“Voilà notre école idéale”: profs et élèves témoignent
Entre l’école, les élèves et les enseignants, c’est parfois le désamour. Sur base de ce constat, et persuadées que oui, une meilleure école est possible, nous avons tendu le micro à des pros du secteur ainsi qu’à des jeunes et à leurs parents.
C’était en 2018. Andreas Schleicher (à la Direction de l’éducation et des compétences au sein de l’OCDE, et père du fameux Pisa, programme de suivi des acquis des élèves), évoquait le niveau de l’enseignement en Belgique francophone*. Si à l’époque, il jugeait la situation “acceptable”, c’est plutôt le manque réel de changements qui l’inquiétait: “La société évolue nettement plus vite que l’enseignement. L’écart entre ce que les élèves devraient apprendre en classe et ce à quoi les écoles les préparent ne se rétrécit pas, il se creuse”. Un écart (en partie) responsable du décrochage scolaire. “Ils ne peuvent relier ce qu’on leur sert en classe avec une vie future, et ne voient pas en quoi ce qu’ils apprennent est pertinent”. Un constat qui fait écho à ce que nous ont confié tous les jeunes (oui, tous) à qui nous avons demandé ce qui, selon eux, était à changer dans le système actuel. Réponse: il est urgent de connecter davantage l’école et la vie.
Pas “la vraie vie”
“Franchement, je me demande parfois à quoi ça sert, ce qu’on nous apprend. Alors que si ça se trouve, je vais devenir chômeuse, maugrée Laili, 14 ans, en seconde session pour passer en 3e. Là, on apprend des trucs sur Jules César… On voudrait des cours plus en rapport avec l’actualité, pour comprendre ce qui se passe dans le monde. Il y a aussi beaucoup de harcèlement à l’école de la part des autres élèves, mais pas grand monde pour nous aider”.
Aller en classe pour avaler des trucs sans intérêt alors que le monde est en train de s’effondrer?
Lola, 20 ans, a fini sa rhéto en juin 2023, mais elle n’a toujours aucune idée de ce qu’elle fera avec son CESS en poche. “L’école est en total décalage avec la vie réelle. On nous demande d’étudier des trucs qui ne nous serviront jamais à rien, ou bien c’est qu’on nous explique mal en quoi ça pourrait éventuellement nous être utile un jour. On manque de perspectives d’avenir. Est-ce qu’il y aura encore du travail? Est-ce que la Terre sera encore vivable? Les adultes n’ont pas idée de combien c’est angoissant pour ma génération de vivre dans un monde où il y a la guerre, des attentats, où des gens crèvent dans la Méditerranée, où nos parents ont du mal à s’en sortir financièrement, où on ne fait rien pour protéger la planète. À quel moment on a le droit de donner notre avis? On attend de nous qu’on aille en classe pour avaler des trucs sans intérêt alors que le monde est en train de s’effondrer…”.
Apprendre moins mais mieux?
Il faudrait dispenser la matière avec passion, en la reliant le plus possible au vécu de l’élève. En cela, les pédagogies actives (Freinet, Montessori, Waldorf, Decroly…) ont déjà démontré leurs bénéfices: meilleure capacité d’attention, acquisitions de compétences intellectuelles mais aussi sociales ou pratiques. Les objectifs du programme scolaire sont respectés, c’est juste qu’ils sont atteints par d’autres biais que la méthode traditionnelle, dite frontale. C’est d’ailleurs l’une des pistes évoquées par Andreas Schleicher, le Mr Enseignement de l’OCDE: “Pour donner aux élèves l’envie d’apprendre et aiguiser leur curiosité, il faut leur permettre d’expérimenter par eux-mêmes, mais aussi avoir le courage d’enseigner moins de choses, avec davantage de profondeur. Savoir, ce n’est pas connaître par cœur, c’est apprendre à penser comme un mathématicien, réfléchir comme un scientifique, contextualiser comme un historien…”.
Le prof n’est plus celui qui fait un exposé, il doit être là pour accompagner dans les apprentissages
Or, comme le fait très justement remarquer Dirk, 50 ans, ancien professeur et désormais directeur du centre de pédagogie adaptée en communauté germanophone (zfp.be), “l’enseignement est le seul domaine où l’on se permet d’appliquer de vieux standards, alors qu’on sait depuis le début du 20e siècle que ce n’est pas ce qui fonctionne ni ne favorise la réflexion individuelle. Le prof n’est plus celui qui fait un exposé, il doit être là pour accompagner ses élèves dans leurs apprentissages.”
Étrangement, si le fondamental a la chance de jouir d’une certaine liberté pour appliquer des principes tirés de ces pédagogies (classes flexibles au mobilier innovant, ancrage dans le vécu de l’enfant via les “surprises” qu’il choisit d’apporter et qui servent de base d’apprentissage, recours aux manipulations, travail par projets…), leur mise en œuvre est moins répandue en secondaire.
Du temps et des moyens
“Prof, c’est un métier passionnant, où l’on se sent utile. Un métier qu’on ne peut qu’aimer si on s’investit”, assure Corinne, 43 ans, professeure de français en 4e et 5e secondaire à l’Athénée Royal Vauban de Charleroi. Elle le jure, rien que pour la richesse du contact avec les élèves, elle n’en changerait jamais. Toutefois elle regrette le temps perdu aux tâches administratives parfois ridicules. “On nous demande de justifier des choses idiotes, comme ce tableau qui doit stipuler minutieusement les dates et les thèmes abordés à chaque réunion d’équipe. Collaborer, on l’a toujours fait! Mais où est l’intérêt de tout notifier en détail? Il faudrait aussi diminuer le nombre d’élèves par classe, qui peut grimper jusqu’à 32 en 5e et 6e! Moins d’élèves, cela permet de faire plus de travail formatif, d’accompagnement individuel, de suivi”.
L’aspect pédagogique, qui est notre moteur, est laissé de côté au profit de la charge administrative chronophage
Avis partagé par Nathalie, 51 ans, directrice du niveau fondamental à l’Athénée royal de Woluwe-St-Lambert. “C’est clair qu’on ne donne pas assez de moyens à l’enseignement. Pour pouvoir intégrer tous les enfants, quelles que soient leurs difficultés ou leurs origines, il faut de plus petites classes, et une aide à temps plein. Sans compter qu’en maternelle et primaire, nous n’avons ni secrétariat ni éducateur. Conséquence: l’aspect pédagogique, qui est notre moteur, est laissé de côté au profit de la charge administrative chronophage. Ce temps passé à remplir des documents, c’est du temps en moins auprès des élèves ou à soutenir les enseignants”.
Dur, dur le début de carrière?
Un état des lieux pas folichon, qui n’entache pourtant pas la motivation des jeunes enseignants, toujours nombreux à se lancer dans l’aventure… mais parfois prompts à en revenir: 25% quittent la profession avant la fin de leur première année de travail, et 40% dans les cinq ans (chiffres de la Fédération Wallonie Bruxelles, décembre 2016).
Difficile, le début de carrière d’un(e) enseignante? “Très!, répond Amandine, 24 ans, institutrice primaire qui, en quatre années de carrière, aura déjà donné cours dans trois écoles. Pour l’école idéale, il faudrait revoir le principe de nomination et d’ancienneté, car c’est toujours le dernier arrivé qui doit partir en cas de changement. À force de partir et de recommencer ailleurs, on sera toujours le dernier arrivé. Difficile, dans ces conditions, de garder un emploi stable. C’est frustrant: on commence un projet dans une école, puis on doit partir sans avoir pu aller au bout, et se lancer dans un autre. L’an dernier, j’ai donné cours en 5e et en 6e, cette fois ce sera en 2e primaire, ce qui veut dire que je repars de zéro, avec tous mes cours à préparer”.
Piquer des idées à nos voisins
Pour les nouveaux enseignants, c’est la règle de la débrouille, et l’appel au bon vouloir des collègues pour guider et épauler les jeunes recrues. “En Allemagne, c’est structurel: tout nouveau diplômé commence par deux ans de stage sous l’égide d’un mentor, un prof aguerri et expérimenté qui le prend sous son aile. Pourquoi on n’appliquerait pas ça ici?”, avance Corinne qui pointe également un autre problème de taille: le manque cruel de remédiations à destination des élèves en difficulté. “Comme ce qui coûte le plus cher, c’est le redoublement (entre 25.000 et 30.000€ par élève!), on nous ‘encourage’ à faciliter le passage à l’année supérieure. Ça ne fait que repousser le problème, et oblige les parents à payer des cours de soutien scolaire à leurs enfants. Alors qu’il serait possible de l’organiser gratuitement au sein des écoles si la Fédération Wallonie-Bruxelles acceptait d’y mettre de l’argent. Cela réduirait en outre les inégalités, puisque certains élèves n’ont pas la chance d’être soutenus par leurs parents. Ils sont demandeurs, et les profs aussi, car il n’y a rien de plus gratifiant que de voir évoluer un élève en difficulté”.
Lire aussi: Ce que l’école n’apprendra jamais à nos enfants
Un métier qui manque de sens?
Autant d’obstacles qui ont fini par démotiver Sylvie, 49 ans, éducatrice. Après avoir longtemps animé des ateliers créatifs auprès de personnes porteuses de handicap mental, elle a travaillé dans l’enseignement spécialisé, enthousiaste à l’idée de mener des projets avec les enfants. “J’ai suscité la jalousie des profs, à qui je ‘piquais’ leur boulot, et la désapprobation des autres éducateurs, qui craignaient de devoir faire pareil. Ça a été pire dans l’enseignement ordinaire, où mon rôle se limitait à encoder les absences et les retards, surveiller la récréation, sanctionner les tenues ‘inappropriées’, prévenir les parents quand un prof était absent. Bref, un rôle de pion. Ce n’est pas du tout comme ça que j’envisage la mission d’un éducateur, qui pourrait combler les lacunes de l’école au niveau de l’apprentissage des émotions et des valeurs… C’est terrible ce que l’école manque de lien avec la vraie vie”.
Les enfants changent, la société change, il était grand temps qu’une réforme s’opère
Justement, à l’instar de Nathalie, les directions réclament des éducateurs stables et mieux formés pour assurer les activités extrascolaires. Ne serait-ce pas l’occasion de faire se rejoindre les envies des uns et les besoins des autres? “Je pense qu’on est en bonne voie. Les enfants changent, la société change, il était grand temps qu’une réforme s’opère au niveau de l’enseignement. J’espère qu’elle apportera tout ce qu’il faut pour que nos élèves puissent réussir au mieux, et que les professeurs se sentent bien dans leur boulot”.
Le film à voir
Les Éclaireuses, documentaire de Lydie Wisshaupt-Claudel (2022) au cœur d’une petite école atypique de Bruxelles.
*L’Echo, 15 juin 2018, interview réalisée par Benoît Mathieu.
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