Affaire Pelicot
Un procès-fleuve qui met en lumière la notion de consentement, mais aussi le problème de soumission chimique. © Getty Images

Affaire Pelicot: “Ma mère a été violée sous soumission chimique”

Par Justine Leupe

Le procès des violeurs de Mazan se tiendra jusqu’au 20 décembre. Un procès-fleuve qui met en lumière la notion de consentement, mais aussi de soumission chimique. On a lu Et j’ai cessé de t’appeler papa, le livre de Caroline Darian, fille de Gisèle Pelicot.

En septembre 2020, Dominique Pelicot est pris en flagrant délit en train de filmer sous les jupes de trois femmes dans un supermarché. Elles portent plainte, il est arrêté, mis en garde à vue et relâché. Mais derrière ces images se cache l’impensable… La police perquisitionne son portable, ses cartes SIM, une caméra et un ordinateur. On y découvre des vidéos de sa femme, Gisèle Pelicot, inerte, violée par 73 hommes, dont son (désormais ex-) mari. Dans Et j’ai cessé de t’appeler papa, publié en avril 2022, Caroline Darian cite un policier: “Nous en avons identifié une cinquantaine. Ils ont de 22 à 71 ans, de toutes les catégories sociales: étudiants, retraités, même un journaliste. Votre père organisait, photographiait et filmait tous les actes. J’ai moi-même eu beaucoup de mal à regarder toutes les vidéos”. Ces agressions sexuelles remontent au minimum à septembre 2013, date des premiers clichés retrouvés.

Le lundi 2 novembre 2020, Dominique Pelicot est incarcéré.

L’incompréhension et l’impensable

Ce jour-là, Caroline Darian est dévastée en entendant sa mère: “Ton père me droguait avec des somnifères et des anxiolytiques. (…) Il conviait des hommes à la maison lorsque j’étais inconsciente dans notre chambre. J’ai vu plusieurs clichés de moi. Endormie, allongée sur le ventre et sur mon lit, avec des hommes différents à chaque fois, tous des inconnus”. Accablée, le souffle court, en colère, effondrée, Caroline se questionne sur cet individu qu’elle pensait être son père, aimant, protecteur et qui les a élevées, elle et ses deux frères. “As-tu toujours été détraqué? Et nous n’aurions rien vu? Peut-on passer à côté d’un père? Mais, qui es-tu, en fait?”.

Des absences pas si anodines

Petit à petit, les pièces du puzzle se rassemblent et des faits troublants font sens. La victime avait des absences, elle s’endormait subitement à table, elle avait des pertes de mémoire… Aucun médecin ou spécialiste n’avait réussi à mettre le doigt sur le problème. Les justifications étaient floues: surmenage, mécanisme de décompensation… “Curieusement, ces absences ne se produisaient jamais chez moi ni chez mes frères, seulement lorsqu’elle était dans sa maison, avec lui”, écrit Caroline Darian.

Mon père avait dissimulé les médicaments dans le garage, dans une de ses chaussures de randonnée

Durant huit ans, l’accusé a administré à son épouse un mélange de Lorazépam (une molécule anxiolytique connue sous le nom de Temesta) et de Zolpidem, un somnifère prescrit en cas d’insomnies sévères passagères, dans son café et/ou son verre de vin le soir. “Mon père avait dissimulé les médicaments dans le garage, dans une de ses chaussures de randonnée, sous une chaussette de tennis”. Cette soumission chimique altère le discernement et le contrôle de la victime.

Une santé en péril

Au-delà des absences, Gisèle Pelicot a également été victime de soucis gynécologiques. Caroline Darian s’en était inquiétée il y a plusieurs années, craignant un problème de santé grave. Sa mère a eu des pertes de sang abondantes et injustifiées pour une femme ménopausée. Le gynécologue vu en urgence n’a rien décelé et prescrit un traitement antifongique. Le col de l’utérus était enflammé, mais les investigations s’étaient arrêtées là.

Fin 2020, les tests ont révélé que la victime avait contracté 4 MST, dont le papillomavirus. “Elle devra donc faire un dépistage préventif annuel. C’est un moindre mal quand on repense à la centaine de viols subis au cours des dix dernières années. Le dernier viol remonte au 22 octobre 2020. Ma cousine, médecin généraliste, a décidé de la mettre sous antibiotiques et d’opter pour un suivi gynécologique rapproché. Ma mère n’a été reçue que le 19 décembre 2020 par l’Unité Médico-Judiciaire de Versailles pour une série d’examens. Ils ont servi à documenter son expertise médicale et gynécologique complète”.

L’avalanche, toujours plus sordide

Caroline Darian est convoquée le 3 novembre 2020 pour visionner deux photos. “Sur le premier cliché devant moi, je vois une jeune femme aux cheveux châtain foncé coupés au carré, allongée sur un lit, positionnée sur le côté gauche. C’est la nuit, mais on distingue une lumière artificielle, celle de la lampe de chevet. Elle porte une veste blanche de pyjama chaud et une culotte beige. La couette est relevée sur le côté droit, de façon à voir ses fesses en gros plan. Elle dort”. Le deuxième cliché est semblable.

L’expertise psychiatrique de mon père atteste d’une déviance axée sur le voyeurisme

Caroline Darian ne se reconnaît pas, jusqu’au moment où une tache brune sur la joue droite lui fait prendre conscience que c’est bien elle. “L’expertise psychiatrique de votre père, réalisée lors de sa première interpellation en septembre 2020, a mis en évidence une déviance axée sur le voyeurisme”, détaille l’un des policiers. Le doute plane, a-t-elle été victime de soumission chimique? D’abus? Aucune réponse n’est donnée à ce jour, hormis celle de son géniteur qui se défend de n’avoir “que” capté ces images.

Scénarios similaires pour ses deux belles-sœurs. “Elles ont été photographiées nues, à leur insu, lors de certains de nos rassemblements familiaux. À leur domicile, ou bien chez mes parents, mon père avait installé des systèmes de prises de vue qui fonctionnent en rafale, dans la salle de bain et les chambres à coucher. (…) Aucune femme de notre famille n’a été épargnée”.

Gisèle Pelicot, en septembre 2024, au procès de violeurs de Mazan. © Getty Images

Ensemble contre l’agresseur

La famille s’est désunie de l’agresseur, mais aussi de certains proches, par moments. Il est arrivé à Caroline de prendre ses distances vis-à-vis de sa mère, toujours sous l’emprise de son père, même en prison. Elle a pu être agacée du déni dans lequel cette dernière était plongée, mais pour une courte durée, car l’union est la plus grande force de cette famille qui se reconstruit. Il a aussi fallu expliquer aux enfants pourquoi Papou n’était plus présent lors des réunions de famille. C’est l’équilibre de tous qui vacille. Comme le dit Caroline Darian: “Personne ne mesure le prix du banal tant qu’on ne l’a pas perdu”.

Les épreuves s’additionnent: les faits sordides, les doutes, les prises de conscience… Plusieurs fois, Caroline perd pied, se relève, se bat, encore et encore, pour toutes les victimes de soumission chimique et pour que le consentement soit au centre des relations. Elle se bat pour sa mère, pour elle, pour sa famille et pour toutes les femmes.

Sur le sujet
– Le livre de Caroline Darian: Et j’ai cessé de t’appeler papa. Quand la soumission chimique frappe une famille, aux Éd. JC Lattès
– L’ASBL qu’elle a créée: #MendorsPas – Stop Soumission Chimique

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