Les fêtes de fin d'année peuvent être difficiles à passer seul(e). © Brooke Cagle/Unsplash

Lettre à ma fille: “Mon premier Noël sans toi”

Pour chaque mère, le plus difficile dans un divorce est bien souvent la séparation avec les enfants. Et c’est d’autant plus douloureux pendant la période des fêtes.

Céline Berger est une écrivaine et poétesse bruxelloise. Mère de deux enfants, elle partage régulièrement de courts textes sur la maternité, le couple et la séparation sur son compte Instagram. Son premier roman, Les chansons françaises, nous invitait à replonger dans les souvenirs de notre premier amour sur ses mélodies préférées. Aujourd’hui, elle partage avec nous une lettre à sa fille, inspirée de son premier Noël en tant que maman séparée. Son récit est un récit pour toutes les femmes.

Lettre à ma fille

“Dès que les décorations de Noël envahissent les allées des magasins, c’est la même douceur qui s’installe en moi et me plonge dans une mélancolie hivernale et maternelle. Dans le crissement des pas sur la neige, chaque année, je reconnais les coups de mon enfant qui tambourine à la porte de la vie pour être de la fête parmi nous. Dans les lumières de la ville, ce sont toujours ses yeux que je devine. Et chaque étoile au sommet d’un sapin me ramène à ce prénom qui la sublime. Mon enfant a un goût de pain d’épices et de bois qui crépite. La saison des fêtes et ses préparatifs m’offrent une madeleine de Proust à l’arôme de dragée, depuis six ans, chaque année.

Elle répond aux caresses et à ma voix, et cette complicité entre elle et moi semble gagner sur le monde autour

Je raconte chacun de mes Noëls autour d’elle depuis ces quelques jours avant qu’elle ne naisse, ceux dont je ne garde comme souvenir que l’aparté qui se joue sous ma peau, entre elle et moi, à l’abri des discussions et du vent qui souffle dehors. Blottie, elle en dedans, presque dans mes bras déjà, ses pieds contre ma main. Elle répond aux caresses et à ma voix. Et cette complicité entre elle et moi semble gagner sur le monde autour. Je n’entends que les vagues de mon ventre tendu, n’écoute que son hoquet qui me secoue en entier et me fait sourire de tendresse face au contrôle qu’elle prend sur cet espace que je lui consens. Je ne suis qu’à cette enfant qui vit déjà et que je suis la seule à sentir.

En un battement de paupière, chaque année, sur une odeur, une lumière ou un courant d’air, je retourne, depuis les coulisses de sa vie, à un réveillon tout ce qu’il y a de plus ordinaire et parfait, et cette banalité que je ne remarquais alors même pas, me semble aujourd’hui si précieuse.

Pour moi, Noël, c’est le souvenir de cette magie. La vie, discrète, sous les pulls angora. Celle qui changera tout, qui complètera les photos de famille, et emplira les cœurs de ceux qui la composent, une petite fille, ma magie. Je compile six années de douceur, d’yeux émerveillés, de cris de joie, de souvenirs empilés dans ma mémoire comme des tours de kaplas, et de petit corps ensommeillé, échoué avant le dessert sur le canapé. Six années à goûter les airelles et grimacer, réclamer de la bûche dès le petit-déjeuner, s’endormir déguisée, se réveiller avec les jouets à déballer. Six années à créer des traditions qui feront office de promesses, de remparts à l’infortune, de rituels, d’habitudes, de “comme l’an dernier”, de “tu te rappelles?” et de “t’imagines, quand je serai grande”. Six années d’éternité, de certitude, d’évidence, d’inébranlable, d’incontestable.

Mon cœur brisé

Six années essoufflées, envolées dans un “c’est fini”, à son tour indiscutable. Quand bien même, sortirait-il de la bouche de celui avec lequel je m’étais promis de vieillir, de rester, de tenir, pour le meilleur et pour le pire. Quelques mois plus tard, c’est mon premier Noël de mère séparée. C’est le premier Noël de mon cœur brisé. C’est le premier Noël de toute une série de “Noël sur deux” où cette enfant d’hiver ne s’éveillera pas à la maison, ne réclamera pas de bûche au petit matin et ne s’endormira pas déguisée sur le canapé, du moins pas le mien. C’est pourtant un Noël de plus où le décor des rues, le bruit de la neige et l’ambiance me ramèneront à mon ventre arrondi, à ma famille et à ce que j’ai construit et chéri.

Mais cette année, toute cette magie n’a pas la même saveur, elle me ferait même presque peur. Je ne trouve pas l’envie de décorer un sapin qui ne vacillerait pas entre les jeux de loups et les essais de patins. Je ne vois pas pourquoi m’imposer le bonheur des uns et les surprises des autres, alors que moi, je vis sous les décombres de ce qui n’est plus, dans la relecture de ce qui a été, et dans la crainte de ce qui pourrait advenir. Lorsqu’on me reprend mon enfant, je perds cet élan de faire semblant, de mimer l’espoir et de feindre le normal. Je suis de ces femmes qui se révèlent un enfant dans les bras. Je n’ai pas tellement manqué de sommeil, de vie sociale, de liberté ou de repères. Je n’ai pas aspiré à des jours plus calmes ou des nuits moins blanches. J’ai savouré la petite enfance, m’en suis délectée, et me suis retrouvée totalement déboussolée et esseulée quand il a fallu diviser les primaires autour d’un calendrier. Quand il a fallu, un stylo à la main et des vagues dans les yeux, définir dans une alternance de week-ends, qui j’étais. Qui j’étais aujourd’hui, dans les moments où elle est là, et, puisqu’il le faudrait bien, celle que j’allais devenir dans les moments où je serai seule. Il allait falloir ouvrir un possible, une brèche, un espace dans lequel je serais, juste moi. Juste moi et ses questions à elle. Sur la rupture, ses petits mots pour le dire et puis ceux que je dois trouver pour donner du sens à ce qu’elle vit.

Et d’avoir sa mère, toujours, parce que je serai là, toujours…

Alors, je cherche au creux de moi, dans des ressources que je ne soupçonnais pas. Je parle de la nécessité d’aimer, d’être heureux, de se sentir adoré par la personne avec laquelle on vit, de refuser de renoncer au bonheur par entêtement, de la priorité de soi sur une promesse murmurée sous un soleil de mai, de l’opportunité de vivre quelque chose de différent mais de plus sensé, de plus beau, de plus partagé, de la perspective de retrouver son père qui s’échappait avant, mais qui sera là maintenant. Et d’avoir sa mère, toujours, parce que je serai là, toujours. Ça, je le lui promets et je m’évertue à le lui démontrer, à lui en offrir la certitude. On parle d’une vie pleine d’amour et de la liberté de ne pas rester quand on n’en a plus assez au creux de nous. On parle de valeurs. On parle de choix. On parle d’être soi. On parle d’être une famille comme ça.

De ce temps sans elle, bien qu’il soit limité, je n’ai pas su quoi faire cette année. J’ai cherché des petits morceaux de moi, un peu partout. Tout est bien éparpillé. Mais quand je la retrouve le lundi, après un week-end impair, cela me fait toujours la même bouffée d’air, comme après une privation, une apnée trop longue, une quasi noyade. C’est la vie qui reprend ses droits dans mon cœur, mes poumons et au creux de ma main pour traverser. Je sais que, durant quelques temps, ce sera comme ça, comme une plongée, comme un Noël sans réveillon. Je sais qu’il ne s’est rien passé de grave, qu’il me faut accepter, que tout le monde va bien, que je me vis au cœur d’un immense drame personnel alors que ce n’est que la marche du monde finalement. Que je ne vis que la même histoire que tout le monde. Que je ne suis que tout le monde.

Une lueur

Le temps file malgré le chagrin et Noël, c’est déjà demain. Je me lève avec une étrange légèreté que je savoure avec mon café. Comme si je m’éveillais de plusieurs mois à broyer du noir sans horizon. Ce matin, c’est dans une immensité blanche que j’ouvre les yeux et c’est comme si cette neige m’offrait un nouveau chapitre, un déclic, une autre lecture. Je sonne chez le voisin qui m’a tellement croisée dans l’ascenseur les yeux gonflés qu’il a développé une attention quasi paternelle envers moi, je lui emprunte une paire de bottes, charge ma voiture de cadeaux, gratte mon pare-brise, les doigts gelés. Je roule jusqu’à cette maison qui était la mienne, enfile les bottes taille quarante-cinq et marque des empreintes de pas jusqu’à la porte d’entrée close devant laquelle je dépose une montagne de paquets cadeaux. En partant, je laisse négligemment tomber un bonnet de père Noël dans l’allée. Je m’épargne le spectacle de sa joie que je ne partagerai pas et m’empêche d’épier la scène de plus loin. Je me contenterai de la vivre dans son récit, dans sa petite voix, ses mains dans la mienne et des étoiles dans les yeux. Je me contenterai de rester la garante de l’enfance, de l’espoir et de la magie, les jours où j’y suis, et peut-être, surtout, ceux où je n’y suis pas.

Si on m’avait dit, il y a six ans, son corps encore au chaud dans le mien, que je devrais consentir à m’absenter de la magie de ses Noëls, je n’y aurais pas cru, je n’aurais pas pu. Mais c’est ainsi que l’histoire est mienne et je lui dois d’y trouver une paix et une magie à la hauteur de ce que j’ai espéré pour cette enfant d’hiver. Je lui dois de chérir les flocons qui recouvrent ce chagrin d’un manteau blanc, d’admirer les reflets multicolores dont ils se teintent quand ils tombent devant les guirlandes des grandes allées, d’adorer l’odeur du sapin, d’appliquer un ruban doré sur les cadeaux en papier, de préparer le repas de nos retrouvailles, de composer un visage apaisé et rassurant de parent qui vacille mais tient debout. Je lui dois de croire qu’un jour, les flocons ne recouvriront plus que les trottoirs et qu’il n’y aura plus l’ombre d’un chagrin chez nous. Je lui dois de savoir que ça aussi, ça passera.

Se relever…

Ce soir de Noël, je suis seule parce que j’ai décidé de l’être. J’aurais pu noyer ma réalité dans un verre de bulles entourée d’amis, ou parmi mes neveux et nièces. Prétendre que tout allait bien devant le sapin. Ou me retrouver, affronter ma solitude, mon avenir, m’en emparer et déconstruire le côté sacré que j’avais donné à mes réveillons et qui aujourd’hui me faisait trop souffrir.

Je repense à toutes ces heures: la maternité, le retour à la maison, les premières nuits, la neige, le froid, et elle. Je revois tout de mes espoirs, de mes promesses, de mes peurs de faire mal. Je ressens tout de ma solitude et de cette mélancolie mélodieuse, invisible et silencieuse, noyée dans les photos de famille. Je revis mon nez dans ses cheveux assoupis, son odeur de sommeil, et son sourire automatique quand je pose un baiser sur ses joues abandonnées. Je me rejoue nos fous rires sous les chatouilles, et les attaques de bisous, les nuits de cauchemars et les réveils attendris. Je revis les courses folles entre les activités et la fierté de la voir être elle-même, petit à petit. Je me revois plier les petits vêtements dont on ne récupèrera jamais les taches, placer les doudous par taille au pied du lit, préparer les déjeuners, refermer le cartable, mettre de la mousse dans le bain et passer le peigne dans ses cheveux capricieux. Je ressens aussi cette aliénation parentale de ne penser qu’à ça, de ne faire que ça, de n’avoir peur que de ça, des années. Je mets mes pensées dans les raisons qui nous ont séparées et dans la raison que je vais désormais devoir recouvrer.

J’ai aimé être mère à la folie, à la déraison, passionnément, intensément. J’ai adoré être à elle. Et même si je sais du plus profond de moi-même que sa main dans la mienne, dans cette douleur, c’est aujourd’hui mon plus grand bonheur, je sais également qu’il ne suffira pas, et qu’il me faudra m’offrir de commencer une collection d’autres bonheurs à additionner à celui-ci, inégalable certes, mais insuffisant pour autant.

Je me suis offert la certitude que nous construisions des souvenirs communs que nous soyons, ou non, sous le même toit

Ce Noël, j’ai réalisé que ces derniers mois, malgré la peur et la douleur, je bâtissais discrètement, pour nous, un amour qui embrassait la séparation tout en célébrant la proximité, l’intimité et l’inconditionnalité. Je lui donnais le pouvoir d’aimer et être aimée, de loin. Ce matin, je me suis offert la certitude que nous construisions des souvenirs communs que nous soyons, ou non, sous le même toit. Par là, je fais la paix avec mon absence à ses côtés, en embrassant un rôle en filigrane – parfois – dans son enfance, en choisissant de rester – pourtant – garante de la magie, du rêve et des surprises.

Je sens également que je traverse ce que toutes les mamans, tôt ou tard, vivent: au moment du divorce, pour les plus précoces, ou lorsque les enfants prennent leur envol. La nécessité de s’inventer, de se trouver et de s’aimer aussi en dehors d’eux est un processus universel, une transition dans le parcours de chaque mère, marquée par la nostalgie, mais également par la promesse d’un avenir, d’une vie nouvelle qui en accueillera d’autres à son tour et agrandira les tablées, les soirs de fête. Que c’est à travers cette douleur que l’on devient plus rassurante, plus solide et plus inconditionnelle pour accompagner nos enfants dans leur chemin à eux, plutôt que sur notre chemin de mère.

… Et avancer

En ce soir de réveillon, devant la danse des flammes que j’ai moi seule allumées, un verre de champagne à la main, je prends un carnet et réalise la liste de mes envies, avec et sans elle, pour l’année à venir: lire chaque soir, à deux voix, parfois; lui faire découvrir les films de mon enfance; l’emmener au théâtre; découvrir le jazz; planter des fleurs sur le balcon, me remettre à la course, allumer la radio le matin; chanter à tue-tête dans la voiture; mettre une jolie robe, même pour dîner à la maison, toutes les deux; laisser pousser mes cheveux; mettre du vernis sur nos orteils en apprenant des chansons , l’emmener à la plage; occuper toute la place dans le lit.

Ce soir, je m’en fais la promesse: la vie continue, même après le mot fin

Cette année, pour Noël je m’offre un futur, car je sais que ce dont j’ai réellement besoin c’est de cesser de le craindre. En ce soir de fêtes, je me décide à l’embrasser, car je le sais, ces premières fois douloureuses, on ne les vit qu’une fois. Et, dans le secret des larmes que l’on retient ou laisse couler, se dessine pourtant la suite. Dans la marche du monde, malgré nos drames personnels, persiste une lueur d’espoir, une magie à redécouvrir, à renommer et à s’approprier, pour soi, un jour à la fois, et pourquoi pas, pour commencer, du champagne à la main.

Il y a six ans, je sentais sous mon pull, la vie qui s’agitait, pleine de promesses. Ce soir, avec la perspective de la retrouver demain et de serrer dans la mienne sa petite main, j’en ai la certitude, et je m’en fais la promesse: la vie continue, même après le mot fin”.

Vous aimerez aussi:

Recettes, mode, déco, sexo, astro: suivez nos actus sur Facebook et Instagram. En exclu: nos derniers articles via Messenger.

Contenu des partenaires

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.