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"L'alcoolisme, c'est la maladie des émotions", nous confie Clarisse, 28 ans… © Getty Images

Alcoolisme au féminin: comment s’en sortir?

Les femmes sont moins nombreuses que les hommes à présenter une “consommation problématique d’alcool”: 4%, selon Sciensano, contre 7,4% au masculin. Mais la maladie est-elle différente chez les femmes? Expertes et témoins nous racontent.

Dans notre société, l’alcool est partout. Mais quand passons-nous du plaisir à l’addiction? “Lorsque les cinq C de l’addiction sont réunis, précise Mélanie Gillis, psychologue spécialisée en alcoologie au CHU de Liège. On perd le Contrôle de sa consommation, qui devient une véritable Compulsion, au point qu’on éprouve une envie irrépressible de consommer, ou Craving, ce qui entraîne un usage Continu, malgré les Conséquences négatives possibles”.

Dépendance physique

Pour en arriver là, il faut évidemment consommer. “Certains le font pour des raisons psychologiques, explique Mélanie Gillis. Lorsqu’ils sont en colère, stressés, en proie à des émotions intenses, positives ou négatives, ils vont avoir besoin de boire un verre pour masquer ou anesthésier ce phénomène. Pour d’autres, le déclencheur est plutôt comportemental: la consommation d’alcool est une habitude qui fait partie de leur quotidien, ils boivent toujours aux mêmes heures et dans les mêmes conditions. Mais, dans les deux cas, un usage prolongé de l’alcool peut provoquer une tolérance ou neuroadaptation, qui oblige la personne à augmenter la quantité consommée pour obtenir les mêmes effets… D’où un état de dépendance physique, qui entraîne, à l’arrêt, des symptômes de sevrage. Symptômes qu’on diminue en consommant davantage, passant d’une consommation plaisir à une consommation destinée à diminuer le déplaisir”.

D’abord, le goût du sucre

Laurence Cottet, autrice française, est une ex-alcoolique devenue patiente-experte en addictologie. Chez elle, ce sont les émotions qui ont favorisé la première rencontre avec l’alcool. “J’avais à peine 7 ans. J’appartenais à une famille dysfonctionnelle, avec un père dépressif et une mère complètement immature. J’étais grosse, mal dans ma peau, en mal d’amour et de tendresse, mais j’ai découvert, en vidant les fonds de verres de mes parents, que le Cointreau, si merveilleusement sucré, me soulageait… Au fond, je suis arrivée à l’alcool par le sucre”.

Forte de cette expérience enfantine, Laurence commence à flirter avec la maladie alcoolique, à son insu, dès l’âge de 15 ans. “À la fin des secondaires, puis à l’université, entre copains, on se prenait des bitures tous les week-ends et parfois en semaine, de 19h à 5 h du matin”.

Vodka et genièvre

Son diplôme de juriste en poche, elle démarre une carrière dans le secteur des BTP (Bâtiments et Travaux publics), “qui est un des secteurs les plus sinistrés par l’alcool. Repas d’affaires, séminaires, voyages professionnels: je carbure à la vodka orange, parce que la vodka est l’alcool qui parfume le moins l’haleine”. Mélanie Gillis connaît ce phénomène: “Les femmes apprécient les alcools inodores, souligne-t-elle. La vodka et, en Belgique, le genièvre. Car, si certaines femmes s’affirment par la consommation d’alcool – je suis une femme forte, je sais boire comme un homme – beaucoup préfèrent la cacher. Sans compter toutes celles qui boivent parce qu’elles subissent ou ont subi des violences conjugales ou des abus sexuels”.

Si la société est relativement tolérante envers un homme qui boit, elle méprise la femme alcoolique

Mais une chose est sûre: chez la plupart des femmes, la fonction de l’alcool n’est pas la même que chez les hommes. “Confrontées par la société à des injonctions liées à leur identité de genre, les femmes abordent l’alcool comme une tentative de solution dans un quotidien difficile”. “C’est exactement ce que m’a dit ma psychiatre quand j’ai décidé d’arrêter de boire, confirme Laurence Cottet. Et de comprendre cela m’a réconciliée avec moi-même: j’ai cessé de culpabiliser”.

Mais auparavant, elle a vécu le pire et le meilleur jour de sa vie: “J’avais franchi la ligne rouge après la mort de mon mari, emporté en quelques semaines par un cancer fulgurant. À 36 ans, je buvais dès le matin et j’emmenais de la vodka au bureau dans une bouteille de jus d’orange, mais j’étais persuadée de réussir à donner le change. Jusqu’au 23 janvier 2009, à 12 h 30, lorsque je m’effondre ivre morte à la cérémonie des vœux de mon entreprise. Je suis par terre, incapable de me relever, et, pendant un laps de temps qui me paraît terriblement long, personne ne vient à mon secours”.

À l’aide!

Ce jour-là, Laurence a tout perdu: sa dignité, son emploi et ses illusions sur elle-même. “C’est une maladie de la honte, constate Mélanie Gillis, pour les femmes encore plus que pour les hommes, parce que le poids sociétal est différent: si la société est relativement tolérante envers un homme qui boit, elle juge et méprise la femme alcoolique. C’est là qu’il est important de rappeler que l’alcoolisme est une maladie, et une maladie chronique. On n’est pas responsable d’avoir développé une dépendance, mais on est responsable de se prendre en charge. Si on n’a pas envie d’en parler à son médecin traitant, on peut consulter un alcoologue. Ou se faire accompagner en ligne, de manière anonyme, sur un site comme Aide Alcool. Mais il est impératif de chercher de l’aide”.

Arrêter de boire, c’est avant tout retrouver une forme de liberté

Laurence a alors le déclic qui changera sa vie. “Soit je me suicidais, soit je vidais mes réserves d’alcool dans l’évier et je me faisais soigner. Je ne me suis pas suicidée”. Suivie par un addictologue et une psychiatre, elle fréquente aussi les Alcooliques Anonymes. “Sauf que moi, je ne voulais pas rester anonyme. Je voulais crier haut et fort ‘Je ne bois plus!’. Elle se met à écrire, témoigne à visage découvert, retourne à l’université pour acquérir un diplôme en pratiques addictives… “J’ai réussi à donner un autre sens à ma vie en me consacrant à cette cause. Je suis présidente de l’association Addict’elles, exclusivement dédiées aux femmes qui ont des addictions, et en particulier aux alcooliques. Et j’ai été appelée comme consultante sur le tournage d’un film consacré à ce problème, Des jours meilleurs, d’Elsa Bennett et Hippolyte Dard, qui sortira cette année”.

Quand je veux?

Même si Laurence, 62 ans aujourd’hui, s’épanouit dans une “abstinence heureuse”, elle sait que, par rapport à l’alcool, le mot ‘guérison’ a un sens particulier. “Le sevrage, c’est une sorte de sprint, mais l’abstinence, c’est un marathon, résume Mélanie Gillis. Il faut tenir sur le long terme, et, même au bout de dix ans, une rechute est possible. Mais il ne faut ni la dramatiser, ni culpabiliser: on apprend de ses rechutes. Et arrêter de boire, c’est avant tout retrouver une forme de liberté”. Une liberté que beaucoup d’alcooliques dans le déni ont déjà perdue sans le savoir. “À ceux qui me disent ‘J’arrête quand je veux’, je propose de tenter l’expérience du mois sans alcool. C’est extrêmement révélateur!”. Ça vous donnera peut-être envie, pour le reste de l’année, d’inventer vos propres défis. “Ne pas boire d’alcool 2 ou 3 jours par semaine, suggère Mélanie Gillis, ou planifier des semaines ‘sans’. En plus de prendre mieux conscience de votre consommation, vous ferez une fleur à votre foie”.


Vos témoignages sur le sujet

Virginie: “Ma mère a cessé de boire après moi”

Virginie, 40 ans: “L’alcool, je savais ce que c’était. Ma maman buvait depuis ses 17 ans et, quand elle était saoule, elle me tapait dessus. Et pourtant, quand j’ai bu ma première bière, à 13 ans, ça m’a fait le même effet que la potion magique dans Astérix. Seulement, contrairement à mes copains, une fois que j’avais pris le premier verre, je ne parvenais plus à m’arrêter. Je ne sais pas ce que je serais devenue si je n’avais pas rencontré mon compagnon, qui m’a portée à bout de bras jusqu’à la fin mes études. Lorsque j’ai commencé à travailler, les choses ont empiré. Tout était devenu prétexte à boire. Ma vie était un fiasco, mais je refusais de l’admettre. J’ai proposé à mon compagnon de faire un bébé, mais il m’a répondu: ‘Pas avec quelqu’un qui picole’. Alors j’ai mis mon orgueil dans ma poche, j’ai accepté que j’étais alcoolique et je suis allée à une réunion des AA. Depuis, j’ai eu un garçon, qui va avoir 8 ans. Et ma mère, à ma grande surprise, a suivi mon exemple deux ans après”.

Clarisse: “L’alcoolisme, c’est la maladie des émotions”

Clarisse, 28 ans: “À 15 ans, j’allais boire une bière avec des amis en sortant de l’école et ça me rendait extravertie, marrante. À la fin de mes secondaires, j’ai dû prendre un boulot sans intérêt. Je me suis vite demandé si j’allais devoir faire ça toute ma vie. Comme je ne pouvais plus sortir comme avant, je me suis mise à me saouler seule chez moi. Je n’avais plus d’amis, parce que je n’étais plus drôle du tout. Je noyais ma dépression dans le vin blanc. J’ai fait deux tentatives de suicide. Et là, je me suis dit qu’il était temps d’arrêter les conneries. J’ai intégré une réunion des AA, et j’ai compris que, si je buvais, c’était par peur d’affronter la vie. ‘’alcoolisme, c’est la maladie des émotions: les grandes joies, les grandes peines, j’avais tendance à les noyer au lieu de les affronter. Aujourd’hui, j’ai un appart et un travail qui me plaît. Je suis devenue une meilleure version de moi-même”.

Jess: “Je croyais que j’avais réussi à protéger mes filles”

Jess, 50 ans: “Je viens d’une famille où on buvait beaucoup. J’ai arrêté mes études pour travailler dans un bar: pour moi, l’alcool faisait partie de la vie. Et puis j’ai appris que j’avais une hépatite C et ça m’a donné envie de vivre. À 23 ans, du jour au lendemain, j’ai arrêté de boire, j’ai passé le jury central, entamé des études d’ingénieur, fait deux filles… Mais pendant ces sept ans où je n’ai rien bu, je n’ai pensé qu’à l’alcool. Quand mon compagnon et moi nous sommes séparés, ça m’a rendu, à 31 ans, la liberté de boire. Sauf que, bientôt, je n’ai plus pu m’en empêcher, même la semaine où j’avais mes filles. J’étais si désespérée que j’ai fini par m’enfermer dans ma chambre pour me sevrer, seule, en huit jours. Puis je suis allée à une réunion des AA qui m’a transformée. Aujourd’hui, après onze ans d’abstinence, mes filles sont proches de moi. Je croyais que j’avais réussi à les protéger, mais la maladie alcoolique m’a trompée. Mon aînée m’a appris que, souvent, il n’y avait rien dans le frigo et qu’il m’était arrivé d’être violente avec elles. C’est mon plus grand regret”.

Test: avez-vous un problème avec l’alcool?
Pour faire le point sur votre consommation, surfez sur vidal.fr et complétez le questionnaire AUDIT (Alcohol Use Disorders Identification Test).

Pour aller plus loin:

Les sites à consulter

Les livres à acheter/emprunter

  • Non! J’ai arrêté, Laurence Cottet, InterÉditions Poche, 2023
  • Journal d’une polyaddict libérée, Sandra Pinel, Éd. Eyrolles, 2023
  • Jour Zéro, Stéphanie Braquehais, Éd. L’Iconoclaste, 2021

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