Témoignages: “La santé mentale de mon ado est lourdement impactée par la crise sanitaire”
La crise sanitaire qui s’éternise met en péril la santé des jeunes Belges et les chiffres de dépression chez les plus de 13 ans n’ont jamais été aussi élevés.
Les adolescents sont-ils les oubliés de cette pandémie? C’est ce que pensent nombre de spécialistes de la santé mentale, qui voient affluer dans leurs cabinets des familles au bout du rouleau et des jeunes déprimés par les interdictions répétées. Si elles sont prises pour endiguer la propagation du coronavirus, ces mesures réduisent la vie sociale des jeunes à peau de chagrin. Conséquence: leur moral est au plus bas, ils sont en proie aux crises d’angoisse et parfois, aux idées noires. Une situation qui inquiète les spécialistes, mais aussi – et surtout – les parents, voyant la crise s’éterniser et leurs adolescents dépérir un peu plus chaque jour.
Les jeunes vont de plus en plus mal
Nous avons interviewé trois mamans et une psychologue afin qu’elles tirent un portrait détaillé de l’état psychologique des jeunes en cette période particulière. “On constate que 80% des jeunes souffrent actuellement d’anxiété et de troubles affectant leur santé mentale”, explique Amandine Vanderhaeghe, psychologue indépendante dans le Brabant wallon. Et de préciser: “Dans ces 80% d’ados en souffrance, un peu plus de 20% ont développé une réelle dépression. Des chiffres interpellants qui sont en lien direct avec la crise sanitaire et les mesures d’éloignement social, contraires aux besoins fondamentaux des jeunes. En réalité, ils vont de plus en plus mal à mesure que la situation s’éternise”. Et la spécialiste n’est pas la seule à tirer la sonnette d’alarme…
Delphine, maman de deux adolescentes, est inquiète pour leur bien-être: “Mon aînée a 18 ans. Elle a entamé sa rentrée universitaire ‘en distanciel’ comme on dit, en octobre dernier. Déjà qu’elle n’a pas pu fêter ses 18 ans l’année dernière, qu’elle a vu son voyage de rétho annulé ainsi que son bal de fin d’année, la voilà obligée de vivre à l’aveugle sa première année d’études supérieures: elle ne rencontre personne, ne peut pas sortir, ni participer à des fêtes estudiantines. Elle s’accroche mais ce n’est pas simple… Quant à ma fille de 13 ans, c’est plus compliqué: c’est une excellente élève mais depuis le premier confinement, elle a du mal à renouer des contacts sociaux et se renferme beaucoup. Sa détresse s’intensifie ces derniers mois et elle passe actuellement par des phases de scarification… Elle en est à un point où elle a demandé elle-même de se faire hospitaliser, car elle a des idées noires et craint pour sa vie. Bien sûr, nous la suivons: on va chez un pédopsychiatre, on fait des séances de sophrologie, de kinésiologie… Nous mettons tout ça en place dans l’espoir qu’elle aille mieux, mais c’est difficile”.
Angoisses, décrochage scolaire: les jeunes paient le prix fort
C’est aussi le cas de la fille de Karine, âgée de 18 ans: “Ma fille est partie étudier en septembre dernier à Edinburgh, en Écosse. Si ce projet lui tenait à cœur, elle a très mal vécu l’expatriation à cause du confinement: absolument aucun cours en présentiel, pas même au début. Aucune vie étudiante et un quotidien dans sa chambre et la cuisine – salon qu’elle partageait avec sept colocataires britanniques et chinois avec lesquels, heureusement, elle s’entendait très bien. Si c’était vivable en début d’année scolaire, la situation a vite tourné au drame: elle s’est laissée submerger par les crises de larmes et d’angoisse. Marre de passer ses journées à regarder des slides défiler sur son ordi, plus aucun intérêt pour ce qu’elle faisait alors que c’est une élève brillante et qu’elle a tout fait pour être admise au sein de l’université d’Edinburgh. Je l’ai sentie perdre pied doucement. Et puis, elle a attrapé le coronavirus. En plus de subir fièvre, courbatures, perte du goût et d’odorat, elle a dû vivre confinée, loin de chez nous. Son moral est devenu désastreux… Le nôtre aussi du coup. Raison pour laquelle on a décidé de la faire rapatrier. Je voulais être présente, la prendre dans mes bras, et qu’elle retrouve la chaleur du nid familial. Depuis, elle va un peu mieux, mais ne trouve que peu de sens à ses cours et ne peut même pas voir ses amis du fait du confinement et de ses restrictions”.
Une situation très difficile à vivre pour Karine et sa famille, qui ont l’impression de ne pas être prises en considération dans leur sensibilité face à la crise sanitaire: “Bien sûr, ce n’est pas la guerre: nos enfants ont à manger, un toit sur la tête, ils sont aimés et gâtés. Alors on essaie de prendre du recul, mais vraiment, ce n’est pas facile d’avoir entre 15 et 25 ans aujourd’hui. Quand je vois les commentaires moqueurs et désobligeants sur les réseaux sociaux, ceux qui disent ‘Oh ça va, c’est pas la mort. Les gosses sont trop gâtés, ils ne supportent pas la frustration’, ça me fait mal parce que je sais que ma fille souffre vraiment et que cela n’a rien à voir avec un petit problème de résistance à la frustration. Leur vie manque des autres mais aussi de sens, et il est temps que l’on s’en rende compte!”.
Julie est la maman de Mathéo, 13 ans. Elle confirme à quel point ce manque de vie extérieure met à mal l’équilibre mental de son ado: “Mon fils est en 3ème secondaire et il va à école en ‘présentiel’ un jour sur deux, dans des conditions compliquées vu les mesures. Il est judoka depuis ses 4 ans et ce sport est une passion pour lui: il allait à l’entraînement cinq fois par semaine et participait assidûment aux compétitions. Mais avec les restrictions actuelles, il se voit couper de tout ce qu’il aime: ses amis, son sport, ses activités extrascolaires… Cela le mine à tel point que même lui ne se reconnaît plus. Il déprime et est en décrochage scolaire, alors que c’est habituellement un bon élève… Leur vie manque de sens, c’est vraiment très difficile pour eux”.
Pourquoi c’est si difficile? L’avis de la psy
Manque de projets et de liens
Interviewée par téléphone, Amandine Vanderhaeghe nous explique que si les adolescents vont si mal, c’est notamment à cause du manque de projection à court terme: “La motivation des jeunes tient sur ce qu’ils programment au jour le jour… C’est leur manière de fonctionner. De plus, ils ont un besoin vital d’être en contact les uns avec les autres. Or ici, ils ne peuvent ni se voir ni rien organiser. Ils doivent rester presque 24 heures sur 24 avec leurs parents alors que c’est une période de leur vie où ils ont besoin de se détacher d’eux et de commencer à vivre leur vie. Tout cela génère du stress, des angoisses et un état de déprime. Les mesures sanitaires vont à l’encontre des besoins essentiels et de la manière de fonctionner des adolescents, raison pour laquelle les cas de dépression explosent.”
Manque d’intérêt pour les cours et surcharge de travail
L’école “virtuelle” est un autre problème de taille, puisqu’elle génère un important décrochage scolaire: “On observe de plus en plus d’ados en décrochage scolaire. Et c’est assez logique: avec l’école à la maison, les jeunes vivent à un autre rythme, ce qui les motive déjà moins. Sans les interactions avec les professeurs et les autres jeunes, l’école perd de son sens. Résultat: les ados ne voient pas d’intérêt aux matières qu’ils apprennent”.
La psychologue pointe aussi du doigt la surcharge de travail en distanciel ainsi que l’accumulation des évaluations lorsqu’ils sont en classe: “Les professeurs ne sont pas formés pour donner cours en visioconférence et ont tendance à donner plus de matière que lorsqu’ils enseignent en classe. Les jeunes sont submergés de boulot et cela les démotive davantage encore… Quand ils peuvent enfin suivre les cours en présentiel, les profs ‘profitent’ du moment pour les évaluer. Avec la crise, l’école a changé de visage et ne joue plus son rôle social… Elle n’est désormais plus que contrainte ou presque”.
Que faire face à un ado en proie à la déprime?
Pour l’experte, la structure familiale joue un rôle-clé dans le bien-être psychologique des jeunes. “On sait que l’adolescence est un moment crucial dans la vie d’un enfant: peu à peu, il se détache de ses parents pour vivre sa vie avec les ados de son âge. Ce qui amène les parents à lâcher leurs petits. Ici, c’est dans le cercle familial que l’adolescent devra trouver des stimulis positifs pour ne pas sombrer. En tant que parent, on doit donc être autant un moteur qu’une oreille attentive”.
Initier des moments fun
En cas de baisse de moral chez l’ado, Amandine Vanderhaeghe invite donc le ou les parents à mettre plusieurs rituels en place: “Je propose aux parents des ados que je vois en consultation de se concentrer sur la mise en place d’un petit bonheur par jour avec leur enfant, pour le sortir de son marasme, mais aussi pour que son cerveau puisse sécréter de la dopamine, une hormone qui crée un sentiment de bien-être chez l’être humain: lui proposer une balade, de cuisiner ensemble, de faire une séance de sport en famille ou une partie de jeux vidéo ou de société, de mettre la musique à fond et de danser… L’idée, c’est de déconnecter de l’école mais aussi de la situation générale, tout en étant dans l’action. Ce sont de petits gestes importants pour tenir le coup, puisqu’on va pouvoir lâcher prise et être davantage dans l’ici et maintenant”.
Structurer la journée
Deuxième conseil de la psychologue: structurer la journée de l’adolescent afin qu’il ait un maximum de repères. Un réveil à une heure correcte, une douche avant le début des cours à distance mais aussi une heure-clé après laquelle on ne travaille plus. “Cette technique permettra à l’ado de mieux cloisonner les différents aspects de sa journée, même si elle se déroule principalement à la maison”.
Une cure de vitamines
Certaines vitamines et autres compléments alimentaires peuvent avoir pour effet bénéfique de booster le moral et de lutter contre les émotions négatives et les états de déprime. Attention cependant: l’auto-médication est déconseillée. N’hésitez pas à prendre rendez-vous chez votre médecin traitant ou à demander conseil à votre pharmacien.
Les signes qui doivent inquiéter
Ces signes peuvent laisser penser que votre adolescent déprime:
- Il a une petite mine
- Il est plus taiseux et/ou plus nerveux
- Il se renferme sur lui-même
- Il a des troubles du sommeil
- Il est souvent en colère ou a des comportements étranges
- Il manque de motivation
- Il prend de moins en moins soin de lui
- Il s’enferme davantage dans sa chambre
- Il stresse par rapport à ses apprentissages scolaires
- Il perd l’appétit
- Il fait des crises d’angoisse, s’auto-mutile…
Si vous remarquez un ou plusieurs signes, il est important d’aller consulter un spécialiste de la santé mentale afin d’aider votre adolescent à sortir de cette spirale négative qui peut mener tout droit à la dépression.
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