Éloge de la paresse
Ne rien faire, se mettre en mode “off”, c’est vital. Vu la course à la perfection et à la rentabilité dans laquelle nous galopons, difficile à croire, et encore plus à appliquer. Et pourtant, il est temps!
Ne rien faire, c’est bon pour la santé! C’est un neuropsychologue du CHU de Caen qui l’affirme. Francis Eustache hisse l’oisiveté au rang d’impératif pour prendre soin de notre cerveau, gage d’une meilleure mémoire, de notre bonheur et même de notre longévité! Selon une étude récente, paresser permet en effet au cerveau de lâcher prise car il se met en «mode par défaut», étape indispensable à son bon fonctionnement: pendant que nous relâchons la tension, il peut faire le tri entre toutes les infos dont il est inondé quotidiennement et les anciennes, stockées au cours de notre existence. Avantages non négligeables: il se constitue de cette façon une mémoire solide et bien plus efficace, mais peut également mieux comprendre l’environnement qui l’entoure, mieux s’adapter, être plus performant. Ce «mode par défaut» est donc essentiel pour notre survie: le cerveau en a besoin pour être cohérent et protégé.
Ne rien faire, c’est tabou
Flemmarder devrait donc faire partie intégrante de notre existence, au même titre que le travail ou les tâches ménagères. Sauf qu’on semble peu enclins à s’autoriser à rêvasser. Pire: nous serions dans le contrôle permanent. «Courir sans jamais s’arrêter, agir avec soi sans aucun respect pour la personne que nous sommes, nous conduit à nous faire du mal, comme en témoigne la multiplication de burn-out, par exemple», constate Fabrice Midal, philosophe français dont le titre du dernier ouvrage, Foutez-vous la paix!, a le mérite d’être clair. Celui qui a fondé l’école occidentale de méditation n’y va pas par quatre chemins: arrêtons de nous fixer des objectifs irréalistes et commençons enfin à vivre! Professionnel, familial, parental ou même amoureux, le trop-plein semble en effet toucher toutes les sphères de l’existence… et nous en serions les premiers responsables. Pour Fabrice Midal, l’explication est simple: nous associons le fait de «faire» avec celui d’être vivant, ne rien faire, en revanche, s’apparente à la quasi mort. Selon le philosophe, ne rien faire peut-être perçu comme une démission, une forme de lâcheté alors que ce serait au contraire un moyen formidable de revenir à l’essentiel.
Et à l’ère de l’hyperconnectivité, nous ne sommes pas en passe de devenir les adeptes de la glande. «Il suffit de voir les agendas de chacun, les fameuses listes à rallonge des choses à faire au quotidien, on se met une pression dingue!», constate Patrick Traube, psychologue et psychothérapeute. «C’est comme si avoir une journée remplie était le gage d’une vie réussie. Au contraire, être esclave de cet ennemi numéro un du bonheur qu’est l’agenda, c’est le meilleur moyen d’être éternellement insatisfait, donc malheureux. Et l’envahissement permanent du smartphone dans nos vies n’aide pas à oser lever le pied. Nous sommes complètement intoxiqués sur le plan digital, incapables de déconnecter de cet objet tyrannique qui nous rappelle sans cesse à l’ordre. Pourtant, ne rien faire est non seulement essentiel, mais obligatoire pour nos équilibres mentaux et physiques! Et ça stimule la créativité, comme la stabilité émotionnelle», tance le spécialiste.
Ne rien faire, ça fait peur
Véritable frein au bien-être, le culte de la performance véhiculé par la société est pour beaucoup dans cette incapacité à débrancher. «Il faut absolument être ‘bon en tout et tout le temps’, au boulot, au sein du couple ou avec ses enfants. Nous nous interdisons toute erreur ou faux pas. Or, nous avons tous un seuil de tolérance et de capacité à ne pas dépasser, sous peine d’exploser!», prévient Patrick Traube. Facile à dire… mais pas nécessairement à faire, reconnaît le spécialiste. «Nous vivons dans une société où le travail est hyper valorisé. L’ambition et le perfectionnisme sont très bien perçus. Etre constamment occupé, voire débordé, c’est un signe extérieur de réussite», déplore le psychologue. Au point que nous serions prêts à remplir faussement notre temps, à parer sans cesse à l’ennui… «Ce qui nous régit, c’est la peur de ne pas être à la hauteur, d’être rejeté. Nous nous imposons nous-mêmes des obligations dont nous savons pertinemment bien qu’elles sont quasiment impossibles à tenir. Nous sommes nos propres bourreaux!», regrette Patrick Traube. Pierre Portevin, auteur de Mon meilleur ami… c’est moi!, va dans le même sens: «Nous manquons d’indulgence envers nous-mêmes. Nous ne sommes pas assez à notre écoute, nous sommes très peu bienveillants avec notre propre personne. Or, ce n’est pas productif: à force d’exiger toujours plus de nous-mêmes, nous sommes éternellement insatisfaits, donc dans l’autocritique, voire l’auto-sabotage. A nous lancer des défis insurmontables au quotidien, nous ne pouvons être que déçus et, pire, convaincus que nous ne sommes pas assez bien, que nous sommes nuls… Comme si la perfection était le seul but à atteindre dans la vie», constate l’auteur.
Ne rien faire, ça s’apprend
Pour Patrick Traube, tout part de cet interdit tenace qui nous régit dès le plus jeune âge. «S’ennuyer, c’est tabou, même chez l’enfant! Il est pourtant primordial qu’il puisse s’évader dans son imaginaire et ne surtout pas se construire dans l’idée qu’il faut faire à tout prix! Tout est question d’éducation: on fait croire que la glande est un défaut», désapprouve le psy qui voudrait réhabiliter l’ennui dans le quotidien de chacun, enfants comme adultes. Et tous les spécialistes vont dans le même sens: il faut se donner la permission de ne pas vouloir remplir le temps coûte que coûte. Car la tendance s’accroche, au point que certaines entreprises prévoient des cours de méditation ou de yoga pendant les heures de travail. Mais gare à l’effet inverse, Fabrice Midal le constate également dans les cours de méditation qu’il donne: la plupart des injonctions qui nous obligent à nous relaxer ne font que nous mettre une pression plus grande. Certains participants vont le voir avec ce constat: «Je n’y arrive pas!» Or, la détente ne doit pas être vécue comme une obligation. Là aussi, nous avons tendance à nous mettre trop la pression, comme s’il fallait «réussir à ne rien faire». Lâcher prise, ça s’apprend. Aucune performance à viser dans ce mode off que l’on s’octroie trop rarement: l’objectif réel est de réussir à se donner l’autorisation de souffler. Etre, ce n’est pas faire. Et le titre de son livre de revenir comme un boomerang: foutons-nous donc la paix ! A méditer…
Texte: Aurelia Dejond