à m’aimer en chaise roulante”
Clouée dans une chaise depuis 2010, Séverine Tassini refuse l’immobilisme. Cette Liégeoise mord la vie à pleines dents et brille dans des concours de beauté. Son credo: foncer pour ne pas regretter.
“À celles et ceux qui sont dans ma situation et qui se disent que leur vie est finie: non elle ne l’est pas!”, nous dit Séverine, 43 ans. C’est en 1998 que les premiers symptômes apparaissent, même si le diagnostic ne tombera que quelques années plus tard. “Je m’étais rendu compte que je trébuchais facilement, mais je le prenais sous la forme de la rigolade et je mettais ça sur le compte de la fatigue. Puis, j’ai constaté que je ne voyais plus bien de l’œil droit. Toute la partie supérieure était noire. C’est à l’hôpital, alors que j’attendais les résultats, que ma voisine de chambre m’a dit que ça devait sans doute être la sclérose en plaques… Elle l’avait aussi et avait eu les mêmes symptômes. Quand ma mère m’a appelée pour me l’annoncer, je lui ai dit que je le savais déjà et, bizarrement, je ne l’ai pas mal pris. C’est moi qui soutenais mes parents”, se souvient-elle. Séverine qui faisait beaucoup de sport et adorait la danse doit accepter l’évidence: la maladie commence à l’immobiliser.
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De la canne à la chaise
Doucement, la canne fait place à une seconde, puis au déambulateur. “Je me souviens que j’en utilisais un lors de mon voyage de noces”. En 2010, un an après avoir accouché de son fils, elle fait l’acquisition d’une chaise roulante, d’abord uniquement pour se promener. “À la maison, j’utilisais des béquilles. Et puis, au fur et à mesure, j’ai senti que j’étais plus à l’aise dans la chaise et qu’elle me permettait d’avancer plus loin”. Comment l’a-t-elle vécu? “Ça s’est fait tellement naturellement et progressivement que c’était finalement un soulagement à chaque fois que j’avais une aide de plus; disons que je forçais jusqu’à ce que ça ne soit plus possible”.
Le plus difficile était de constater que je ne pouvais pas courir et jouer au ballon avec mon fils
Bien vite, Séverine se retrouve clouée pour de bon dans sa chaise: “À l’époque, le plus difficile était de me dire que je ne pouvais pas marcher, courir et jouer au ballon avec mon fils… La force, c’est lui qui me l’a procurée. Je m’obligeais à prendre la chaise pour aller me promener avec lui”.
Coincée dans une chaise?
“Au début, ça a été difficile. Je me disais que je ne pourrais plus danser ou monter sur un podium ou une table comme avant. Je pensais qu’on ne pouvait plus rien faire avec une chaise roulante, mais au fur et à mesure, j’ai compris que j’avais tort. Que même assise, je pouvais danser, même si la sensation est différente; et que si je ne montais plus sur les podiums toute seule, les gens m’y monteraient avec ma chaise. Je continue aussi à conduire, j’ai une voiture automatique, avec la commande au volant, et je vadrouille partout”.
Au fil des ans, Séverine a appris à surpasser son handicap afin de vivre le plus normalement possible. “Au début, j’étais tout le temps assistée par mon ex-mari et ma maman. Je pense que le fait de divorcer m’a libérée, ça m’a permis de me rendre compte que j’étais capable de vivre seule. La toute première fois que je suis allée faire les magasins seule, j’étais fière comme un paon, se rappelle-t-elle. Après le Cora, ça a été les guinguettes. Je prends ma voiture, ma chaise et j’y vais seule alors qu’avant, j’en aurais été incapable. Maintenant, j’arrive en souriant, tout le monde me laisse passer. Les gens me proposent directement de l’aide, que j’accepte ou non. C’est simple”.
Une maman comme les autres
“Je suis une maman comme les autres, sauf qu’au lieu de marcher, je roule. Quand il faut monter une bordure, mon fils m’aide…”. Pour les vacances, non plus, Séverine ne fait aucune concession, nous dit-elle. “La dernière fois que je suis allée en vacances en camping dans le sud de la France, il n’y avait plus de mobile home pour PMR. J’ai pris un logement normal, ma chaise ne passait pas l’entrée, mais j’ai toujours la possibilité de me mettre debout à la force de mes bras quand c’est nécessaire. J’ai attrapé de bons bras…”.
L’aventure Top Women
Après un divorce et une relation toxique, Séverine tombe par hasard sur le concours Top Women. “La pub disait que toutes les femmes pouvaient y participer, alors pourquoi pas moi, ai-je pensé. J’ai toujours adoré le milieu de la mode, mais du haut de mon mètre 63, les agences me remballaient. Du coup, je me suis lancé dans ce défi: je voulais voir si, malgré ma chaise, je pouvais participer. J’ai postulé et je suis arrivée jusqu’en finale en 2020”.
Ce qui lui plaît dans ce type de concours? “Pouvoir m’affirmer. Avec Top Women, j’ai acquis une estime de moi, je prends maintenant du plaisir à monter sur le podium, à partager avec le public”. Et puis, Séverine a la volonté de transmettre son histoire: “C’est à travers ce concours que j’ai réalisé que je pouvais montrer aux gens, en dehors de mon entourage, que la vie est toujours possible même quand on est en chaise roulante! Qu’on peut avoir un quotidien tout à fait normal en ayant un handicap, même si certains sont plus graves que d’autres, évidemment. Mais l’humain est tellement fort qu’on peut rebondir, en fin de course…”.
Cette expérience l’a aussi poussée dans ses retranchements: “À cette époque, on avait dû relier mon nombril à ma vessie et je portais une poche. J’avais du mal à l’accepter, je ne me mettais plus en bikini. Grâce au concours, je me suis libérée de ce poids-là. Et si pour la demi-finale, lors du défilé en sous-vêtements, je voulais absolument que la poche soit cachée, à la finale, je m’en fichais déjà. Depuis, on a rectifié ce souci de santé”.
Son conseil?
L’an dernier, Séverine a également participé à Miss et Mister Natural Beauty à Liège et a terminé première dauphine. Si elle a un conseil à donner? “On n’est jamais satisfait de ce qu’on est. Il ne faut pas s’attarder sur les petits détails qu’on n’aime pas, on est bien plus que ça et on a tellement d’autres valeurs à côté. Et puis, c’est parfois la différence qui fait le petit plus”.
“La chaise ne me résume pas”
“Quand je me regarde dans le miroir, je vois que je suis en chaise, mais elle, je ne la vois pas spécialement… C’est difficile à expliquer. En tous cas: elle ne me résume pas”. D’ailleurs, pas question pour Séverine de faire une croix sur son côté coquette. “J’ai toujours adoré la mode, même si en chaise, ça ne donne pas la même chose. Une longue robe ample ne tombe pas bien quand tu es assise”, s’amuse-t-elle. Et de poursuivre: “Alors oui, au tout début, ça a été difficile. Je mettais initialement du 38-40, mais j’étais obligée de m’habiller avec une taille ou deux au-dessus par confort. Je sais maintenant que je ne dois plus faire attention aux tailles, mais à la manière dont le vêtement tombe”.
Question amours, elle a connu des déboires comme tout le monde. “En février dernier, après quatre ans de célibat, j’ai rencontré une personne extraordinaire qui m’a prise avec mon handicap et qui ‘ne voit pas la chaise roulante’, comme il dit. Il me pousse à essayer de nouvelles choses”.
J’ai fait le deuil de la personne que j’étais sur mes jambes
Treize ans après avoir adopté la chaise roulante, l’engin est devenu en quelque sorte “sa copine”, nous dit-elle. Celle qui lui permet de mordre la vie à pleines dents. “J’ai fait le deuil de la personne que j’étais sur mes deux jambes. Bizarrement, je ne me vois pas revenir en arrière. Ce sont deux personnes totalement différentes; aujourd’hui, je perçois la vie complètement différemment. J’ai pu faire un simulateur de chute libre, un saut en parachute… Dernièrement, je suis montée à moto avec mon compagnon. Je me dis que la vie, il faut la vivre, sans se mettre de barrières. Dès que je peux, je fonce, je ne veux pas avancer avec des regrets”. Et sa chaise roulante ne sera un frein à rien.
Texte: Caroline Beauvois
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