Mon enfant est harcelé… Comment réagir?
Le harcèlement peut prendre différentes formes (verbale, corporelle, matériel, relationnel ou virtuel), mais il se différencie surtout des autres faits de violence par trois caractéristiques: l’intention de nuire, la répétition et la “disproportion des forces”, c’est-à-dire qu’il installe clairement une relation de dominant/dominé.
Il y a un ou des harceleurs, une ou des victimes et la sphère des témoins. C’est une forme de violence invisible, souvent cachée aux adultes et tue par les victimes. Bruno Humbeek, psychopédagogue et auteur de nombreux livres sur le harcèlement à l’école, nous en parle: “Il y a un sentiment d’impuissance vécu par la victime, et une situation qui concerne un groupe. Si votre fille vit une relation d’amitié toxique et persécutante avec une autre fille de sa classe par exemple, il y a souffrance mais ce n’est pas du harcèlement. Il doit y avoir une prise en charge, mais les solutions ne seront pas les mêmes pour chaque cas de figure.”
Comprendre la soif de “popularité”
Etre populaire, c’est faire partie des leaders d’un groupe, être admiré par ses pairs. Pour Emmanuelle Piquet, psycho-praticienne et auteur de “Te laisse pas faire” et de “Je me défends contre le harcèlement”, les choses sont claires: “ce besoin farouche de popularité est un ingrédient majeur pour comprendre le harcèlement. Le harceleur est en recherche constante de popularité et une façon d’y parvenir est de rigoler aux dépens d’une victime. On ne mesure pas nous, adulte, à quel point le fait de ne pas être populaire peut être angoissant pour les jeunes aujourd’hui. C’est devenu une question de survie psychique: je reçois des gamins terrorisés à l’idée qu’un jour, on ne mange pas avec eux à la cantine!”
Détecter les signaux
Les signes auxquels il faut être attentive: les troubles du sommeil, l’irritabilité, le repli sur soi, le changement radical de comportement, l’anxiété ou la colère, des maux de ventre, de l’eczéma, une chute des résultats scolaires, de l’absentéisme voire une phobie scolaire, de l’insolence. “Evidemment, il ne faut pas être à l’affût de la moindre émotion négative de son enfant mais voir si elle s’installe dans la durée”, précise Bruno Van Humbeek.
Briser le silence
“La plupart du temps, la victime garde le silence parce qu’elle a peur”, explique Emmanuelle Piquet. “La peur physique d’être brutalisé, la peur que la situation empire si on en parle, la peur d’avoir honte, d’être seul, la peur de devoir supporter l’inquiétude, voire la souffrance de ses parents…” L’enfant connaît les “codes de la cour de récré” et sait qu’il risque des représailles.
Pour le tranquilliser et déclencher la parole, Emmanuelle Piquet suggère un discours comme celui-ci: “J’ai l’impression que c’est très dur pour toi en ce moment à l’école, peut-être avec les autres. Je comprends que tu n’aies pas envie d’en parler parce que nous autres les adultes on est parfois fort maladroits dans ce genre de situation. Sache simplement que si tu m’en parles, je ne ferai rien avec lequel tu ne sois pas strictement d’accord.”
Contenir sa peine… et ne pas paniquer
Pas facile de rester stoïque face à une parole qui se libère, face à une souffrance qui s’exprime en raison d’actes brutaux et humiliants à l’encontre de son enfant. Recevoir cette souffrance, partager la tristesse, oui, mais ce qui importe, pour Bruno Humbeek, “c’est de ne pas ajouter sa propre peine sur les épaules de son enfant, réussir à contenir sa propre souffrance et ne pas s’effondrer. Au contraire, lui montrer qu’on va faire en sorte que cela s’arrête, qu’il y a des moyens pour y parvenir, qu’on n’est pas impuissant.” Et si c’est trop difficile, lui trouver un interlocuteur adulte à qui il puisse parler (centre PMS, direction de l’école, psychologue, Service d’Aide en Milieu Ouvert…).
Lui apprendre à se défendre
Emmanuelle Piquet s’est spécialisée dans la prise en charge en thérapie brève des victimes de harcèlement depuis 10 ans. Son expérience de terrain en résolution de conflit prouve l’importance d’accompagner les harcelés pour qu’ils trouvent avant tout en eux les ressources pour se faire respecter. Son parti pris: “Aujourd’hui on travaille avec ceux qui font souffrir les autres, on leur fait la morale, on les sanctionne, on organise de la prévention. Il faut aussi faire un travail avec les victimes pour voir avec elles comment faire si il y a une prochaine fois. La plupart du temps, trouver avec lui une réplique (une ‘flèche de résistance’, NDLR) qui fera tomber le harceleur de son piédestal devant ses pairs sera le plus efficace.”
Alerter l’école
Votre rôle est de tenir la direction ou le PMS de l’école au courant de la souffrance de votre enfant. Souvent, face à l’horreur de la situation, les parents veulent obtenir justice, dénoncer et faire punir les malfaiteurs, et arrivent face à la direction avec un diagnostic tout fait.
“C’est primordial de ne pas agresser l’école de plein fouet en ’portant plainte’ contre un coupable”, explique Bruno Humbeek. “Cela sclérose la situation parce qu’en général, le harcèlement concerne un ensemble de personnes et parfois même toute une classe. Le rôle du parent est de révéler l’état de souffrance de son enfant pour qu’il puisse être entendu, en ouvrant les solutions, en se demandant ce qu’on peut faire… C’est plus constructif. Aujourd’hui, les écoles ont des outils et des techniques à leur disposition pour gérer le harcèlement, des aides existent, et le parent peut suggérer des pistes.”
Et si l’école ne bouge pas? “Il faut savoir qu’il y a énormément de partenaires extérieurs à l’école, chargés de l’interface, comme les centres PMS, les AMO… Ce sont ces structures-là qui permettent d’activer l’école. On arrive de plus en plus à faire réagir l’école à partir de la demande d’un parent informé, qui sait où trouver les aides. Je suis contacté par des parents qui voudraient mettre en place des espaces de parole au sein de l’école de leur enfant, et je n’ai encore jamais eu de direction qui me dit ‘On ne veut rien faire!’”
Et le cyberharcèlement?
Bruno Humbeek explique: “Ce n’est pas une autre forme de harcèlement, c’est une caisse de résonnance qui concerne un groupe réel et qui amplifie le phénomène. C’est très virulent, c’est dangereux, ça va très vite, mais il faut agir de la même façon: contacter l’école et travailler sur le groupe réel. Les enfants concernés par le cyberharcèlement appartiennent au moins à la même école, et souvent à la même classe. L’école est donc concernée.”
Une étude du Centre Jean Gol sur le cyberharcèlement (2017) confirme cet effet d’amplification, précisant que la difficulté, c’est que les acteurs (enfants, parents, école) ne sont pas encore suffisamment outillés pour cadrer l’utilisation des médias sociaux. L’hyperconnectivité des jeunes, l’absence de prise de conscience des conséquences de ce qu’ils font sur le Net, leur perception floue de la frontière entre vie privée et publique renforcent évidemment le phénomène. La Police Fédérale (via la Federal Computer Crime Unit, FCCU) et la police locale sont en charge de la prévention et de la gestion des plaintes.
Texte: Stéphanie Grosjean