Témoignage: “Mon enfant est polyhandicapé et je n’arrive pas à accepter mon quotidien”
Sarah est la maman de Marius, 3 ans et demi, qui souffre d’une maladie génétique rare le plongeant dans le polyhandicap. Elle nous raconte son quotidien, souvent éprouvant.
Cela aurait pu être une histoire comme les autres: celle d’un homme et d’une femme qui se rencontrent, s’aiment follement et décident un jour de faire un enfant. Mais pour Sarah et Thomas, devenir parents a fait basculer leur vie: Marius, leur premier fils, est né avec une maladie génétique appelée CDKL5: un trouble rare provoquant des crises d’épilepsie ainsi qu’un retard sévère du développement moteur et cognitif. Et si Sarah aime son petit Marius plus que tout, elle n’arrive pas encore à accepter son quotidien de maman d’enfant polyhandicapé, si intense et rythmé par les soins médicaux. Et ce, plus de deux après la découverte du trouble de son fils. Elle nous raconte son chemin vers l’acceptation, ses embûches et ses états d’âme.
Si lourd à porter
“Thomas et moi, ça a tout de suite été une évidence: on s’est aimés intensément. On sortait tous les deux d’une histoire compliquée et vivre cette évidence sentimentale a été un vrai bonheur. Très vite, les choses ont été concrètes entre nous. On a rapidement envisagé de devenir parents mais on voulait se laisser le temps de vivre des choses: on a voyagé, pris du temps pour nous construire et on a pas mal réfléchi au sens de la vie. Des années de pur bonheur. Puis un jour, on s’est dit que c’était le bon moment pour avoir un bébé. On le voulait vraiment tous les deux. Non pas pour combler quoi que ce soit, mais pour partager notre amour”.
La grossesse se passe presque sans encombres, si ce n’est un petit déficit placentaire l’obligeant à accoucher un peu à l’avance. L’accouchement se déroule à merveille: Marius est un petit garçon en parfaite santé.
3 mois de bonheur, et puis…
Les jeunes parents rentrent chez eux, fatigués mais heureux. Marius grandit bien et le couple se projette dans cette nouvelle vie à trois: “On s’imaginait faire plein de choses avec Marius: on voulait voyager avec lui, lui faire découvrir le monde”, nous confie Sarah. Mais le 31 juillet 2019, tout bascule: “Alors qu’on dormait en cododo tous les deux, je sens que Marius a quelques ‘secousses’… C’est étrange et difficile à expliquer autrement. Cette sensation m’alerte directement, d’autant que mon bébé a l’air épuisé après. L’après-midi, il était prévu que Marius soit gardé par ma belle-mère… Je suis inquiète et lui explique pourquoi. Elle me dit qu’elle sera vigilante”.
Sarah part quelques heures, stressée par ce qui vient de se passer mais aussi impatiente à l’idée de reprendre une vie active – elle est prof de danse – et de revoir ses élèves. Le soir, en allant chercher son fils, elle comprend au regard de sa belle-mère que quelque chose ne tourne pas rond: “Elle m’a dit que Marius avait refait des secousses. Je suis partie tout de suite aux urgences”. Marius est hospitalisé, un scanner est réalisé. Cet examen ne révèle rien, mais le petit est gardé en observation. Le lendemain, il fera pas moins de sept crises de tremblements, que le pédiatre définit comme de l’épilepsie… “C’est le début de l’horreur pour nous”.
D’examens en examens
La jeune maman est inquiète, mais veut garder espoir: “Au début, on nous a dit que ces crises pouvaient provenir de différentes choses, sans qu’on ne puisse encore dire de quoi. Je me rassurais en me disant ‘ça va aller’, ‘ça va passer’. Je ne voulais – ou ne pouvais – pas encore réaliser la gravité de notre situation”.
Marius fait d’autres examens médicaux. Des examens suite auxquels la famille consulte un neurologue pour adultes, qui se veut confiant: “Il nous a assuré que c’était bénin, et que ça allait disparaître comme c’était apparu… Sur le coup, on y a cru, nous étions vraiment soulagés!”. Mais l’équipe médicale se ravise et demande l’avis d’une neuropédiatre qui place Marius aux soins intensifs et sous médicaments, dans le but de stopper ses crises. Elle demande aussi aux parents de passer des tests génétiques. “Au bout de quelques jours, nous sommes sortis de l’hôpital, complètement déboussolés et sans que Marius ne soit vraiment stabilisé niveau crises d’épilepsie. On a dû attendre les résultats des tests génétiques, qui ont pris plusieurs mois à arriver”.
Verdict sans appel: Marius a une maladie génétique
Un jour, la neuropédiatre contacte Sarah pour évoquer des résultats: “Au son de sa voix et à la manière avec laquelle elle nous a demandé de nous rendre à son cabinet, j’ai su que ce dont souffrait Marius était grave”. La neuro confirme leurs inquiétudes: Marius souffre d’un trouble génétique rare et très grave, le CDKL5. “C’est une mutation génétique dite ‘spontanée’: un code mal recopié par le corps de Marius qui lui est propre mais dont ni Thomas ni moi ne sommes porteurs”. Et cette ‘mutation’ a de lourdes conséquences: “crises d’épilepsie, troubles importants du sommeil, gros retard moteur et neurologique qui implique une absence quasi-totale d’autonomie. En gros, Marius ne parlera jamais, ne marchera jamais et ne se nourrira jamais seul”.
L’enfer sous nos pieds
Pour le couple, l’annonce est un choc intense: “C’est vraiment l’enfer qui s’est ouvert sous nos pieds. Nous n’étions pas préparés à ce diagnostic, à ce choc… Toute notre vie a été remise en question, nos projets balayés, notre quotidien bouleversé”. En sortant de chez la neuropédiatre, Sarah se sent vide et ne souhaite qu’une chose: serrer son fils dans ses bras. Elle le retrouve chez sa maman et s’effondre. Les jours qui suivent, la maman dort peu et fait beaucoup de recherches sur la maladie de Marius. Son objectif: lutter contre ce trouble. Si seulement…
Un quotidien hyper médicalisé
Après le diagnostic, c’est toute une machine qui s’enclenche: mise en place de séances de kiné et de multiples thérapies pour stimuler Marius, de traitements médicamenteux et d’un suivi neurologique omniprésent… Le nouveau quotidien des jeunes parents est lourd et très médicalisé. “On a tout fait pour que Marius bénéficie de tous les soins possibles. En fait, on bascule dans une vie inconnue où on devient des aidants et notre charge mentale explose, littéralement”.
On bascule dans une vie inconnue où on devient des aidants et notre charge mentale explose…
Sarah a du mal à porter cette réalité sur ses épaules, mais elle tient bon. Son boulot devient sa bouffée d’oxygène, le lieu où elle peut se libérer de la pression. Pendant quelques mois, la jeune maman arrive à trouver un certain équilibre… que le confinement viendra balayer.
Le confinement qui met face à la maladie
En mars 2020, l’Europe entière se confine pour endiguer la pandémie de Covid-19. Sarah et Thomas se retrouvent 24 heures sur 24 avec leur fils et sa maladie, sans aide ni relais possibles. Une réalité qui plonge la maman de 33 ans dans la dépression: “Être constamment confrontée à la maladie a été insoutenable pour moi: j’ai compris que se battre contre ce trouble était peine perdue, et je croulais sous le poids de mon rôle de maman aidante. Ma vie me semblait n’avoir aucun sens, elle ne m’intéressait absolument plus… J’ai sombré dans un mal-être très profond”.
Les confinements à répétition ne l’aident pas à sortir la tête hors de l’eau. Son mari tente de l’aider à se relever, mais il comprend rapidement que c’est à sa femme de remonter la pente.
Les réseaux comme bouée de sauvetage
La jeune femme décide alors de retourner sur les réseaux sociaux, qu’elle avait pourtant désertés dès les premières crises de Marius: “Voir des enfants en pleine santé gambader et les clichés des familles parfaites, c’était trop difficile pour moi, alors que ma maternité était secouée par la maladie. Mais pendant ma période de déprime, j’ai ressenti l’envie d’y retourner pour chercher des comptes de mamans qui, comme moi, vivaient avec un enfant en situation de handicap”.
Sur Instagram, Sarah ne trouve que des comptes de mamans – souvent Américaines – semblant totalement épanouies avec leur enfant polyhandicapé. Elle ne s’y retrouve pas: “Cette situation avait l’air de les enchanter alors que moi, je la vivais vraiment mal et je n’arrivais pas à accepter mon quotidien. Tout d’abord, je me suis demandé si ce n’était pas moi qui avais un problème… Ensuite, je me suis dit que j’allais montrer ma propre réalité sur les réseaux, et trouver des mamans qui vivaient les choses de la même manière que moi”.
Un coup dans la fourmilière
Elle crée un compte – “Le chemin de Sarah” – sur lequel elle partage ses états d’âme et ses difficultés de parent d’un enfant polyhandicapé. Et, très vite, entre en contact avec des mamans vivant le même quotidien qu’elle et expérimentant les mêmes ressentis. Une délivrance: avec le temps, se crée alors une communauté bienveillante, auprès de laquelle Sarah peut parler librement et se sentir comprise. “Ensemble, on se sent plus légitime de trouver ça difficile, on s’écoute, on s’épaule et on met un grand coup dans la fourmilière de la positivité toxique, ces gens qui n’arrêtent pas de nous dire que ‘ça va aller’. Parce que non, ça ne va pas aller. Quand on est parent d’un enfant polyhandicapé, le quotidien est vraiment dur”.
Isaac, un bébé en pleine santé
Grâce aux réseaux sociaux, Sarah chemine, petit à petit, vers la résilience: “J’essaie d’accepter que Marius ne marchera jamais, ne parlera jamais et aura toujours besoin de nous. Le chemin est vraiment long, mais j’essaie. Je déconstruis chaque jour mes attentes le concernant, mes envies, mes projets… Je ne sais pas si j’y arriverai, mais j’essaie de toutes mes forces d’accepter la situation telle qu’elle est”.
Isaac nous offre un cadeau merveilleux: celui d’être juste ses parents
Depuis mars 2022, Sarah et Thomas ont accueilli leur deuxième enfant. Un bébé en pleine santé qui offre aux jeunes parents une vision plus légère et normale de la parentalité: “Isaac n’a pas ce trouble (des tests ont été réalisés pendant la grossesse, ndlr) et il nous offre un cadeau merveilleux: celui d’être juste ses parents. Ça peut paraître idiot pour des parents d’enfants en pleine santé mais pour nous, c’est un cadeau extraordinaire: on voit notre deuxième enfant grandir, évoluer et on est émerveillés. Isaac fait vraiment la balance et nous aide à trouver la lumière dans notre quotidien complexe et surchargé de parents d’un enfant polyhandicapé. Il n’a pas pour mission de nous sauver, mais il nous permet de voir la vie avec plus de légèreté”.
Et aujourd’hui?
Sarah a pour objectif de trouver l’apaisement en composant avec la maladie de son aîné sans que celle-ci ne prenne toute la place: “Je vais essayer de composer avec le polyhandicap. J’ai envie de revivre à nouveau des moments de légèreté, de refaire des projets, de m’occuper de Marius et d’aider Isaac à s’épanouir dans notre famille différente… En quelque sorte, de retrouver la lumière”.
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