“Mon ex ne paie pas sa contribution alimentaire”: témoignages et solutions
Après un divorce, quand un père ou une mère refuse de subvenir financièrement aux besoins des enfants, l’autre parent passe par des moments d’angoisse, de colère et d’humiliation. Marie-Pierre Detiffe, avocate, nous donne des pistes pour sortir de l’impasse.
Une précision, avant tout: on confond souvent le terme de pension alimentaire avec celui de contribution alimentaire. La pension alimentaire est versée d’un partenaire à l’autre pour couvrir son état de besoin d’adulte. La contribution alimentaire représente la somme octroyée par le coparent pour couvrir les frais d’entretien et d’éducation des enfants.
En Belgique, plus de 100.000 mères ou pères isolés avec un ou plusieurs enfants ont droit à une contribution alimentaire, et la proportion des contributions qui ne sont pas payées à temps est en augmentation. Les chiffres indiquent que les mauvais payeurs sont souvent les pères. Or, de nombreuses familles monoparentales, surtout les plus précarisées, dépendent de cette contribution pour vivre dignement. Marie-Pierre Detiffe, avocate, nous livre des pistes pour récupérer les contributions impayées.
À quel montant prétendre?
Le montant d’une contribution alimentaire est établi sur base de trois critères: les modalités de l’hébergement de l’enfant, son âge et la situation financière des parents. “En ce qui concerne la garde alternée, contrairement aux idées reçues, si l’un des parents gagne plus que l’autre, la part rétributive doit être différente”. Chaque contribution alimentaire doit subir une indexation proportionnelle à l’augmentation du coût de la vie. L’indexation est faite une fois par an, à la date anniversaire du jugement.
Mon ex ne paie pas, je fais quoi?
Depuis 2020, en cas de non-paiement des contributions alimentaires, chaque parent, indépendamment de son niveau de revenu (le plafond a disparu), peut avoir recours au Service des créances alimentaires (SECAL). La procédure est gratuite pour le demandeur. Par contre, la personne soumise à la contribution alimentaire devra participer aux coûts de fonctionnement du SECAL à hauteur de 13% du montant de la contribution alimentaire. “Quand le SECAL prend l’affaire en main, vous ne pouvez pas entreprendre d’autres démarches à l’encontre de votre ex. Soit celui-ci ou celle-ci paie les sommes dues au SECAL, soit le SECAL fait le nécessaire pour obtenir l’argent dû par voie légale. Le service avancera d’éventuels coûts de procédure”, détaille Marie-Pierre Detiffe.
Dois-je signer une convention?
En cas de non-paiement de la contribution alimentaire, “il est important qu’un jugement ait été prononcé ou qu’une convention de divorce soit établie”, explique la spécialiste. Sans cela, aucune procédure n’est possible. “S’il est évidemment préférable de clarifier les choses immédiatement, vous pouvez aussi faire rédiger une convention par la suite. Si vous voulez récupérer les sommes dues par votre ex, y compris celles datant d’avant la convention, le juge pourra remonter cinq ans en arrière”.
Quelles conditions remplir?
Le SECAL peut vous permettre d’obtenir une avance sur un paiement à venir (mais pas sur des arriérés que le service réclame) ou sur la contribution alimentaire pour les enfants. “Cette avance sera de maximum 175€ par enfant. Le droit à une avance, quand il est accordé, court jusqu’aux 18 ans de l’enfant. Au-delà, vous devrez démontrer, tous les six mois, que l’enfant est scolarisé ou en recherche d’emploi, et qu’il a droit aux allocations familiales”.
Ai-je besoin d’un(e) avocat(e)?
Pour les frais exceptionnels (ou lorsqu’il y a saisie sur salaire par le biais d’un huissier de justice), il convient de consulter un avocat. “Un arrêté royal d’avril 2019 a permis de clarifier le contexte des frais exceptionnels, de lister ceux reconnus comme légaux lors d’un jugement et de préciser les modalités de récupération des sommes dues. Dans tous les cas, il est essentiel de conserver les preuves de paiement: affiliation à un club sportif, frais scolaires, produits de soin…”, conseille l’avocate.
21.000 enfants concernés
Selon des chiffres publiés par le SPF Finances au début de l’année 2022, le service des créances alimentaires (SECAL) a ouvert 4669 nouveaux dossiers pour contributions alimentaires non payées. Il s’agit d’une hausse de 36% par rapport à 2020! L’année dernière, le SECAL a récupéré près de 45 millions d’euros auprès des créanciers pour quelque 21.000 enfants bénéficiaires en moyenne chaque mois, soit un millier de plus qu’en 2020.
Fabienne et Mathilde témoignent
Des dettes de 15.000 euros
Pendant quinze ans, Fabienne, 52 ans, a dû subvenir seule aux besoins de ses enfants.
“Quand j’ai divorcé du père de mes enfants, ils avaient 3 et 4 ans. J’étais institutrice primaire, lui menuisier indépendant. Si la négociation a été menée par un médiateur dans le cadre d’une séparation à l’amiable, c’est le juge qui a finalement fixé le montant que mon ex-mari devait me verser. À l’époque, je les avais à ma charge tout le temps, excepté un long week-end toutes les deux semaines. Dans le fond, je pense que mon ex était honnête. Le problème, c’est qu’il était incapable de gérer son budget. Au fil du temps, les paiements se sont espacés jusqu’à ce que je paie tout, y compris les coûts exceptionnels comme les soins de santé et les activités sportives. Lorsqu’il s’est remarié, les choses ont empiré. Sa nouvelle compagne contestait chaque dépense et bloquait tout remboursement. C’est là que j’ai décidé de réagir”.
Fabienne contacte le SECAL (Service des créances alimentaires), l’organisme peut intervenir dès le non-paiement des sommes dues pendant deux mois consécutifs. “D’emblée, j’ai eu gain de cause. Heureusement, car au moment où j’ai intenté cette action contre lui, il me devait environ 15.000 euros. Dans un second temps, dans le but de récupérer tout l’argent que j’avais dépensé pour les vacances ou le dentiste, j’ai été obligée de prendre une avocate. Même si j’ai gagné ce procès et que je me suis sentie comprise tout au long de la procédure, je l’ai vécu comme une humiliation. Tout devoir justifier à l’euro-près comme si j’étais une voleuse ou une profiteuse, c’était très dur psychologiquement. De son côté, mon ex-mari semblait sous l’emprise d’un gourou. Il confirmait toutes les accusations lancées par sa compagne.
Tout devoir justifier comme si j’étais une voleuse…
Ce n’est que lorsque les enfants ont eu environ 16 ans que je leur ai finalement tout raconté. C’était pour moi une manière de me protéger des attaques de leur belle-mère. J’avais envie qu’ils comprennent pourquoi, pendant des années, pour Noël ou leurs anniversaires, ils n’avaient reçu que des cadeaux de seconde main. Même si, aujourd’hui, je suis un peu apaisée, je garde beaucoup de rancœurs par rapport à cette période. J’estime qu’il est anormal de devoir se mettre à genoux pour réclamer de l’argent pour l’éducation d’enfants qu’on a conçus à deux. Pourtant, je ne regrette pas d’être allée jusqu’au bout. Toutes les femmes devraient oser se battre pour faire valoir leurs droits”.
Double job pour une seule maman
Après sa séparation, Mathilde, 49 ans, n’a jamais reçu le soutien de son ex-mari pour éduquer leur fille
“Michel et moi n’étions pas mariés, mais lors de notre séparation, j’ai tenu à passer devant le tribunal de la jeunesse pour déterminer clairement les droits et les devoirs de chacun par rapport à l’éducation de notre fille, Manon. À l’époque, je cumulais deux jobs (un poste d’enseignante et mon métier d’infirmière), mais je gagnais tout de même deux fois moins que mon ex. Malgré ça, nous avons décidé de verser chacun 200 euros par mois sur le compte de Manon. En optant pour ce système équitable, j’avais l’impression de ne pas le léser. Cette somme devait permettre de couvrir les frais exceptionnels. Pour le reste, nous avions convenu d’accueillir Manon en garde alternée.
La médiocrité de mon ex ne doit pas mettre notre fille en difficulté
Michel n’a jamais vraiment tenu compte de cet accord: il payait avec du retard ou ne payait plus du tout pendant trois mois, puis me remboursait deux mensualités en une fois. La troisième, il feignait de l’oublier. Quand notre fille a eu 16 ans, c’est elle qui utilisait sa carte bancaire pour régler certains frais. La plupart du temps, le compte n’était pas suffisamment alimenté et je devais compenser. Je n’ai pas jugé opportun de me tourner vers un avocat. Quant au SECAL, je n’avais pas la possibilité, compte tenu de mon salaire jugé trop élevé, d’avoir accès à leur service. Le plus dingue dans tout ça, c’est que si je n’avais pas cumulé deux salaires, je n’aurais pas pu financer l’éducation de Manon comme je l’ai fait.
Le remariage de mon ex et le fait qu’il soit devenu deux fois papa par la suite n’ont pas arrangé les choses. Non seulement je devais assurer seule les frais d’université de ma fille, mais j’ai très vite compris qu’elle n’était pas traitée avec respect par son père. Quand elle revenait chez lui après une semaine, il avait par exemple descendu son bureau à la cave. Il a aussi essayé de la manipuler en lui faisant signer un document dans lequel elle affirmait qu’elle n’avait besoin que de 100 euros par mois au lieu des 200 prévus. Il y a cinq ans, à l’âge de 20 ans, elle a choisi de ne plus passer un seul jour chez lui. C’est donc moi qui ai tout géré financièrement. Cela étant, je n’ai aucun regret. Plutôt que de me lancer dans une procédure longue et onéreuse, j’ai préféré payer sans rien réclamer. Je l’ai fait pour ma fille afin de lui assurer un futur serein. Aujourd’hui, en tant que jeune journaliste, elle ne gagne pas très lourd. Donc, je continue à l’aider. Michel, lui, refuse de lui donner le moindre euro sous prétexte qu’elle a 25 ans. Que puis-je faire à part donner le change? J’estime que la médiocrité de mon ex ne doit pas mettre notre fille en difficulté. Ce bras de fer ne m’aura pas permis d’avoir gain de cause, mais en observant le parcours de Manon et la manière dont elle s’épanouit aujourd’hui dans sa vie de femme, je reste convaincue que j’ai fait le bon choix”.
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